La Chronique Agora

Crédit Agricole SA : un bénéfice de 111 millions d’euros ou une perte de 29 millions ?

▪ Il est bien connu qu’il faut porter une attention particulière dans un contrat à ce qui est écrit en tout petit, en bas de page. Car souvent c’est là que nous trouvons les pièges et les clauses qui pourraient nous coûter cher. Le diable (ou le bon Dieu) se cache dans les détails, dit le dicton.

En tant qu’investisseur ou déposant, vous devez rester vigilant quand les banques publient leurs résultats financiers et prêter bien attention à ces « détails » de bas de page. Une fois pris en compte, ils peuvent transformer un bénéfice affiché en perte déguisée, même si les effets d’annonce des communiqués de presse, bien soignés et relayés par les médias, tendent à vous le faire oublier !

Prenons le cas du Crédit Agricole SA qui, la semaine dernière, a rendu public ses comptes du deuxième trimestre. Le message principal et les données présentées en page de couverture sont présentés avec soin par les chargés de communication, suggérant que la banque résiste bien en dépit de la situation difficile. Après tout, n’a-t-elle pas réalisé un résultat net de 111 millions d’euros, ou 851 millions en excluant divers retraitements, en raison de leur caractère exceptionnel (voir image ci-dessous) ?

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Certes, mais vous auriez tort d’ignorer l’astérisque mentionnant en petit une autre dépréciation — celle d’une structure dépendant du Crédit Agricole, la SACAM International (de -67 millions) — ainsi que le coût du plan d’adaptation (-16 millions d’euros).

Vous risquez aussi de passer à côté de la mention, en apparence anodine, « réévaluation de la dette », derrière laquelle se cache cependant une réalité qui pourrait vous faire davantage douter de la santé financière de la banque.

Crédit Agricole SA : communiqué de presse des résultats du second trimestre 2012


Source : Crédit Agricole.
Cliquez sur l’image pour l’agrandir

En quoi consiste cette « réévaluation » ? Sans entrer dans les détails, par les miracles de la comptabilité moderne dite « à la juste valeur » — devenue davantage un exercice de science-fiction qu’une constatation et un calcul des pertes et profits réalisés — les banques sont autorisées à comptabiliser des gains sur leur propre endettement quand, paradoxalement, leur signature de crédit se dégrade. Plus les banques inspirent la méfiance sur les marchés financiers, plus ces gains sont importants sur le papier !

Ce phénomène de réévaluation de sa propre dette « à la juste valeur » — appelé en anglais debt valuation adjustments ou DVA — permet aux banques de tripoter leur passif et d’inscrire en compte de résultat des gains de plusieurs millions, voire de plusieurs milliards d’euros, gonflant ainsi artificiellement leurs résultats et leurs capitaux propres.

Imaginez que Pierre a prêté 1 000 euros à Paul. Paul est désormais au chômage avec une femme au foyer et trois enfants à charge et ne pourra plus vraisemblablement rembourser Pierre que de la moitié. Pierre ne peut donc plus compter réellement que sur 500 euros en retour. Avoir recours au DVA, c’est autoriser Paul — qui doit pourtant toujours rembourser 1 000 euros — à déclarer en tant que revenu, sans rien faire de plus, les 500 euros que Pierre risque de perdre.

Il vous est facile de comprendre pourquoi certains spécialistes parlent de dispositions « grotesques » et pourquoi l’agence de notation Fitch précisait récemment qu’elle ne tenait pas compte de ces artifices dans son analyse de la performance des banques et de leurs résultats.

L’idée derrière une telle opération serait que le prix sur les marchés financiers de la dette baisse quand le risque propre de crédit de l’entreprise augmente. Les investisseurs exigent alors un taux d’intérêt plus élevé pour prêter et la dette déjà émise se déprécie en conséquence (puisque le prix des obligations baisse quand ce taux monte).

Le Crédit Agricole n’est pas la seule banque à pratiquer une telle réévaluation. Le Financial Times soulignait ainsi que de tels gains fictifs représentaient au troisième trimestre 2011 quelques 10 milliards de livres pour Barclays, HSBC et Royal Bank of Scotland réunies. De même, de tels gains représenteraient les 4/5ème des 16 milliards de dollars de bénéfices nets affichés par Citigroup, Bank of America, J.P. Morgan, Morgan Stanley et Goldman Sachs.

Or, pour que de telles plus-values aient un fondement, il faut que les banques rachètent — ou au moins aient l’intention de racheter — la totalité de la dette propre concernée, ce qui est peu vraisemblable. Dans le cas contraire, et en dépit de son prix de marché qui fluctue, cette dette reste inchangée et les gains qui en découlent sont complètement illusoires car ils ne seront jamais réalisés.

Faisons de même. A combien se chiffre alors l’impact de ces gains non-existants qui dopent le résultat net affiché par le Crédit Agricole ? La réponse, qui n’est pas en première page, est : 140 millions d’euros.

Sans ces gains fictifs, la banque française aurait dû en réalité afficher… une perte de 29 millions d’euros (soit 111 millions moins 140 millions d’euros). Une perte ? Voilà une information sans doute importante pour les investisseurs, même si elle est moins compatible à l’évidence avec le message rassurant que la banque veut leur faire passer.

Première parution dans Protection & Rendements du 10/09/2012.

 

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