Le texte ci-dessous est la transcription du témoignage du Dr Joseph Salerno devant le sous-comité de politique monétaire (présidé par Ron Paul) du comité des services financiers de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Cette audience a été rendu possible grâce au soutien des généreux donateurs du Mises Institute.
Monsieur le président Paul, messieurs les membres du sous-comité, je suis très honoré d’avoir l’opportunité de me présenter devant vous aujourd’hui afin de m’exprimer sur le sujet du système bancaire de réserves fractionnaires. Merci de votre invitation et de votre attention.
Dans la courte période de temps qui m’a été impartie, je vais donner une brève description du fonctionnement du système bancaire de réserves fractionnaires, identifier les problèmes qu’il présente au regard du fonctionnement actuel des institutions et proposer des solutions possibles.
Une banque est une entreprise dont l’activité consiste à émettre des certificats de dépôt en échange d’une certaine somme d’argent déposée chez elle. Ces certificats doivent pouvoir être échangés contre de l’argent liquide sans délais et sans surcoût pour le déposant.
Aujourd’hui, ils peuvent prendre la forme de comptes courants permettant de réaliser des transferts à des tiers. Ils peuvent également prendre la forme de comptes d’épargne sur lesquels les déposants peuvent effectuer des retraits, mais qui ne peuvent pas être utilisés pour réaliser des transactions avec des tiers.
Aux États-Unis, l’argent liquide qu’il est possible de retirer en échange de l’argent détenu dans une banque prend la forme de billets émis par la Fed, les dollars avec lequel nous sommes tous familiers. Ces billets représentent la forme la plus tangible de monnaie dans le système monétaire américain contemporain.
Un système bancaire de réserves fractionnaires émerge lorsque les banques décident de prêter ou d’investir une partie des fonds déposés par leurs clients et donc de ne conserver en argent liquide qu’une fraction de ces dépôts. Cet argent liquide représente les réserves de la banque, d’où le terme de réserves fractionnaires. C’est ainsi que fonctionne l’ensemble des banques américaines de nos jours.
Laissez-moi illustrer comment ce système fonctionne avec un exemple simple. Supposons qu’une banque dispose d’un million de dollars en dépôts et décide de réaliser des prêts à hauteur de 900 000 $. Par souci de simplification, nous allons ignorer les fonds propres apportés par les actionnaires de la banque.
Dans cet exemple, la banque conserve donc une réserve égale à 10% des dépôts détenus par ses clients. Ces dépôts représentent une dette du point de vue de la banque puisqu’elle est tenue contractuellement de les restituer si les déposants le demandent.
Les actifs de la banque sont constitués de réserves en cash et de titres de créances. Cette dernière catégorie inclut notamment les lignes de crédit à court terme et les prêts immobiliers qu’elle accorde à ses clients ainsi que les bons du Trésor émis par le gouvernement américain et les États étrangers. Ces actifs représentent une promesse de remboursement d’une certaine somme d’argent, mais dans un avenir plus ou moins lointain.
Maintenant, la clef pour comprendre la nature du système de réserves fractionnaires et les problèmes qu’il entraîne réside dans le fait que les dépôts bancaires ne constituent pas en eux-mêmes de la monnaie. Ils représentent plutôt un « substitut monétaire », c’est-à-dire un droit à disposer d’une certaine quantité de monnaie (en l’occurrence, les billets émis par la Fed).
Ils sont perçus comme garantis et parfaitement sécurisés. Les dépôts bancaires transférables par chèque, virement ou carte de débit resteront acceptés comme moyen de paiement équivalent à de l’argent liquide tant que les agents économiques continueront d’avoir une confiance absolue dans la capacité des banques à rembourser en cash sans délais et sans surcoût leurs dépôts.
À cette condition uniquement, les dépôts bancaires peuvent être utilisés et détenus par les entreprises et les ménages et sont perçus comme équivalents à de l’argent liquide. Ils sont par conséquent inclus, à juste titre, dans la masse monétaire, c’est-à-dire la quantité totale de dollars en circulation dans l’économie.
Cependant, la nature même de ce système présente un problème pour les banques. D’un côté, l’ensemble des dépôts représentent une dette à maturité journalière puisque leur remboursement est potentiellement exigible à tout moment. De l’autre côté, seulement une petite fraction des actifs de la banque reste disponible sous une forme permettant d’assurer un remboursement immédiat des dépôts.
Par exemple, en temps normal, les banques américaines conservent en réalité largement moins de 10% des dépôts sous en réserve. Le reste des créances détenues par la banque n’arrivent généralement à maturité qu’après plusieurs mois, plusieurs années, voire plusieurs décennies dans le cas des emprunts immobiliers.
Dans le jargon économique, on dit que le système de réserves fractionnaires implique un « risque de maturité » résultant du décalage entre les durées de maturité des actifs par rapport aux passifs de la banque. Pour reprendre la formule consacrée, « les banques empruntent à court terme et prêtent à long terme ».
La faiblesse inhérente de ce système est révélée lorsque les demandes de retraits excédent les réserves disponibles de la banque. La banque est alors obligée de brader dans l’urgence certains de ces actifs à long terme, dont la plupart sont illiquides, entraînant de lourdes pertes pour la banque.
Cette situation risque de provoquer une panique parmi les déposants qui se précipiteront pour retirer leurs dépôts avant qu’il ne soit trop tard. C’est ainsi que se déclenchent habituellement les paniques bancaires. A ce stade, il est probable que la valeur liquidative des actifs de la banque soit insuffisante pour couvrir le montant dû aux déposants et l’établissement devra se déclarer en faillite.
Par conséquent, un système de réserves fractionnaires ne peut rester solvable que si les déposants pensent que leur argent est en sécurité et reste disponible à tout moment. Si, pour une raison quelconque, réelle ou purement imaginaire, les clients commencent à soupçonner que la banque pourrait ne plus être en capacité de leur rembourser leurs dépôts de façon immédiate, alors la réputation de l’établissement peut s’écrouler du jour au lendemain.
Dans cette situation, les substituts monétaires émis par la banque cessent immédiatement d’être acceptés et les déposants se précipitent pour retirer leur argent en cash, cash qu’aucune banque fonctionnant sur un modèle de réserves fractionnaires n’est capable de fournir sur demande à l’ensemble de ses déposants. Ainsi, les banques fonctionnant sur ce modèle risquent de basculer à tout moment dans une situation d’insolvabilité.
Cependant, la menace permanente d’insolvabilité est loin d’être le problème le plus grave que pose ce système. Après tout, cette menace est limitée aux déposants et aux actionnaires de la banque concernée et ils acceptent volontairement de prendre un tel risque. Les problèmes les plus importants posés par le système de réserve fractionnaires concernent sa nocivité sur l’économie dans son ensemble. Je vais vous donner deux exemples.
Un système porteur d’inflation
Premièrement, le système de réserves fractionnaires est intrinsèquement inflationniste. Quand une banque prête les dépôts de ses clients, cela augmente la quantité de monnaie en circulation.
Par exemple, sans système de réserves fractionnaires, quand un client dépose 100 000 $ dans une banque, il dispose à présent de 100 000 $ sur son compte bancaire et la banque dispose de 100 000 $ de liquidités supplémentaires dans ses coffres.
La masse monétaire globale, qui inclut à la fois les billets en circulation dans l’économie et le solde des comptes bancaires, n’a pas changé. La quantité d’argent liquide en circulation s’est réduite de 100 000 $, puisque cet argent est maintenant conservé dans les coffres de la banque, mais le compte bancaire du déposant a été crédité de la même somme, somme maintenant disponible pour réaliser des paiements par chèque ou par carte.
Supposons maintenant que le dirigeant de la banque décide d’utiliser l’argent déposé pour prêter à différentes entreprises et ménages la somme totale de 90 000 $ et de ne conserver en réserve que 10 000 $. Cette décision a pour conséquence d’augmenter la quantité de monnaie en circulation à hauteur de 90 000 $ puisque le déposant a toujours à sa disposition la somme de 100 000 $, et que les emprunteurs disposent à présent de 90 000 $ supplémentaires.
Le phénomène d’expansion de la masse monétaire ne s’arrête pas là ; en effet au moment où les emprunteurs commencent à dépenser les fonds prêtés, par exemple pour acheter des marchandises ou payer des salaires, les récipiendaires de ces fonds vont à leur tour les déposer sur leurs comptes bancaires et ces dépôts serviront à financer de nouveaux prêts.
Au travers de ce processus, la quantité de monnaie existante sous la forme de dépôts bancaires est démultipliée bien au-delà du montant initialement déposé (compte tenu des règles actuellement fixées par les autorités aux États-Unis, chaque dollar déposé dans une banque peut entrainer une expansion de la masse monétaire allant jusqu’à dix fois cette somme).
Lorsque ces nouveaux dépôts bancaires sont dépensés à leur tour, il s’ensuit une augmentation progressive des prix. La conséquence inévitable est donc un surcroît d’inflation, avec tous les problèmes qui lui sont associés.
Le mépris de l’épargne
Un deuxième facteur permet d’expliquer le caractère dévastateur du système de réserves fractionnaires pour l’économie. Afin de pouvoir prêter aux ménages et aux entreprises la monnaie supplémentaire créée, les banques doivent réduire leurs taux d’intérêt en dessous du taux naturel d’équilibre du marché qui est normalement déterminé par la quantité d’épargne volontaire disponible.
La baisse artificielle des taux d’intérêt pousse les entreprises à emprunter davantage afin d’augmenter leurs capacités de production ou mettre en œuvre de nouveaux projets d’investissements à long terme. Mais les prévisions de rentabilité de ces nouveaux investissements sont basées sur l’hypothèse que les taux vont rester bas plus ou moins indéfiniment.
Les consommateurs sont également induits en erreur par la baisse des taux d’intérêt. Le faible niveau des taux les incite à acheter par exemple une plus grande maison ou une résidence secondaire. Ils peuvent également être incités à emprunter davantage en utilisant leur maison comme collatéral afin d’acheter des biens de consommation ostentatoires.
C’est ainsi que se forme une expansion économique artificielle. Mais dès que les taux d’intérêt remonteront, ce boom prendra fin et à laissera place à une crise économique.
Au cours de la phase d’expansion inflationniste du cycle, la demande de crédit ainsi que les retraits de liquidités des banques s’amplifient afin de financer les achats du quotidien dont les prix ne cessent d’augmenter. Face à cette situation, les banques sont obligées d’augmenter leurs taux d’intérêt et de réduire le montant des prêts accordés.
Durant la phase de récession qui s’ensuit, les conséquences de l’orgie de surconsommation et de mauvais investissements se révèlent avec brutalité : les projets de construction sont abandonnés, les nouveaux centres commerciaux restent vides et les saisies immobilières se multiplient.
A la fin de la phase de récession, quasiment toute la population s’est appauvrie en raison du système de réserves fractionnaires, y compris ceux qui en avaient initialement bénéficié de la phase d’expansion inflationniste.
L’inflation et les cycles économiques causés par le système de réserves fractionnaires sont considérablement aggravés par l’intervention de la Fed et du gouvernement américain dans le secteur bancaire.
Les formes les plus dangereuses de cette politique interventionniste sont les suivantes : le pouvoir dont dispose la Fed de mettre à disposition des banques de nouvelles réserves créées ex nihilo par le biais des opérations d’open market (consistent en l’achat de titres par la banque centrale sur le marché interbancaire) ; l’utilisation en tant que prêteur en dernier ressort de sa capacité de création de réserves nouvelles pour sauver de la faillite les banques en difficulté ; et la garantie publique des dépôts bancaires.
En raison de l’existence de ces politiques, les dépôts bancaires de l’ensemble des établissements financiers bénéficient du même degré de confiance de la part du grand public, puisqu’ils sont perçus comme étant garantis par le gouvernement fédéral et la Fed au travers de sa capacité à créer si besoin de nouvelles liquidités pour renflouer les banques insolvables.
Sous ce régime monétaire, il n’y a absolument aucun mécanisme limitant la propension naturelle des banques dans un système de réserves fractionnaires à aggraver le déséquilibre entre les durées de maturité de leurs actifs par rapport à leurs passifs, à accroître le volume des crédits accordés et à provoquer ainsi une baisse artificielle du niveau des taux d’intérêt.
Nous pouvons nous attendre dans ces conditions à continuer d’assister à un enchaînement ininterrompu de nouvelles bulles dans différents secteurs économiques et de crises financières successives.
Pour une industrie bancaire libre, responsable et exposée à la faillite
La seule solution consiste à laisser l’industrie bancaire fonctionner comme n’importe quelle autre industrie, c’est-à-dire sous la forme d’un marché libre, un marché libéré du système de garantie publique des dépôts et des interventions de la Fed visant à renflouer les banques en difficulté. Afin de réaliser cet objectif, il est nécessaire de retirer à la Fed, de façon crédible et permanente, le pouvoir de fournir aux banques de nouvelles réserves créées ex nihilo.
La meilleure façon d’y arriver est de rétablir un système monétaire basé sur un étalon-or. L’argent liquide en circulation et les réserves bancaires prendraient la forme de pièces d’or. Dans le même temps, la Fed se verrait retirer le pouvoir d’émettre des billets et de conduire des opérations d’open market.
Enfin, les banques seraient de nouveau autorisées à émettre leurs propres certificats monétaires, comme c’était déjà le cas au cours du XIXème et au début du XXème siècle.
Lorsque ce recul massif de l’interventionnisme étatique dans le secteur bancaire aura été accompli, la capacité d’émission de nouveaux substituts monétaires par les banques fonctionnant sur le modèle de réserves fractionnaires serait fortement restreinte du fait de la nécessité pour ces établissements de conserver la confiance de leurs clients.
Une seule erreur, un seul prêt douteux, une opération imprudente d’émission de certificats non couverts par des réserves suffisantes, entraînerait l’effondrement de la confiance dans les substituts monétaires émis par l’établissement, les déposants retiraient leurs dépôts dans la précipitation et la banque serait condamnée à la faillite.
En fait, sur un marché tel que celui que j’ai décrit, on peut prévoir que le risque permanent de faillite qui caractérise le système de réserves fractionnaires pousserait les banques à mettre fin à leurs opérations de prêts financés par les dépôts à vue de leurs clients.
Elles conserveraient dans leurs coffres et distributeurs automatiques le montant total de ces dépôts. Ceci implique que si une banque désire accorder un prêt sur une durée plus ou moins longue, elle devrait préalablement émettre un instrument de crédit dont la maturité correspondrait à la durée du prêt accordé.
Par exemple, les lignes de crédit à court terme en faveur des entreprises clientes seraient exclusivement financées à l’aide des dépôts réalisés sur des comptes à terme avec une maturité entre trois et six mois. Les prêts à la consommation pour l’acquisition d’un véhicule seraient financés en émettant au préalable des obligations courtes, sur trois à cinq ans. Les prêts immobiliers seraient financés à l’aide d’obligations à moyen terme, entre cinq et dix ans.
Sans la garantie implicite du gouvernement fédéral sur les prêts immobiliers au travers d’institutions telles que Fannie Mae et Freddie Mac, renforcée par le pouvoir de création monétaire de la Fed, la plupart des prêts immobiliers prendraient la forme de prêts à terme sur des durées plus courtes qu’aujourd’hui, de l’ordre de cinq à dix ans.
La banque pourrait accorder ce type de prêts tout en se réservant la possibilité à l’échéance de l’emprunt de le renouveler pour une nouvelle période de cinq à dix ans en fonction de la situation des marchés financiers, du risque de crédit de l’emprunteur et de l’environnement macroéconomique.
Pour résumer, sur un marché libre, le système de réserves fractionnaires, avec tous les problèmes qu’il entraîne, serait condamné à disparaître progressivement.
Article initialement publié en langue anglaise par le Mises Institute