Les marchés ont déjà oublié la crise de ce mois de mars. Les séquelles seront pourtant multiples, même si elles seront cachées.
« Après la crise monétaire de 2008, la Fed en est sortie avec plus de pouvoir et de responsabilité que jamais. Personne n’a pris la peine de demander si les autorités auraient pu être efficaces avec les pouvoirs dont elles disposaient ? »
Jeffrey Snider, Alhambra Investments
« Ce que l’on hait de la part des autorités, c’est que chaque fois que nous traversons une crise, jamais elles ne se posent la question de savoir si elles ont bien fait leur job, tout ce qu’elles trouvent à dire c’est qu’elles veulent plus de pouvoirs. »
Katie Britt, sénatrice de l’Alabama
L’instabilité s’affiche.
Le premier trimestre a commencé par une euphorie de grande ampleur. Elle a été interrompue par une crise bancaire, laquelle a été interrompue par une réponse de politique monétaire dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle a été intense et puissante.
Ce trimestre vient de se conclure par une réémergence de l’euphorie.
Elle se manifeste par une dynamique boursière de compression : les vendeurs à découvert qui avaient pour la énième fois tenté d’attaquer les Bourses se sont pris un bon coup de pied au derrière. On ne le dira jamais assez, mais les vendeurs à découvert, ceux qui croient lutter contre les autorités, sont leurs meilleurs alliés ; ce sont eux qui, à chaque fois, produisent le carburant, et le ressort du rebond salvateur. Le monde pullule d’idiots utiles.
Était-ce un rêve ?
L’indice Goldman Sachs Short – indice des valeurs les plus shortées – a bondi de 5,1% au cours de la dernière semaine du trimestre pour terminer la période avec un gain de 7,5%. Cet indice avait gagné 33% depuis le début de l’année, à son sommet du 2 février. Jusqu’au plus bas du 23 mars, il a chuté de 25%.
L’indice Philadelphia Semiconductor (SOX) a enregistré un rendement de 27,6% pour le trimestre. L’indice Nasdaq Computer est en hausse de 25,7% et l’indice NYSE Arca Technology en hausse de 26,1%. Le Nasdaq100 (NDX) a bondi de 20,5%. Nvidia a bondi de 90%, Meta/Facebook de 76%, Tesla de 68%, Warner Bros Discovery de 59%, Align Technology de 58%, AMD de 51% et Airbnb de 46%.
L’ETF ARK Innovation a généré un rendement de 29%. L’indice arithmétique Value Line « actions moyennes » a gagné 5,8%.
Les cryptomonnaies ont grimpé en flèche, le Bitcoin ayant grimpé de 72% au premier trimestre.
En sens inverse, signe que cette crise n’était pas qu’un rêve, et qu’il y a bien de graves problèmes dans le système : l’indice Nasdaq Bank a perdu 21,9% et l’indice KBW Bank a chuté de 18,7%.
First Republic a perdu 88,5% de sa valeur, Western Alliance Bancorp 40,3%, Zions 39,1%, Comerica 35,1%, Keycorp 28,1%, Citizens Financial 22,9% et Huntington Bancshares 20,6%.
En clair et pour simplifier la situation, la crise bancaire n’a pas dégénéré en crise financière ; au contraire, elle l’a repoussée !
Le monde est sauvé
Le paradoxe n’est qu’apparent, et il se dénoue très facilement si on veut bien rétablir le chainon manquant ; les banques centrales ont mis un genou à terre, elles sont allées à Canossa, non seulement elles ont interrompu le resserrement monétaire mais elles ont à nouveau arrosé, reliquéfié, et redilaté les fameuses conditions financières.
Ce n’est même plus un jeu de cache-cache, ou de tape taupe ; on utilise la masse, tout est au grand jour, rien n’est caché. Il faut qu’il se sache qu’il n’y a rien à craindre, car on sauve tout le monde.
Action, réaction, résultante.
Les rendements du Trésor à deux ans ont commencé l’année à 4,43%. Les rendements ont ensuite bondi de près de 100 points de base pour s’échanger à 5,07% le 8 mars. Les rendements ont chuté à 3,71% en intrajournalier le 15. Ils ont chuté à un plus bas critique de 3,63% le 20. La crise étant déjà oubliée, on termine le trimestre à 4,03%.
Les attentes du marché concernant le taux directeur lors de la réunion de décembre de la Fed ont commencé l’année à 4,59%, elles ont atteint un sommet de 5,56% le 8 mars, elles se sont négociées à un creux intrajournalier de 3,40 % le 15 mars et ont clôturé le mois à 4,35%.
Tout est devenu instable, et plus c’est fragile, plus c’est instable ; et plus c’est instable, plus on fragilise.
Deux des trois plus grandes faillites bancaires de l’histoire des États-Unis se sont produites en mars.
La marée a été remontée à grande vitesse pour cacher ceux qui se baignaient nus. Les autorités ont vraiment une très grande pudeur, elles ne supportent pas de voir des fesses nues !
Un nouveau souffle d’inflation
Le crédit de la Réserve fédérale a augmenté de 391 Mds$ au cours des trois dernières semaines du trimestre, annulant une grande partie de la contraction liée au resserrement quantitatif (QT) qui a commencé en juin dernier.
La Fed a prêté 180 Mds$ à la FDIC. Les emprunts au guichet d’escompte ont bondi à 110 Mds$, tandis que la nouvelle facilité de prêt bancaire de la Fed a atteint 64 Mds$. La facilité de prêt repo étrangère de la Fed a grimpé à 55 Mds$.
Une fois de plus, des mesures agressives de la Fed ont réussi à stabiliser le système.
Ceci me conforte dans mon principe analytique qui se formule comme suit : l’armageddon est inévitable, la grande révulsion est écrite, mais le pouvoir des illusionnistes est de toujours être capables de reculer l’inéluctable, et de repousser les échéances. Toujours… jusqu’au jour du jugement dernier, bien sûr. Mais ils s’en foutent ; ils seront non pas morts, mais recyclés chez Goldman Sachs avec parachutes en or.
Alors que la dynamique de la crise a été temporairement contenue, un nouveau souffle d’inflation monétaire paraît profondément contreproductif.
Les actifs du marché monétaire ont bondi de 304 Mds$ en trois semaines pour atteindre un record de 5 198 Mds$. Les fonds monétaires ont augmenté de 384 Mds$ au cours du premier trimestre, affichant une croissance annualisée de 32% – avec une expansion sur un an de 608 Mds$, ou 13,2%. Les actifs des fonds monétaires sont généralement considérés comme un tampon de liquidité du système, une partie de ces liquidités étant ultérieurement dirigée vers le marché boursier.
En effet, l’expansion rapide des actifs du marché monétaire alimente une croissance dangereuse de l’effet de levier du secteur financier, généralement à travers l’expansion rapide des obligations perçues comme sûres et liquides par les banques centrales et les GSE.
Balle au centre
Les banques fédérales de prêt immobilier (FHLB) ont augmenté leurs emprunts de 304 Mds$ la semaine dernière, une expansion sans précédent (de type banque centrale) pour répondre aux demandes de liquidités des banques commerciales (à cause de la fuite des dépôts). En tant qu’entreprises parrainées par le gouvernement (GSE), les FHLB bénéficient essentiellement d’une demande illimitée pour leurs titres de créance considérés comme sans risque.
Avec ce nouvel épisode se trouve hélas une fois de plus vérifiée mon analyse : à chaque crise, on arrose, on noie et on fait remonter le risque – ou même les pertes – au niveau du centre du système, qui est constitué des entreprises parrainées par le gouvernement, de la banque centrale et du Trésor.
Y aura-t-il des séquelles ? Bien sûr, elles seront multiples, mais cachées.
On a mis une couche supplémentaire d’opacité pour dissimuler la réalité et l’intelligibilité du système. On a généré de nouveaux effets d’apprentissage, de nouveaux cynismes, de nouvelles perversions. Et ce sera ainsi tant que le vice spéculatif sera récompensé et alimenté. La taupe creuse.
Je prétends que, fondamentalement, la Fed a perdu le contrôle, elle est dans la seringue, l’addiction. Elle est déterminée non par sa charte ou les règles d’orthodoxie, mais par l’extérieur. La Fed est serve, soumise, et c’est un bouchon au fil de l’eau.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]