La Chronique Agora

De l’économie de marché aux cours de Bourse administrés

 

▪ Les indices boursiers auraient-ils entamé l’année 2010 par le bouquet final ? Le grand élan d’exubérance de lundi aurait-il constitué la dernière accélération couronnant le rally de fin d’année du 18 au 31 décembre dernier ?

Paris aligne une seconde séance consécutive de prudente « consolidation à l’horizontale » entre 3 997 et 4 022 points (et 4 018 points au final, soit +0,11%). Le CAC 40 reprend son souffle, affirment les optimistes béats.

Mais la réalité telle que les salles de marché la vivent depuis 15 jours, c’est que la Bourse est devenue proprement soporifique. C’est comme si certains opérateurs avaient décidé de débrancher les automates, ces fameux logiciels de trading qui gèrent les ordres à la milliseconde… et qui parasitent les carnets d’ordres en devançant systématiquement ceux placés par les investisseurs particuliers ou les gérants de portefeuilles.

Où sont donc passés les acheteurs qui se sont précipités en masse en fin de séance lundi, propulsant le CAC 40 au-delà des 4 000 ? Pourquoi le marché parisien ne bénéficie-t-il pas d’une inertie haussière comme nous en observons chaque fois qu’une résistance majeure a été vaincue ?

▪ Les opérateurs avaient justifié leur immobilisme de mardi par l’attente de chiffres importants aux Etats-Unis publiés ce mercredi. Cependant, ils n’ont pas davantage réagi à la hausse de l’indice ISM des services (qui s’inscrit comme prévu à 50,1, contre 48,7 en novembre) qu’à l’enquête mensuelle d’ADP.

Cette dernière révèle que l’économie américaine aurait détruit 84 000 emplois au mois de décembre (dont 52 000 dans le seul secteur du bâtiment). Parallèlement, le chiffre de novembre a été revu à la baisse, de 169 000 à seulement 145 000.

Il n’en fallait pas davantage pour que recommencent à fleurir des études qui nous promettent une reprise imminente des créations d’emplois aux Etats-Unis… mais le principal gisement se situe dans l’intérim, ce qui signifie que les entreprises optent pour des embauches temporaires. C’est une formule un peu plus coûteuse que des contrats fermes à durée indéterminée, mais qui offre plus de souplesse en matière de gestion des effectifs.

Il y a un autre phénomène qui ne suscite curieusement guère de commentaires dans les médias et ne semble guère faire débat au sein de la communauté des économistes. Il s’agit des révisions à la baisse des salaires, primes et avantages en nature sur une très large échelle, à l’image des compagnies aériennes : certains pilotes de ligne y sont désormais moins bien payés que des chauffeurs routiers.

Non seulement les actifs sont moins nombreux aux Etats-Unis mais ils sont de moins en moins bien payés — sauf bien entendu les cadors de la finance virtuelle et les fonctionnaires qui gravitent dans les hautes sphères des administrations dépendant de Washington.

Il y a donc chaque mois un peu moins d’argent à dépenser par la classe moyenne qui constitue le socle de la consommation — et par conséquent de la croissance — aux Etats-Unis. Pourtant, cela ne tempère en rien l’optimisme ambiant : tant que la Bourse monte, c’est que l’avenir s’annonce radieux.

▪ La Fed et la BCE, dans des notes beaucoup plus confidentielles que celles éditées lors de leurs réunions de politique monétaire, soulignent que la surliquidité temporaire dont bénéficient les marchés n’a pas vocation à encourager une croissance de la masse salariale ni la consommation. Si tel était le cas, le péril inflationniste deviendrait très vite menaçant… ce qui les amènerait à réagir vigoureusement (et tout le monde comprend qu’il serait alors question de l’instauration d’un cycle de hausse des taux).

Les bulles d’actifs négociables, en revanche, ne semblent pas constituer une menace. Elles demeurent curieusement indétectables aux yeux d’un expert avisé comme Ben Bernanke… jusqu’au moment de leur explosion.

Le problème ne vient pas d’une exubérance irrationnelle des marchés, d’une altération du jugement des opérateurs ou de leur appétit immodéré pour le risque lorsqu’il y a un gros bonus à la clé… Non, tout est de la faute d’une défaillance de la « régulation ».

Mais n’allez pas croire que Ben Bernanke invite le Congrès US à y remédier sans délai en légiférant à tout-va. Ce n’est pas le moment d’embêter les banques avec de nouvelles tracasseries administratives : les Etats-Unis ne sont pas la France que diable !

Et la bonne tenue de Wall Street fait partie des grandes causes nationales, de celles qui mobilisent toute l’attention de la Fed et de la Maison Blanche. En France, depuis de Gaulle, il est bien connu que « la politique du pays ne se joue pas à la corbeille ».

Un aphorisme bien dans notre tradition nationale. Qui se souvient de cette célèbre formule de Vincent Auriol : « la Bourse, je la ferme, les boursiers, je les enferme » ? Et cette autre, qui nous semble plus éclairante : « les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer » (François de la Rochefoucauld).

La bonne tenue de Wall Street fait partie des priorités des autorités américaines (au travers de leurs solides relais dans le secteur bancaire) et cela se sent… pour ne pas dire que cela crève les yeux.

▪ Les indices américains ont préservé leur tendance haussière hier en clôturant in extremis sur une hausse symbolique. Le Dow Jones et le S&P ressortent une nouvelle fois du rouge à la dernière minute (et ce n’est pas une figure de style), pour afficher des scores de +0,02% et +0,05% respectivement.

Le Nasdaq en revanche a consolidé de 0,33%. Il préserve de justesse le palier des 2 300 points, alors que l’indice testait 2 297 points à deux minutes de la clôture. Pas question de terminer sur un plus bas du jour : cela trahirait une défaillance de la tendance haussière ou un manque de vigilance des sherpas de Wall Street.

Les indices américains apparaissent donc maintenus depuis deux séances au sein d’un étroit corridor de consolidation — si étroit, en fait, qu’une telle stabilité indicielle ne saurait refléter une hésitation spontanée de l’ensemble des opérateurs, surtout à 48 heures d’une accélération haussière mise au crédit d’un optimisme univoque des opérateurs à l’entame de l’année 2010.

Il résulte de ce scénario atypique un nouveau reflux de l’indice de stress dénommé le VIX. Pour la première fois depuis août 2008, celui-ci enfonce non seulement le seuil technique des 20 mais également le plancher 2009 des 19… démontrant un appétit pour le risque sans équivalent depuis l’automne 2007.

Les options de type put n’ont jamais été aussi bon marché depuis 16 mois. Elles testent des planchers en termes de volatilité : n’est-ce pas le but recherché que d’accumuler des positions défensives à des prix défiant toute concurrence ?

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