** Ceux qui auraient choisi de faire un long… un très long pont au mois de mai vont retrouver leur portefeuille pratiquement intact si jamais leur retour est programmé pour le lundi 19. Ils se seront de surcroît épargné une pénible journée de lourdeur orageuse mercredi dernier et un mouvement de grève dans la fonction publique jeudi.
Avec une quatrième séance de hausse consécutive hier, le CAC 40 achevait de reprendre le terrain perdu vendredi dernier, mais il lui manque encore 0,2% pour égaler ses niveaux de clôture du vendredi 2 mai. Avec l’aide de Wall Street — qui a bondi de 1% pour des motifs relativement obscurs compte tenu de l’actualité financière du jour… à moins qu’il ne s’agisse du fol espoir de voir Yahoo! racheté par Microsoft à 35 $ –, ce petit handicap ne devrait pas être trop difficile à combler.
La journée du 15 mai s’est soldée le plus souvent par des variations indicielles quasi nulles, non seulement à Paris (+0,04%) mais également sur l’ensemble des places européennes. Francfort, Milan et Madrid s’effritaient de 0,05% à 0,1% au maximum, l’Euro Stoxx 50 lâchait à regret 0,07% et il fallait se tourner vers Londres (+0,6% grâce aux valeurs minières) ou Zurich (+1,2% grâce aux valeurs pharmaceutiques) pour découvrir des hausses qui ne traduisent en rien une vague d’optimisme puisque les achats se sont concentrés sur les secteurs les plus défensifs.
Les investisseurs n’ont donc pas jubilé en découvrant hier matin les chiffres de la croissance en Europe : elle aurait connu une accélération inattendue au premier trimestre 2008 et atteint 0,7% contre 0,4% au quatrième trimestre 2007 — le consensus tablait sur 0,5%.
** En France, le PIB afficherait un très honorable +0,6% au lieu de +0,4% anticipé après une hausse revue à 2,1% en 2007 contre 1,9% en première estimation : les trois premiers trimestres avaient été sous-évalués, le quatrième fut au contraire surestimé… avant prise en compte de « l’effet stocks ».
Cependant, il n’y a pas de quoi pavoiser car ce score de 2,1% est loin des projections annoncées par le gouvernement (2,7% à 3%) au lendemain des élections présidentielles et il se situe dans le bas du classement des pays de la Zone euro (2,6% en moyenne, soit un différentiel de croissance qui avoisine les -20%).
En ce qui concerne le premier trimestre 2008, les dépenses de consommation des ménages français ralentissent nettement (+0,1% après +0,6% au quatrième trimestre de 2007) et contribuent pour 0,1 point seulement à l’évolution positive du PIB. Reste donc à évaluer l’impact de la composante exportations sur les investissements des entreprises.
L’acquis de croissance pour 2008 serait de 1,4%, ce qui permet d’espérer mieux que les 1,5% prévus par l’OCDE… mais l’année est loin d’être terminée.
En Allemagne, la période de janvier/mars a été particulièrement faste, avec une croissance de 1,5% deux fois supérieure au consensus des économistes — c’est le chiffre le plus élevé observé depuis 1996. La surprise est d’autant plus grande que le moral des milieux d’affaires germaniques est proche de ses plus bas niveaux. L’indice est ressorti à 102,4 au mois d’avril, au plus bas depuis janvier dernier (contre 104,8 en mars).
L’indice mesurant les perspectives à six mois a lui aussi reculé — à 96,8 en mars contre 98,4 en avril — alors que les exportations sont en plein boom d’après les chiffres publiés hier. Il va falloir attendre le 27 mai prochain pour connaître le détail des éléments techniques qui soutiennent l’économie allemande — nous parions sur un pic d’exportations vers la Chine préolympique — et, par ricochet, celle de ses principaux partenaires économiques, dont la France en particulier.
Si Christine Lagarde jubile, nous espérons qu’elle n’oubliera pas d’associer Angela Merkel au toast médiatique porté par l’Elysée qui, depuis hier matin, inonde les rédactions de communiqués triomphateurs en l’honneur de la croissance.
** En ce qui concerne les « bons résultats » de l’emploi, dont le gouvernement se targue d’être le grand ordonnateur, nous devons dénoncer une grossière supercherie puisque nos ministres confondent allègrement « contrats d’embauche » et « créations nettes » de postes.
C’est ce dernier ratio qu’il faut analyser… et il n’est guère flatteur. Au risque d’alimenter une guerre des chiffres, le solde des départs en retraite/nouvelles embauches ne serait positif que de 60 000 en année pleine — les suppressions annoncées de postes de fonctionnaires rétrécissent la base de comparaison, ce qui soutient artificiellement l’indice des créations d’emplois.
Sur les 300 000 à 500 000 postes espérés dans le secteur des services à la personne lors de la création du Chèque emploi service universel (le fameux CESU), les mairies et les banques, qui tiennent la comptabilité, n’en dénombrent que 15 000, soit 5% de ce qui était prévu initialement. Il faut espérer une montée en puissance progressive au cours des prochains mois — au rythme actuel, il va falloir attendre 10 ans !
** Il nous faut cependant admettre que le tableau économique en France et en Europe est effectivement moins sombre qu’aux Etats-Unis : la production industrielle y a chuté de 0,7% en avril, après une hausse de 0,2% le mois précédent.
Le taux d’utilisation des capacités des usines américaines s’est établi à 79,7% contre 80,4% au mois de mars. Les économistes prévoyaient en moyenne une baisse de 0,3% de la production et un taux d’utilisation des capacités en repli à 80,2%… et nous ajouterons que le repli a été freiné par une recrudescence de l’activité dans le secteur du raffinage.
L’activité de l’industrie dans l’état de New York s’est également dégradée en mai. Selon la Réserve fédérale, l’indice d’activité industrielle dit « Empire State » est ressorti à -3,2 en mai, contre 0,6 en avril.
Sur le front de l’emploi, la morosité règne également aux Etats-Unis : pour la troisième semaine consécutive, et selon le département du Travail américain, les inscriptions hebdomadaires au chômage ont progressé de 6 000 à 371 000 (du 3 au 10 mai).
Seule consolation, l’activité manufacturière de la région de Philadelphie a ralenti son déclin en mai, à en croire l’indice de Philly Fed qui remonte de -24,9 en avril à -15,6 en mai.
S’il ne fallait retenir qu’un chiffre au soir de la séance d’hier, nous aurions choisi le baromètre de la National Association of Home Builders (NAHB) : il a repris sa chute à 19 en mai contre une stabilisation apparente autour de 20 au cours des trois mois précédents.
L’indice se rapproche à nouveau du plancher inscrit à 18 fin décembre 2007, ce qui constitue le niveau le plus bas observé depuis que cette enquête est réalisée (à savoir janvier 1985).
** Sitôt publié, le baril de pétrole a vivement consolidé (de 126 jusque vers 121,3), soit un écart de -3% en une heure de cotations. Peut-être ne s’agit-il que d’une coïncidence, mais c’est peu probable. Il s’agirait d’une nouvelle démonstration de la schizophrénie des marchés puisque qu’une authentique mauvaise nouvelle économique, en provoquant une forte correction sur le Nymex, alimenterait un arbitrage au profit des actions, et donc une hausse de Wall Street… alors que l’immobilier qui se retrouve au plus mal devrait engendrer l’effet inverse.
Mais les commentateurs ne manquent pas de nous resservir cet argument : « c’est un second plancher avant le grand rebond »… Allez leur prouver le contraire !
Il y aurait bien un moyen : priez-les d’aller s’acheter immédiatement une nouvelle maison !
Philippe Béchade,
Paris