** On se calme… et on prend des bénéfices ! Voilà en quelque sorte le mot d’ordre lancé aux opérateurs par une petite voix intérieure en début de matinée hier.
Paris n’avait pas tardé à reprendre 2% quelques minutes après l’ouverture, comme si l’absence de mauvaises nouvelles ce week-end pouvait constituer un motif suffisant pour regretter d’avoir allégé les positions 48 heures auparavant.
Les places asiatiques avaient donné le ton avec un gain de 1,25% à Tokyo et de 1,8% à Bombay — Shanghai était clos hier matin. Les vendeurs sont cependant vite revenus à la charge en découvrant des statistiques économiques guère encourageantes en Europe.
Les prix à la production industrielle en données CVS ont reculé de 0,5% dans la Zone euro, et de 0,3% dans l’Union européenne à 27, en février 2009 par rapport à janvier 2009. Sur 12 mois écoulés, le PPI a reculé de 1,8% dans la Zone euro et de 0,8% dans l’Union européenne.
Le volume des ventes du commerce de détail s’est contracté de 0,6% dans l’Eurozone et de 1,2% dans l’Union européenne le mois dernier, ce qui se traduit par une chute annuelle record respectivement de 4% et 3,4%. Chute de la consommation et la baisse des prix à la production, tout cela ressemble beaucoup à un scénario de déflation !
Heureusement que les marchés anticipent une embellie conjoncturelle d’ici la rentrée, sinon ils auraient pu croire que leurs pires cauchemars se matérialisaient.
** Certains opérateurs préfèrent ne prendre aucun risque — une erreur de jugement est si vite arrivée. Des prises de profit sur des titres qui viennent de s’envoler de 50% à 100% en quatre semaines, cela n’a jamais fait de mal à un portefeuille boursier.
La consolidation s’est accélérée sur les places européennes dès l’ouverture de Wall Street alors que le Nasdaq ne tardait pas à afficher une rechute de 2,3% et le S&P 500 de 2%.
Il n’y avait pas de véritable catalyseur pour expliquer un mouvement de repli qui prenait à contre-pied la tendance haussière observée lors des transactions électroniques sur les futures américains tout au long de la matinée. Le Dow Jones avait alors gagné entre 0,5% et 0,8%.
La prudence l’emporte probablement à 24 heures du coup d’envoi des trimestriels avec la présentation des résultats d’Alcoa sur la période de janvier à mars dès ce soir.
Nous attirons également votre attention sur une tendance récurrente des marchés occidentaux à consolider dès l’entame de la seconde semaine de chaque nouveau mois calendaire, et ce depuis septembre 2008. Seule exception : le mois de décembre où les indices avaient amorcé un solide rebond après cinq premières séances très négatives.
Il n’y a peut-être pas de quoi tirer une loi d’airain de quelques coïncidences. Cependant, ce ne serait pas la première fois que de gros fonds d’investissement profiteraient d’un afflux de liquidités en début de trimestre pour se délester de positions qu’ils n’ont ni la volonté, ni la possibilité technique de conserver depuis que les banques ne leur font plus crédit.
** Les emprunteurs connaissent en général de sérieuses difficultés depuis 18 mois et il ne fait pas bon être chômeur aux Etats-Unis. Nous avions achevé notre précédente chronique en évoquant les statistiques de l’emploi du mois de mars et les plans sociaux des constructeurs automobiles, mais nous n’étions pas rentré dans le détail.
Sachez tout d’abord qu’un salarié licencié, quel que soit son niveau de rémunération initial, touchera au mieux 350 $ par semaine (somme forfaitaire) durant six mois avant de voir ses allocations fondre très rapidement au-delà de ce délai.
Pas moins de 18 états américains ont décidé d’amender cette règle compte tenu de la situation catastrophique du marché du travail. Les indemnisations sont maintenues à leur niveau maximum, ce qui ne fait pas lourd, pendant 13 mois et demi — pourquoi ce "et demi" ?, nous l’ignorons. Cette décision ne fait que creuser davantage le déficit d’états au bord de la faillite comme l’Illinois, l’Ohio, le Nevada ou la Californie. Dans ce dernier état, le chômage explose et nombre de fonctionnaires de l’éducation ne sont plus payés.
L’aspect le plus inquiétant du problème est l’allongement du délai de retour à l’emploi. Les baisses d’impôts ne peuvent soutenir temporairement la consommation, ni les achats de biens durables ni les investissements immobiliers. De toute façon, il y a de 3% de logements vacants, sans compter les 13 mois de stock d’invendus dans le neuf.
La Maison Blanche n’a pas indiqué sous quel délai l’Etat américain comptait investir dans la rénovation de bâtiments fédéraux et d’écoles, dans des travaux d’isolation d’immeubles anciens ou dans un éventuel basculement du réseau électrique de l’antique norme des 110V vers le 220V — comme en Europe.
Il n’y a en fait aucun plan massif de soutien à l’emploi comparable à celui mis en oeuvre pour soutenir les banques. Certains analystes estiment même que cela ne suffira pas à sortir le système financier de l’ornière !
** Mike Mayo, qui officie chez Calyon Securities USA, vient de publier une étude où il recommande de sous-performer des géants emblématiques comme Bank of America, JP Morgan Chase, Citigroup ou Wells Fargo. Toutes ces valeurs ont perdu de 1,5% à 6,6%, de telle sorte que l’indice du secteur bancaire KBW a chuté de 3,8%.
Le S&P 500 a perdu au final 0,85% sur la crainte de voir l’apurement des actifs toxiques prendre plus de temps que prévu. Les assureurs sont en outre soupçonnés d’avoir connu un premier trimestre 2009 difficile avec un recul des souscriptions nettes, un repli global des marchés financiers, des actions mais également des bons du Trésor.
** Un bémol tout de même dans le pessimisme ultra-dominant d’hier : une analyste vedette dénommée Meredith Whitney s’est exprimée sur CNBC pour dire que les banques ont réussi à gagner "un peu d’argent" au premier trimestre 2009 — une fois exclu l’impact comptable des provisions pour dépréciation de créances douteuses.
Mme Whitney estime cependant que la situation de fond ne s’améliorera pas sensiblement avant mi-2010. Elle rejoint sur ce point Georges Soros, qui voit l’économie américaine subir un ralentissement prolongé alors que le système bancaire américain reste dans son ensemble "fondamentalement insolvable".
C’est un avis largement partagé par Nouriel Roubini et certains sénateurs ultra-libéraux. Ceux-ci estiment que la Maison Blanche est en train de gaspiller l’argent des contribuables en soutenant une armée de morts vivants bancaires ou industriels qui ne produisent aucune richesse et vont encore détruire des dizaines — voire des centaines — de milliers d’emplois.
Il est facile de lancer ce genre d’accusation lorsque l’on se situe dans l’opposition. Surtout après avoir encouragé — toujours au nom des même convictions ultra-libérales — la dérégulation des transactions financières, la recherche effrénée de profits à court terme et le transfert insidieux vers le public (c’est-à-dire l’épargnant) du risque associé aux dérivés de crédit, ce qui a également torpillé Wall Street.
** La reprise des indices boursiers américains, c’est peut-être la matérialisation de ce bête phénomène qui survient lorsque vous laissez échapper un objet comme un verre ou un pot de moutarde vide dans le bac où vous êtes en train de faire la vaisselle. S’il tombe du côté vide, il donne l’impression de rebondir — c’est ce qui se passe effectivement — mais il retombe aussitôt du côté le plus lourd (merci Newton) pour couler à pic et disparaître dans une eau grasse et trouble.
Une eau bien à l’image des liquidités injectées par la Fed ces derniers temps. Les Chinois n’y toucheront plus qu’après avoir enfilé des gants en caoutchouc… de peur de se retrouver à leur tour lessivés !
Philippe Béchade,
Paris