La Chronique Agora

Croissance européenne en berne, hausse du pétrole : même pas mal pour les marchés !

▪ Attendez, un « 0,00 » (zéro, virgule zéro, zéro) comme celui-là, c’est trop beau, je prends la photo !

Je tire mon chapeau, mes compliments aux programmeurs des robots, c’est du bon boulot !

Nous sommes face à de vrais magiciens, pas à des zozos : personne n’a rien vu, tout le monde est bluffé, je dis bravo !

Vous l’avez certainement deviné, je fais référence à la clôture du CAC 40 jeudi soir : 0,00% à 3 447,3. Pendant ce temps, l’Euro-Stoxx 50 a lâché 0,45% au final, et même plus de 1,2% vers 15h45.

Paris a effacé au cours de la dernière heure l’intégralité de ses pertes et termine parfaitement inchangé, ce qui n’étonne guère les permabulls. En effet, toute idée de consolidation leur apparaît comme une sorte d’impossibilité intellectuelle. Ils vous expliqueront que c’est lié au retour de Wall Street dans le vert (après une entame de séance laborieuse), conformément aux anticipations du début de matinée de jeudi.

Le Dow Jones avait commencé par perdre 60 points — dans le sillage de Hewlett Packard qui va s’imposer une cure d’austérité de plusieurs années, comme si HP n’était pas déjà en mode crise depuis 10 ans ! — avant de revenir flirter avec les 13 000 points.

Le Nasdaq se distinguait au moment de la clôture des places européennes avec un gain de 0,7% qui effaçait le repli des deux séances précédentes. Mais cela ne répond pas à notre interrogation initiale : quelle genre d’actualité (ou éventuellement de rumeur) explique ce regain d’optimisme ?

▪ Actualité grise mais les marchés voient rose
Parce que même en cherchant bien, nous avons du mal à trouver la moindre actualité pouvant alimenter une vision plus positive de la situation. Il ne s’agit certainement pas des prévisions de la Commission européenne. Cette dernière s’attend à une contraction de l’activité de 0,3% dans l’Eurozone en 2012, au lieu d’une croissance de 0,5% lors de sa précédente évaluation en novembre dernier.

L’Allemagne et les Pays-Bas devraient stagner ou reculer de 0,3%, l’Espagne fera -1,1%, l’Italie -1,3%, le Portugal pas loin de -2%, la Grèce -4,4% (si tout va bien !). La France va devoir déployer des trésors d’ingéniosité statistique pour délivrer (l’expression à la mode) de la croissance au lieu de basculer en récession comme l’immense majorité de nos plus proches partenaires commerciaux.

La seule touche de ciel bleu aperçue au cours d’une journée particulièrement grise au nord de la Loire s’est matérialisée tout à l’est avec l’amélioration du climat des affaires en Allemagne. Le baromètre de l’institut FO est remonté à 109,6 en février, contre un consensus de 109, après 108,3 en janvier.

Mais pour connaître la teneur de l’IFO, rien de plus simple : jetez un oeil sur le DAX 30, s’il a grimpé au cours des quatre dernières semaines, les sondés auront le sourire ; s’il a chuté, ils se diront victime d’un coup au moral. La Bourse de Francfort a toute de même terminé en repli jeudi, l’Espagne et l’Italie ont chuté de 1,5%… mais cela n’a pas suscité une ligne de commentaire de la part des médias économiques français.

▪ Les indices américains mènent le bal
Si des indices affichent bêtement des scores négatifs quand Wall Street est orienté à la hausse, c’est donc qu’il convient de se focaliser sur le Dow ou le Nasdaq. Ce sont eux qui donnent le ton pour la séance du lendemain. S’il s’était produit un repli la veille sur l’Euro-Stoxx 50, c’est par définition comme s’il n’avait jamais eu lieu.

Pour faire grimper Wall Street, cela se confirme, il n’est nul besoin qu’il y ait de bonnes nouvelles. Il suffit qu’il n’en surgisse pas de mauvaises. Les inscriptions hebdomadaires au chômage sont restées inchangées aux Etats-Unis la semaine dernière, à 351 000, alors que les économistes attendaient une légère hausse, de l’ordre de 7 000.

Vu l’état d’esprit actuel, la hausse du pétrole ne renvoie pas les opérateurs aux tensions géopolitiques au Proche-Orient, au Soudan, au Nigeria mais aux anticipations d’un plan de relance en Chine et l’espoir que la reprise s’accélère aux Etats-Unis avant les élections de novembre.

L’envol du prix du baril largement au-delà des 108 $ à New York jeudi soir, le Brent battant un nouveau record annuel à 124,5 $ n’est pas perçu comme une menace pour la croissance.

C’est la contrepartie d’un recul du dollar face à l’euro. Ce dernier franchit allègrement la résistance des 103,3 pour se rapprocher rapidement des 104,00 $, c’est un signe de confiance dans la résolution des difficultés que connaît l’Eurozone.

▪ Les marchés seraient-ils masochistes ?
Quel que soit en fait le coup de bâton qui frappe déjà ou frappera immanquablement nos économies dans quelques mois, ce n’est pas une source de douleur pour le marché mais une source de satisfaction !

Pour résumer l’actualité des 10 derniers jours : un plan de sauvetage de la Grèce ruineux pour les contribuables français ou allemands et auquel personne ne croit : même pas mal !

Une hausse de l’euro qui risque d’enfoncer les pays du sud encore plus profondément dans leur manque de compétitivité : même pas mal !

Le diagnostic d’une récession en Europe en 2012 par la Commission européenne ou l’OCDE, malgré l’activisme de la BCE : même pas mal !

Un baril qui grimpe à toute vitesse en direction des 114,5 $ à New York et 130 $ sur le Brent (bientôt le litre de « sans plomb 98 » à 2,00 euros et le fioul domestique à 1,10 euro en France) : même pas mal !

Des indices boursiers qui progressent depuis 10 semaines sans désemparer… Un Nasdaq qui aligne 33 séances de hausse sur 45 (dont huit se sont soldées par des consolidations d’une ampleur inférieure ou égale à 0,5%… et aucune ne s’est avérée supérieure à 0,55% depuis le 1er janvier) : sans aucun mal !

Le marché ne ressent donc plus la douleur, ni le chaud ni le froid, ni le doute ni l’effroi.

▪ La BCE : le dealer des marchés
Il affronte les aspérités et les déconvenues du monde réel sans jamais éprouver le même genre de sensations désagréables que le commun des mortels. Comme un drogué réfugié dans son paradis artificiel et qui n’a d’autre choix que d’augmenter perpétuellement la dose.

Et quelle puissante drogue rend les individus à ce point indifférents et insensibles sinon l’héroïne, plus communément abrégé sous la forme « héro » ?

Et quel est le nom du stupéfiant sous forme liquide dont la BCE est en train de charger sa seringue pour le puissant shoot du 29 février ?

Le LTRO (comprenez le LT « héro ») naturellement !

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