▪ Youpi, la croissance est de retour aux Etats-Unis ! Les dizaines de mauvais chiffres conjoncturels publiés cet été ne voulaient certainement rien dire puisque l’ISM manufacturier s’est offert un rebond inespéré au mois d’août.
Nul ne se préoccupe de la façon dont ce chiffre a été calculé ; tout ce qui importe est qu’il soit bon. Pourquoi chercher à en comprendre le détail ?
Une véritable clameur d’euphorie s’est élevée mercredi soir pour saluer le coup de cloche final à Wall Street alors que le S&P et le Nasdaq s’envolaient de 3%, la plus forte hausse observée depuis le 10 mai dernier.
Ne soyons pas naïfs, cette deuxième plus forte hausse de l’année 2010 a été parfaitement orchestrée. Les indices américains affichaient déjà +2% en préouverture, au motif que l’Australie (premier fournisseur de matières premières à la Chine) avait enregistré une hausse de 1,2% de son PIB au deuxième trimestre 2010 (au lieu de +0,9% anticipé)… Un score qui reste encore très éloigné de celui de l’Inde qui caracole désormais à +8,8% en rythme annuel.
L’ISM est arrivé comme la cerise sur le gâteau. Le score du mois d’août est en effet ressorti au-dessus des prévisions mais sans que le différentiel (56,3 en août contre 55,5 en juillet) apparaisse supérieur à la récente révision à la baisse du PIB américain au second trimestre (à +1,6% contre +2,5% estimé initialement).
Surtout, comment s’accrocher à l’illusion que ce chiffre puisse éclipser à lui seul la chute de 11,5% des ventes d’automobiles aux Etats-Unis au mois d’août — ce qui devrait plomber ce même ISM au cours des prochains mois ? D’autant qu’il faut y ajouter la baisse inattendue de 1% des dépenses de construction au mois de juillet (contre -0,5% anticipé).
Plus surprenant encore, les indices américains n’avaient pas bronché en découvrant vers 14h que le secteur privé américain avait détruit 10 000 emplois, au lieu d’en générer 20 000, au mois d’août, selon l’enquête mensuelle du cabinet de services aux entreprises ADP. A deux jours de la parution des statistiques officielles de l’emploi, il y avait matière à conforter les anticipations les plus pessimistes en matière d’activité économique.
▪ A la lumière de ce qui précède, il nous apparaît que l’ISM manufacturier ne serait qu’un prétexte pour justifier un rally haussier de nature essentiellement technique à l’occasion de cette première séance du mois de septembre.
Le mois d’août s’était achevé sur une correction de 6,5% du Nasdaq et de 4,5% du S&P (pire performance depuis l’été 2001). Le consensus baissier était devenu ultra majoritaire : 47% de baissiers, 30% d’indécis et seulement 23% d’optimistes.
Cela se traduisait très concrètement par un ratio de trois put pour un call, et des « primes » très tendues pour couvrir les portefeuilles.
D’autre part, un phénomène de fuite vers la sécurité avait engendré une situation de bulle (surachat intenable) sur le marché obligataire… Ce dernier a d’ailleurs rechuté de 1% ce mercredi (le 10 ans affichant 2,58% de rendement contre 2,48% la veille) sur une soudaine vague de prises de bénéfices et d’arbitrage en faveur des actions.
Le résultat de cette brusque inversion des stratégies, c’est une ruée sur les valeurs américaines du secteur bancaire (+4,5% en moyenne). Il s’est également produit un ramassage intensif sur les valeurs technologiques : pas une seule de celles figurant au sein du Nasdaq 100 n’a terminé en repli, et des envolées supérieures à 5% ont été observées sur Expedia (+7,1%), Amazon (+6,1%), Seagate ou Paccar (+6%), Flextronics ou Priceline (+5,3%),.
Les commentateurs se sont aussitôt remis à s’extasier sur la spectaculaire progression des profits par rapport à 2009… Ils oublient que ce résultat a été obtenu au prix du sacrifice de millions d’emplois, au nom de la productivité et de la satisfaction de l’actionnaire.
▪ Puisque je vous avais promis d’évoquer le cas du Japon, il est clair que le principal souci des autorités économiques et politiques japonaises fut au contraire de préserver l’emploi lors de l’éclatement de la bulle immobilière de 1990. L’une des priorités fut de maintenir et même d’optimiser le « service » dans tous les secteurs où le gouvernement avait son mot à dire.
Pas question de faire des économies sur les équipements collectifs dont l’entretien coûte pourtant des fortunes à l’Etat. Prenons un exemple tout simple comme les infrastructures du quotidien — celles qu’emprunte le simple usager et que nul visiteur étranger ne songerait à photographier tant elles font partie du décor.
Ayant privilégié les déplacements en train, nous avons dû emprunter de nombreuses correspondances lors de nos étapes dans les principales métropoles de la « grande île » (celle de Honshu). Nous avons traîné nos valises sur des kilomètres à travers la tentaculaire gare de Shinjuku, celle qui dessert le (gigantesque) quartier des affaires de Tokyo et qui est fréquentée par plus de 3,8 millions de passagers en transit chaque jour.
Y convergent la plupart des lignes de banlieue (qui s’étend sur plus de 50 kilomètres dans toutes les directions), les lignes à grande vitesse, et, en sous-sol, une douzaine de lignes de métro.
Cette gare comporte pas moins de 200 sorties sur quatre niveaux (la gare Saint-Lazare en compte moins d’une douzaine sur deux niveaux) et plus de 400 escalators… dont 95% fonctionnent sans anicroche. Jamais nous n’avons dû porter nos valises dans des escaliers malcommodes.
Les 5% d’escalators momentanément hors service seront réparés dans la nuit et si l’un d’eux se montre vraiment récalcitrant, il sera intégralement remplacé avant la fin de la semaine. De nombreux panneaux prient les usagers d’excuser ce regrettable désagrément temporaire, un fléchage indiquant le chemin conduisant à l’escalator de substitution le plus proche.
Et il n’est pas rare, lorsque la vitre d’un kiosque situé sur un quai très fréquenté est simplement fissurée, qu’un employé de la station en tenue d’apparat, avec guêtres et gants blancs, installe une barrière de sécurité articulée et ne s’en éloigne pas d’une quinzaine de centimètres, invitant chaque passager d’un geste souple et en inclinant la tête, à contourner l’obstacle durant les heures d’affluence.
Pendant ce temps, non loin de là, un de ses collègues armé d’une pince et d’un aspirateur portable traque le moindre morceau de papier tombé sur le quai. S’il découvre à l’occasion un porte-monnaie ou une boucle d’oreille au pied d’un banc en bois — impeccablement lustré, cela va de soi –, il s’empressera de le déposer aux objets trouvés. Sa plus grande honte serait que son ou sa propriétaire soit déjà passé au bureau pour le réclamer… et doive faire l’effort de repasser le soir même pour le récupérer.
Un vrai pays en crise je vous dis !
▪ Ah, nous étions vraiment content de rentrer en France où la croissance est florissante et où les services publics s’efforcent de ne pas creuser le déficit de l’Etat. Nous avons atterri à Paris lundi vers 17h et avons parcouru moins de 100 mètres avant de tomber sur le premier escalator en panne.
Rires moqueurs d’un groupe de jeunes japonais… et rire jaune d’un couple bien français devant replier la poussette, prendre son nourrisson dans les bras et se débrouiller pour monter une volée de 30 hautes marches avec deux gros bagages à main et deux sacs chargés de souvenirs achetés en boutique duty free.
Nous nous sommes dirigés, en même temps que les 455 autres passagers, vers les douanes où un impressionnant bataillon de deux fonctionnaires avait été déployé. Nous en avions compté plus d’une douzaine pour les mêmes formalités et un contingent de passagers identique au départ d’Osaka.
Ceci nous a permis de contempler pendant une bonne demi-heure des panneaux nous indiquant qu’il ne servait à rien de perdre patience (les nourrissons ne savent malheureusement pas lire ni se faire une raison) puisque nos bagages ne seraient pas délivrés avant 17h40. L’un des trois carrousels sur lesquels circulent les valises était en panne depuis 10 jours : c’est l’été et il est difficile de trouver des réparateurs disponibles…
Et nous avons eu de la chance, parce que la veille, il y en avait pas moins de deux sur trois hors service… La semaine précédente, une grève sauvage de « certaines catégories » de bagagistes (ceux qui conduisent les chariots entre les avions et l’aérogare) avait provoqué des retards de délivrance dépassant les 90 minutes.
Enfin sortis de l’aérogare et attendant l’un des 700 taxis qui poireautent dans les sous-sols mais ne sont autorisés à parvenir à la surface qu’au compte-goutte (pour des raisons qui demeurent énigmatiques), nous vîmes arriver à pied des centaines de voyageurs harassés, les traits du visage déformés par l’effort et la colère.
Un barrage de protestation — sauvage et non autorisé par la préfecture — contre de mauvaises conditions de travail (le terminal Roissy « charters » n’était pas encore climatisé en 2009) avait été installé par quelques manifestants (nous n’avons pu identifier de quelle catégorie socioprofessionnelle il s’agissait) sur la bretelle d’accès aux compagnies internationales. Succès d’estime garanti auprès des touristes et hommes d’affaires étrangers.
Oui vraiment, nous pouvons être fiers d’être les contribuables d’un pays dont le déficit public ne s’élève pas à plus de 79% du PIB alors que le Japon affiche un score affligeant de 220%.
▪ C’est pourquoi que je me pose la question suivante : mais qu’est-ce qui pousse les Chinois à se jeter comme des morts de faim sur les émissions du Trésor japonais et à négliger celles de la Banque de France ?
Et si des experts dépêchés par Pékin avaient malencontreusement atterri à Roissy un 30 août ?
Précision : tous les désagréments évoqués ci-dessus, je les ai effectivement vécus en l’espace de trois vols aller-retour cette année… mais il a m’a été rapporté que certains voyageurs ont subi tout cela — et même pire encore — en une seule journée, avec en prime des portiques de sécurité en panne, engendrant des queues interminables… et à la sortie des contrôles, plus de papier dans les toilettes !