La Chronique Agora

La culture a-t-elle besoin de l’Etat pour se diffuser ?

Samedi passé, nous avons vu que la culture, au sens des dépenses engagées par l’Etat dans ce secteur, n’est pas une mince affaire sur le plan pécuniaire : son coût se monte, tous ministères confondus, à 4,12% du budget général de l’Etat (soit 212 € par habitant).

Le principe de la redistribution de cette nourriture providentielle est le suivant : Paris se taille la part du lion et le reste du territoire se partage les miettes. Si vous habitez en province, vous êtes largement exclu des dépenses culturelles étatiques, tout en n’ayant pas d’autre choix que les financer.

Cependant, aux yeux de ceux qui profitent de cette manne, soit en la distribuant soit en la recevant, les 14,189 Mds€ alloués à la Culture sont légitimes, et ce pour au moins deux raisons. Non seulement parce que les politiques qui dirigent nos institutions estiment que l’Etat est l’entité ad hoc pour démocratiser la culture, mais également parce qu’ils prétendent savoir distinguer la « bonne culture » de la « mauvaise culture ».

Les étatistes croient-ils vraiment que l’Etat est le mieux placé pour diffuser la culture ?

Pour essayer de répondre à cette question, je vais m’appuyer sur l’exemple du fameux pass Culture, cette promesse de campagne du candidat Macron actuellement déployée dans 14 départements. Il s’agit d’un cadeau d’anniversaire prenant la forme d’un bon d’achat de 500 €, accessible via une application mobile, offert par le contribuable et remis lors de ses 18 ans à chaque personne résidant sur le sol français depuis au moins un an.

Permettez-moi de faire une parenthèse sur mon expérience personnelle. Je suis né en 1984. A l’époque où j’étais encore étudiant, il était déjà relativement aisé, pour quiconque savait à peu près se servir d’un ordinateur, de s’informer, de s’instruire voire de se divertir en dehors des bibliothèques et autres médiathèques, ces lieux sans cesse plus nombreux et pourtant en voix de désertification avancée suite à la démocratisation d’internet et des technologies numériques.

Nous sommes aujourd’hui en 2020. Pensez-vous sérieusement que 19 ans après la création de Wikipédia par Jimmy Wales et Larry Sanger, 15 ans après celle de YouTube par Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, 13 ans après que les Californiens de Netflix ont lancé leur service de vidéo à la demande et 12 ans après la création de Spotify par les Suédois, les jeunes Français ont encore des difficultés « d’accès à des contenus culturels » ?

Moi non plus. Or on doit la démocratisation de la culture, ou plutôt de son accès, non pas à des fonctionnaires du ministère éponyme mais à des entrepreneurs qui ont su bâtir des services dont raffole la population, et ce pour des sommes très modiques, voire sans que cela ne lui coûte ne serait-ce qu’un centime.

Quiconque souhaite aujourd’hui se cultiver où se divertir n’a désormais aucun besoin de l’Etat pour ce faire. Il suffit de disposer d’une connexion internet digne de ce nom et de savoir où chercher.

Alors bien sûr, s’il s’agit de financer des places de cinéma ou de concert, comme le permet le pass Culture, alors le problème n’est plus le même.

Il ne s’agit plus d’assurer la « cohésion sociale et territoriale », comme le prétend Franck Riester, mais de faire un cadeau de Noël à de futurs électeurs, dans la plus pure tradition clientéliste française. (S’il y a encore des gens que cela intéresse, je rappelle que la dette publique française devrait tutoyer les 120% d’ici la fin de l’année…)

Et puis pendant qu’on y est, autant faire prendre en charge cette gabegie par YouTube et consorts – on n’est plus à une incohérence près.

Il manquait à la France une usine à gaz culturelle : patientez encore un peu, elle est pour le moment en phase de test

Ne croyez pas cependant que l’Etat allait laisser les jeunes gens disposer de ces 500 € comme bon leur semble – ce serait trop facile. Comme vous le savez, qui dit subvention dit conditions. Et si le pass Culture n’est pas généralisé à l’ensemble du territoire, c’est uniquement parce que l’Etat n’a pas encore terminé de concevoir l’usine à gaz qu’a vocation à devenir ce dispositif une fois l’édifice contractuel achevé.

Voici ce que l’on sait déjà : presse = « bonne culture », alors que Netflix et Spotify = « mauvaise culture ».

De la même manière, librairies physiques = « bonne culture », alors que livre acheté sur Amazon = « mauvaise culture ».

 

Voilà qui ne manquera pas de contribuer à la modernisation de notre économie…

Par ailleurs, sans doute une fois le dispositif généralisé à l’ensemble du territoire aurons-nous droit à une liste des produits et services culturels (journaux, magazines, livres, concerts, jeux vidéo, etc.) qui bénéficieront de l’approbation du gouvernement en fonction du cahier des charges du moment (parité des personnages principaux, inclusivité…) et qui auront par conséquent l’honneur d’être éligibles au pass Culture.

Bref, s’il y a une chose que les jeunes gens découvriront avec ces « 500 € en provenance directe du cul d’une licorne » (pour reprendre l’expression d’h16), c’est bien la culture de l’usine à gaz à la française.

Heureusement, nul doute que ces modestes limites en termes de choix seront vite oubliées lorsque nos jeunes gens auront été hissés au même niveau de conscience culturelle que les hauts décisionnaires du monde de la culture subventionnée.

Pour les représentants de l’Etat, la Culture, c’est en effet comme le chasseur : il y a « la bonne », et « la mauvaise », et eux seuls sont à même de faire le distinguo…

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