La Chronique Agora

Davos… ou comment glisser sur les vrais problèmes avec élégance

▪ Pouvait-on imaginer que les marchés consolideraient en pleine cérémonie d’ouverture du forum de Davos ?

De nombreux participants se pressaient devant les caméras des plus influentes chaînes généralistes ou économiques. Ils étaient là pour dire tout le bien qu’ils pensent de l’état actuel de la conjoncture mondiale… et affirmer à quel point ils sont convaincus de la réduction progressive des risques de nouvelle crise économique dans un avenir prévisible.

Certains invités du Forum de Davos sont venus également pour faire un peu de ski, la plupart préfèrent arpenter les halls en marbre des centres de conférence… mais tous excellent dans l’art de glisser sur les sujets qui fâchent. Sauf Nouriel Roubini qui, fidèle à son rôle de trublion, est le seul à indiquer qu’un véritable péril continue de menacer la reprise.

Il s’agit bien entendu des problèmes de refinancement des "PIIGS". Comme si le taux de 100% d’endettement des Etats-Unis et leurs 1 480 milliards de dollars de déficit en 2011 — c’est désormais le chiffre officiel — et la faillite de deux tiers des états de l’Union n’avait aucune importance.

Cet écueil n’a heureusement pas échappé à Klaus Schwab, le président du Forum. Il met les points sur les i dans une interview accordée à La Tribune. Il affirme en substance que la voie du redressement économique s’annonce étroite : "il va falloir trouver un équilibre délicat entre deux forces opposées ; d’un côté, la poursuite indispensable d’une politique vigoureuse d’austérité, synonyme de sacrifices et de réduction de la consommation, et de l’autre, la stimulation nécessaire de l’économie".

Comment se porterait la croissance dans les pays développés sans les béquilles de la dépense publique et du soutien des banques centrales au système financier ?

La réponse se trouve sous notre nez de citoyens européens : rechute du PIB britannique, récession en Grèce et en Irlande, 25% de taux de chômage réel en Espagne, faillite (dont personne ne parle) de la Hongrie et de la Bulgarie.

▪ Mais seules comptent les nouvelles macroéconomiques en provenance des Etats-Unis… Or celles d’hier étaient plutôt favorables : les investisseurs ont découvert un net rebond des ventes de logements neufs pour le mois de décembre aux Etats-Unis (+17,5%).

Les économistes constatent une remontée du nombre de transactions vers 321 000 en rythme annuel. C’est toutefois loin d’être suffisant pour indiquer la fin de la crise du secteur immobilier. Les ventes reculent en effet de 14% sur l’ensemble de l’année 2010 ; elles ont inscrit au passage un nouveau plancher historique jamais observé depuis plus de 47 ans.

▪ Mais Wall Street n’a d’yeux et d’oreilles que pour les informations qui flattent le consensus haussier. Il n’en fallait pas davantage pour propulser le Dow Jones au-delà des 12 000 et le S&P au contact de la résistance des 1 300 points, qui remonte à la mi-août 2008.

Rien ne devait venir troubler la sérénité ambiante. Les opérateurs n’attendaient guère de surprise à l’issue du Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC). Aucun changement de taux à l’horizon… mais la Fed devait rassurer Wall Street au sujet de la poursuite des injections de liquidités à haute dose d’ici juin prochain (600 milliards de dollars au total si tout se passe bien).

▪ Les cambistes continuent de faire le pari que la BCE sera la première à réintroduire un biais restrictif sur sa politique monétaire. Cela a soutenu l’euro face au dollar : il a établi un nouveau record annuel à 1,37 $ alors que le pétrole grappillait 0,6% à 86,7 $.

Il y a une chose merveilleuse : que le billet vert grimpe ou dégringole, il y a toujours un expert pour déclarer que c’est positif pour Wall Street.

Il n’y a plus qu’à adopter la même attitude intellectuelle au sujet du loyer de l’argent, et le concept même de correction technique des marchés financiers sera définitivement aboli !

▪ Essayez de trouver aujourd’hui un spécialiste de la bourse qui fonde son pronostic haussier sur le fait qu’avec des taux d’intérêt négatifs, il n’y a pas d’alternative aux placements en actions.

Mais pour acheter des actions, il faut de l’argent… et les classes moyennes en possèdent de moins en moins. Ce que les fonds de retraite investissent chaque mois resterait cependant suffisant pour absorber une partie du "papier" que les banques se revendent entre elles — chaque jour un peu plus cher puisque les liquidités de la Fed permettent de faire grimper les cours en l’absence d’une véritable demande finale.

Ceux qui possèdent de l’épargne-retraite en action aux Etats-Unis enragent de ne pouvoir protéger ou matérialiser les 100% de gains engrangés par le Nasdaq 100 ou le S&P. Ils n’ont en effet pas le droit de vendre tant qu’ils exercent une activité salariée ou qu’ils n’ont pas atteint l’âge requis pour toucher une pension ou récupérer une partie du capital.

Ceux-là, et ils sont des dizaines de millions, ne sont riches que virtuellement. Parallèlement, les day traders qui jouent avec l’argent de la Fed prennent leurs profits chaque jour qui passe, sachant que ceux qui portent le risque spéculatif sont précisément ceux qui ne spéculent pas (tout comme les contribuables portent le risque attaché aux créances pourries que le secteur privé a refilé aux banques centrales… n’est-ce pas, M. Bernanke ?).

Alors, pour rassurer tout le monde, les experts déclarent que les actions ne sont pas chères.

Mais pas chères par rapport à quoi ? Par rapport à des obligations au rendement artificiellement bas et qui ne peut que remonter ? Par rapport à la valorisation des dot.com en mars 2000 ou des banques en juin 2007 ? Par rapport au cours du palladium, de l’argent ou du cuivre qui sont au zénith historique ?

En réalité, les cours ne sont pas chers par rapport à ce que ces mêmes experts anticipent d’ici une semaine ou un mois… puisque chaque jour constituera un pas de plus vers de nouveaux sommets. Quand tout monte le lendemain, rien n’est cher la veille !

Vous pouvez compléter de vous-même la liste des indices et des actions bon marché.

A 12 000, le Dow Jones n’est pas cher par rapport à l’objectif des 14 000… A 2 750, le Nasdaq n’est pas cher par rapport à l’objectif des 3 000… Idem pour le CAC 40 à 4 000 par rapport aux 5 000 prévus pour la mi-2012. Dans la même veine, le secteur du luxe, qui se paie 20 fois les bénéfices, n’est pas cher par rapport à Hermès qui est valorisé 35 fois, etc.

Merlin l’Enchanteur peut ranger ses chaudrons, ses grimoires et sa baguette magique : son philtre de félicité éternelle est désormais en libre accès auprès des guichets de la Fed.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile