La Chronique Agora

Culture : c’est l’Etat qui décide !

Nos politiciens ne sont décidément pas fichus comme tout le monde. Eux disposent d’un goût artistique et d’un sens de l’esthétique supérieur, alors que vous et moi, qui n’avons pas fait l’ENA, ne sommes que des badauds incapables de faire la distinction entre « bonne » et « mauvaise culture »…

De la clairvoyance de l’Etat dans la distinction entre « bonne culture » et « mauvaise culture »

Commençons avec un peu de littérature.

Jusqu’à ce que soit médiatisée fin 2019 la publication du Consentement, le livre témoignage de Vanessa Springora (Grasset, 2020), Gabriel Matzneff, qui a commencé à entretenir des rapports sexuels avec cette dernière alors qu’elle n’avait que 14 ans, était classé dans la « bonne culture » – celle qui est hautement recommandée par les fonctionnaires du monde de la Culture et, par conséquent, lourdement subventionnée.

Les faveurs de ceux qui flèchent les deniers publics ne sont cependant pas réservées à la mafia littéraire.

Si vous êtes artiste plastique, il vous est également possible de devenir éligible à la reconnaissance officielle, voire à des subventions sonnantes et trébuchantes. Il suffit pour cela de faire dans la performance live sur des thématiques qui passionnent les pouvoirs exécutifs occidentaux.

Norvège, décembre 2019 : un « artiste » qui peint avec son anus reçoit 3,7 millions d’euros en fonds publics.

Peut-être avez-vous envie de me rétorquer qu’il ne s’agit-là que d’exceptionnelles « dérives ».

Je vous concède volontiers que j’ai choisi-là des exemples farfelus.

Il y a cependant un moment où il faut être cohérent. Quiconque est en faveur de l’existence même d’un ministère de la Culture doit être prêt à en assumer non pas les simples dérives, mais les inévitables conséquences.

Quand « l’Etat stratège » se mêle de culture

La culture est bien entendu l’un des domaines qui se prête le mieux au détournement d’argent public sous couvert de bonnes intentions. Quel genre d’esprit grincheux faut-il en effet être pour ne pas avoir envie de vivre dans les rêves éveillés de Benoît « le bienheureux » Hamon ?

Le problème, dès lors que l’on remet le pouvoir de flécher de l’argent public entre les mains du pouvoir politique, c’est que l’on a vite fait de tomber dans le dirigisme. Voire dans le dirigisme général, dès lors que l’on s’éloigne de la province pour se rapprocher de Paris.

Si vous ne connaissiez pas la direction générale de la création artistique (DGCA), sachez qu’il s’agit de ceci :

« [Une entité qui] définit, coordonne et évalue la politique de l’Etat relative aux arts plastiques et au spectacle vivant, en l’inscrivant dans une logique plus large d’aménagement et de développement du territoire. Ses missions couvrent, dans les domaines relevant de ses compétences, le soutien à la création, l’aide à l’insertion professionnelle, l’enrichissement des collections publiques, l’élargissement des publics et des réseaux de diffusion… »

Sur son organigramme, vous pourrez admirer l’armée mexicaine de chefs, sous-chefs, délégués et autres adjoints qui composent les différents services et bureaux de la DGCA, qui est donc là pour « soutenir » et « accompagner » la création artistique à différents niveaux, comme on peut le lire sur son site internet. 

Voilà pour le sommet de notre dispositif culturel étatique.

« En France, l’Etat déclare ce qui est de l’art ou ne l’est pas »

Si l’on descend à l’échelon régional, on trouve une litanie de bidules étatiques qu’Aude de Kerros décrit par le menu sur le site Contrepoints :

« Jack Lang, pourvu d’un important budget, a créé en quelques mois toutes les institutions nécessaires pour encadrer la création : FRAC [Fonds régional d’art contemporain], DRAC [Direction régionale des Affaires culturelles], CNAC [Centre national des arts du cirque], etc., etc., ainsi que les ‘inspecteurs de la création’, corps de fonctionnaires spécialisé pour les diriger.

En 1983, en une après-midi, ont été créés 23 FRAC, nommés 23 directeurs, un par région, disposant des fonds régionaux pour la formation de leurs collections. Ils seront complétés par la création de ‘Centres d’art contemporain’, confiés à des associations subventionnées, aujourd’hui une cinquantaine. »

L’intervention de l’Etat dans le domaine des Arts et des Lettres a toujours été forte en France. La création du ministère des Affaires culturelles en 1959, souhaitée par Charles de Gaulle pour permettre au gouvernement de Michel Debré de bénéficier de l’aura d’André Malraux, a entériné le recoupement de services qui dépendaient jusqu’alors de divers ministères.

Si l’action culturelle de l’Etat s’est progressivement accrue, avec l’avènement des comités régionaux des affaires culturelles (ancêtres des DRAC) et un soutien fort à la professionnalisation du métier d’artiste, l’Etat a su conserver une relative impartialité au niveau des différents courants artistiques.

Or avec l’élection de François Mitterrand en 1981, c’est une véritable rupture dans la tradition culturelle française qui s’est opérée. Le dirigisme étatique a changé de braquet au travers de la mise en avant d’un seul courant artistique au détriment de tous les autres : l’art contemporain.

Si vous vous demandiez comment Paris, autrefois célèbre pour accueillir simultanément « tous les courants artistiques d’Europe et du monde, de l’académisme aux avant-gardes les plus diverses, de toutes les singularités », comme le rappelle Aude de Kerros, est devenue la ville du plug anal géant de la place Vendôme et du « vagin de la reine » des jardins de Versailles, voici la réponse : merci Jack et François.

Et Aude de Kerros de poursuivre :

« Depuis 1981, les mêmes fonctionnaires décident pendant les 40 ans que dure leur carrière… difficile d’imaginer un système plus conservateur ! Ainsi, militants de l’avant-gardisme conceptuel théorique et pérenne, ils ignorent superbement tout ce qui échappe au dogme. Leur systématisme a été mortifère en provoquant une concurrence déloyale, en rendant peu viable toute initiative non labellisée par l’Etat. Ainsi, en peu de temps, la diversité de la création a disparu de la visibilité ».

Après cela, il devient difficile de prendre Franck Riester au sérieux lorsqu’il nous raconte que la culture est « au service de toutes et tous »…

Au fil des années, les mailles du filet décrit par Aude de Kerros se sont resserrées à tous les échelons de la chaîne de création et de diffusion de la culture, en faveur de « la stricte observance d’une ligne commune ». Bye bye la liberté et l’autonomie de l’artiste.

Résultat des courses ? Le même qu’à chaque fois que l’Etat se mêle de ce qui ne le regarde pas, explique encore Aude de Kerros :

« Le résultat de cette politique d’Etat est négatif. Malgré l’importance de son interventionnisme, même les artistes les plus subventionnés ne sont reconnus ni en France ni à l’étranger, et ce malgré les innombrables services rendus au grand marché financier des arts. »

Voilà résumé en quelques mots les conséquences de la stratégie française dans le domaine culturel. Rien que les auteurs libéraux n’aient vu venir…

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