La Chronique Agora

Créons vite en Europe notre propre baromètre du Conference Board !

** Un essai nucléaire souterrain suivi du tir de missiles balistiques nord-coréens susceptibles d’atteindre le Japon… et la perspective d’une mise en faillite de General Motors dès ce mercredi : il n’y avait pas de quoi alimenter l’espoir d’une envolée de 3% en une heure et de 3,45% du Nasdaq mardi en clôture.

L’actualité financière américaine demeure de surcroît ponctuée de dépôts de bilan de banques régionales. L’opération de refinancement du Trésor américain (émission de 40 milliards de dollars de bons à deux ans) démarrait quant à elle sur fond de dégradation des prix des logements aux Etats-Unis : ils sont en chute de 19,1% sur un an et de 2,2% en avril.

Le constat est stupéfiant : un seul bon chiffre américain — de nature hautement subjective — a suffi à contrebalancer une série de statistiques décevantes concernant la croissance en Europe et la santé du secteur immobilier à l’entame du deuxième trimestre 2009.

Le baromètre mensuel du Conférence Board s’est en effet redressé à 54,9 en mai contre 40,8 en avril (chiffre d’ailleurs révisé à partir d’une estimation initiale de 39,2) ; il se retrouve au plus haut depuis huit mois. Le plus étonnant, c’est que les personnes sondées s’attendent à une amélioration sur le front de l’emploi… comme si le ralentissement de l’hémorragie du mois d’avril signifiait effectivement que le marché du travail redevenait plus porteur.

Nous ne savons pas comment est réalisée cette enquête d’opinion… mais nous remarquons que le résultat, depuis quelques mois, semble d’avantage indexé sur l’évolution du Dow Jones que sur une analyse froide et sans concession de la réalité économique outre Atlantique.
 
Un tel baromètre n’existe pas en Europe mais il faudrait en créer un de toute urgence : pourquoi se priver d’un instrument susceptible de faire apparaître de l’optimisme là où il n’y a concrètement que récession et hausse du chômage ?
 
** Les marchés européens avaient mal accueilli mardi matin une batterie de statistiques témoignant d’une conjoncture déprimée : la baisse de 3,8% du PIB allemand au premier trimestre 2009 a été confirmée. Il s’agit de la dégradation la plus brutale observée depuis le début de l’année 1970 ; la contraction dépasse les -6,7% en rythme annuel.

A prix constant, les exportations germaniques ont par ailleurs chuté de 9,7% au premier trimestre 2009. Les importations ont baissé de 5,4% ; les investissements industriels des entreprises ont parallèlement dévissé de 16,2% et ils devraient demeurer fortement orientés à la baisse.

Mais les investisseurs qui ne s’intéressent qu’aux verres à moitié pleins ont vite oublié tout ce qui précède. Ils se sont littéralement enflammés à la lecture de l’indicateur de la confiance des consommateurs américains.

Le CAC 40, qui consolidait de 1,5% depuis le début de la matinée de mardi a rebondi de façon spectaculaire en fin de séance, repassant en l’espace de deux heures d’un plancher de 3 170 à un zénith de 3 277 points (vers 17h15). Il a terminé sur un gain inespéré de 1,05% à 3 270 points, dans un volume de 2,6 milliards d’euros. Sachant qu’il ne s’était échangé que 1,2 milliard d’euros la veille, il n’y pas trace d’un phénomène de "rattrapage"… et nous ajouterons que l’activité demeure anémique compte tenu de la volatilité en intraday qui ressortait à plus de 3,4%.

** A Wall Street, après une ouverture hésitante, ce fut également l’euphorie puisque le Dow Jones et le S&P 500 se sont envolés de 2,5%, tandis que le Nasdaq prenait 3,5%. Un tel décalage de cours pour un prétexte aussi sujet à caution… cela ressemble fort à un rally savamment orchestré à partir d’un évènement "alibi" qui évite à la hausse d’apparaître par trop suspecte.

Jamais aucun indice du Conference Board n’a été à l’origine d’une telle envolée indicielle… et nous soupçonnons que ce pourrait aussi être la dernière du genre.

Personne n’attendait les indices américains à pareille fête. Même s’il y avait eu publication d’une série de chiffres positifs s’appuyant sur du concret, nous doutons que Wall Street ait été en mesure de gagner 3% en quelques minutes alors que le Trésor américain va ponctionner 100 milliards de dollars de liquidités d’ici jeudi soir (et 900 milliards d’ici le début de l’automne).

Si le rebond de l’indice du Conference Board avait été réellement la bonne nouvelle qui remplit les yeux des investisseurs de larmes de joie… pourquoi les cambistes ne suivent ils pas le mouvement ?

Pourquoi l’euro, après avoir corrigé de -1% vers 16h (jusque vers 1,386 $), a-t-il intégralement effacé ses pertes en fin de journée ? La monnaie unique tutoyait de nouveau les 1,4 $ à la clôture des marchés américains, au lieu de subir des arbitrages au profit du billet vert — que les acheteurs d’actions étaient pourtant censés s’arracher…

Cela nous remémore cet adage instruit d’une expérience plus que millénaire et qui aurait dû être gravé dans un morceau de marbre à l’entrée du building de l’escroc du siècle Bernard Madoff : "s’agissant des questions d’argent, quand c’est trop beau pour être vrai… c’est que c’est vraiment trop beau pour être vrai" (pour les affaires… de coeur, il y a toujours moyen de trouver des cas où l’aventure — contre toute attente — se termine bien !).

** Et puisque Wall Street semble si confiant, il serait intéressant de connaître son sentiment sur l’issue de la restructuration de Chrysler et de General Motors. Tenez, prenons une question toute simple : pour les 100 000 (et probablement beaucoup plus) salariés du secteur automobile qui vont perdre leur emploi au cours des 18 prochains mois… est-ce que tout va bien s’arranger ? Dans quelle branche de l’industrie trouveront-ils à se recaser ?

Allez, une petite deuxième à laquelle Wall Street évite de devoir répondre : est-ce que les banques qui ont enregistré en avril une nouvelle poussée du taux de défaillance sur les emprunts immobiliers (et qui ont battu tous les records historiques de saisies de maisons) vont désormais s’abstenir de brader lesdites maisons aux enchères pour éviter aux prix de s’effondrer inexorablement d’ici la fin de l’année ?

La troisième question concerne l’apparente naïveté des commentateurs : font-ils leur métier avec une âme de simplets en s’extasiant sur chaque rebond dont ils ignorent l’origine… ou s’emploient-ils délibérément à faciliter la tâche de ceux qui tirent les ficelles "pour la bonne cause" en racontant de belles histoires, une main sur le coeur, l’autre au garde-à-vous sur la couture du pantalon ?

Philippe Béchade,
Paris

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