Toujours friand de régulation, le monde politique s’empresse de vouloir mater le phénomène bitcoin, prétextant un grave danger pour la stabilité financière.
Le 24 janvier 2018 à Davos, Emmanuel Macron a évoqué le bitcoin. Ceux qui avaient gardé en tête la photo du ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique qui arborait tout sourire un Ledger Wallet Blue en 2017 en ont été pour leurs frais.
En effet, alors qu’il représentait l’exécutif français au Forum économique mondial, Emmanuel Macron s’est exprimé dans des termes pas très crypto-friendly :
« Le bitcoin, les monnaies virtuelles, le shadow banking, tous les plus agressifs sur les marchés financiers, ceux qui peuvent créer des crises financières, déréguler des systèmes. »
Naturellement, pour notre président, une réglementation s’impose :
Là où je suis d’accord avec Emmanuel Macron, c’est pour dire que la question de la réglementation du système financier a bien un effet sur les crises financières. Mais cet effet est, selon moi, secondaire.
En prétendant que « les monnaies virtuelles, le shadow banking » peuvent « créer des crises financières », il me semble que le président rate le cœur du problème, ou plutôt se fiche de nous.
La responsabilité de l’investisseur ? Connais pas…
On notera que Cédric Villani, député LREM dans la cinquième circonscription de l’Essonne et Vice-président de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, une entité qui a pour mission d’éclairer le Parlement sur les sujets à caractère scientifique et technologique), n’est guère plus enthousiasmé qu’Emmanuel Macron par les cryptomonnaies : « qui va porter la responsabilité ? C’est le principal reproche que l’on peut faire au bitcoin : qui est responsable si Bitcoin s’écroule ? Je trouve le bitcoin plutôt effrayant qu’enthousiasmant », confiait-il lors d’un débat sur l’avenir de la monnaie à la Banque de France.
Si vous voulez écouter d’autres sons de cloche, venez nombreux à cette conférence à Biarritz le samedi 7 avril prochain. |
Au cas où vous l’ayez oublié, que voilà une jolie piqûre de rappel du principe selon lequel, pour tout ce beau monde qui nous dirige, l’individu est incapable de prendre des décisions éclairées et il n’a par ailleurs nullement vocation à assumer les conséquences de ses actes.
Que ce soit en matière de nutrition comme en matière d’investissement, l’Etat doit intervenir pour vous protéger de votre plus grand ennemi : vous-même. Une position étonnante venant de quelqu’un qui ne se conçoit « ni à gauche, ni à droite, ni au centre »… mais plus explicable si on sait que Cédric Villani a présidé le comité de soutien de la socialiste Anne Hidalgo lors des élections municipales de mars 2014.
Du côté des médias, certains entretiennent le FUD (« fear, uncertainty and doubt », crainte, incertitude et doute, en français) en oubliant de rappeler que dès lors que vous n’êtes pas trop feignant, vous pouvez transférer vos cryptos d’une plateforme d’échange à un wallet détenu en propre, ce qui évitera que vos clés privées ne soient à la merci de hackers éventuels du site où vous avez vos habitudes. Ce qui rejoint aussi la notion de responsabilité avec laquelle tant les politiques que les grands médias ont décidément un problème.
Coincheck, la plateforme en cause, a annoncé qu’elle allait rembourser les victimes en quasi-totalité. Refermons cette parenthèse.
La prochaine crise financière viendra-t-elle des cryptomonnaies ?
Pour répondre à cette question, il faut connaître deux choses : 1. qui est positionné sur le marché des cryptos et 2. quelle est la taille de cette galaxie dans l’univers financier.
Les investisseurs institutionnels sont-ils présents sur le marché des cryptomonnaies ? Non. En tout cas, pas encore.
Est-ce que ce sont les entreprises qui sont largement investies en cryptomonnaies ? Oui et non. Oui pour celles qui évoluent au coeur de ce domaine, non pour les autres.
Alors ce seraient les particuliers qui feraient le marché ? Les plateformes d’échange sont en effet débordées par les demandes d’inscription, à tel point que certaines d’entre elles se sont vues obligées de suspendre ces demandes. Il est également vrai que des particuliers américains sont allés jusqu’à mettre leur maison en hypothèque pour rentrer sur le marché. Cependant, ce ne sont là que quelques arbres qui cachent une immense forêt.
Si ce ne sont pas les « zinzins », ni les entreprises, ni les particuliers qui font le marché, qui fait alors le prix du bitcoin et des altcoins ?
Les principales cryptos sont détenues par une minorité de « baleines »
La réponse est que sur la plupart des cryptos, le marché reste très largement concentré, aux mains d’une poignée d’adresses.
Une note de Crédit Suisse en date du 11 janvier vient confirmer ce qui n’était qu’un secret de polichinelle : pour ce qui est du bitcoin, 4% d’early adopters et de plateformes détiennent 97% du marché.
Business Insider rapporte que « la banque dit que cette concentration de la richesse indique que le bitcoin est une valeur refuge, comparable à l’or ».
On retrouve ce phénomène sur moult autres altcoins, les sociétés à l’origine d’une nouvelle crypto réservant très souvent une très large part de leurs tokens ou jetons pour leur usage propre et pour leurs fondateurs. C’est par exemple l’une des raisons pour lesquelles Ripple est très critiqué.
Quid en cas d’effondrement des cours ?
Par conséquent, que se produirait-il en cas d’effondrement définitif du bitcoin et de ses petits frères ?
Quelques milliardaires en cryptos se retrouveraient sans doute millionnaires et les sociétés de l’écosystème des cryptomonnaies déposeraient le bilan.
Restent les particuliers qui ont investi sur ce marché. Dans un pays en pointe de la technologie comme la Corée, on parlait de 30% des salariés positionnés sur les cryptos fin décembre 2017.
En France, un mois auparavant, YouGov avançait le chiffre de 3% de la population ; sans surprise, ce sont les plus jeunes qui ont mis un pied dans le monde des cryptos (14% des 18-24 ans, 16% des 25-34 ans pour seulement 2% des plus de 55 ans). Il ne s’agit donc pas vraiment des épargnants qui peuvent se permettre de mettre en jeu les sommes les plus considérables.
Dans l’hypothèse d’un effondrement décisif du cours des cryptos, les journaux télévisés feraient sans doute leurs choux gras des quelques irresponsables qui se sont endettés pour acheter du bitcoin, mais je doute fort que cela mettrait le système financier en danger. En tout cas, pas tant que le marché sera aussi concentré et d’aussi petite taille.
Il est en revanche bien d’autres raisons de redouter une nouvelle crise financière qu’Emmanuel Macron s’est abstenu d’évoquer à Davos !