Nous nous intéressions hier aux opérations de carry trade, mais aussi aux risques qu’elles font peser sur les marchés. Ce qui avait causé la hausse de certain actifs émergents jusqu’en mai 2013, fut justement, entre autres, ces opérations de carry trade et la croyance unanime en une mise à disposition "éternelle" et "inconditionnelle" de liquidités par achat d’actifs des banques centrales.
Il s’agit des promesses des OMT (outright monetary transactions) de la BCE — qui n’ont pour l’instant jamais été activées et ne le seront sans doute jamais (attention aux futurs jugements de la cour de Karlsruhe sur cette question). Il s’agit du quantitative easing éternel de la Fed. Il s’agit aussi de l’agressivité monétaire sans précédent historique de la Banque du Japon.
A la hausse comme à la baisse, les marchés (indistinctement géographiquement, par secteur, bourses ou marchés obligataires) ne dépendent que de la liquidité. Il n’y a pas de demi-tendances. Soit l’ensemble des marchés continue à monter en dépit du bon sens avec des acteurs dopés à l’EPO banque centrale ; soit ils chutent encore plus violemment avec l’idée que l’EPO sera plus ou moins brutalement supprimé…
Compte tenu des excès, ils ne peuvent plus évoluer de manière ordonnée dans un scénario de désintoxication progressive. C’est la conséquence de la forte mondialisation de la finance et de la corrélation des portefeuilles : les premières grosses pertes matérialisées sur certains actifs par des investisseurs les obligeront à vendre en catastrophe d’autres types d’actifs pour compenser leurs moins-values…
▪ Comment les carry trades finissent-ils en général ?
Entre 2004 et 2007, l’absence d’aversion au risque avait conduit au jeu suivant : emprunts de franc suisse et de yen à des taux très bas, vente de ces devises contre le dollar et d’autres devises à haut rendement. Les premières secousses de 2007 ont conduit les hedge funds pratiquant le carry trade à de fortes pertes. Ils furent contraints de déboucler leurs positions en rachetant massivement à découvert le yen et le franc suisse entre juillet 2007 et fin 2008. C’est pourquoi, à tort ou à raison, tout regain d’aversion au risque est très souvent synonyme d’appréciation du yen et du franc suisse.
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Sur le marché des changes, le franc suisse et le yen ont actuellement tendance à s’apprécier brutalement. Ce n’est sûrement pas dû à une supériorité des économies suisse et japonaise sur celle des autres pays mais plutôt à la mémoire des investisseurs.
Dans les années 2011-2013, le dollar et dans une moindre mesure la livre et l’euro, assortis de taux d’intérêts quasi-nuls, ont été des monnaies de carry trade empruntées contre devises émergentes. Cela provoque les mini-krachs que vous voyez sur les actifs émergents depuis mai 2013 dans un contexte de débouclements de cette seconde génération d’opérations de carry trade.
▪ Ce qui change vraiment entre la marée haute et la marée basse des liquidités
Les sorties de capitaux des marchés émergents aggravent les fondamentaux. Ce phénomène s’est déjà produit entre 2005 et l’été 2008. Avec un emballement à partir de l’automne 2008 lorsque la faillite de Lehman draina l’argent vers les zones refuges : dollar, franc suisse et yen. Ce phénomène a modifié significativement la situation macro-économique des émergents uniquement parce qu’il y avait modification de la perception du risque émergent par les marchés.
Au-delà du débouclement d’opérations spéculatives de carry trade, la crise des pays émergents s’appuie sur une très nette dégradation des fondamentaux qui va finalement accélérer la fuite des capitaux. Certains pays se retrouvent fragilisés, avec des situations d’insuffisance d’épargne — comme le Brésil, la Turquie, l’Inde et l’Indonésie. Dans ce dernier pays, le déficit extérieur a été multiplié par près de quatre en 2012 et 2013 par rapport à la situation moyenne de 2008-2011.
La situation actuelle rappelle la crise mexicaine de 1994, la crise asiatique de 1997 et la crise russe de 1998. Le défaut russe s’expliquait par des déséquilibres classiques : solde négatif de la balance commerciale dès 1991 et creusement des déficits publics sous l’effet de l’insuffisance des recettes fiscales. Cette situation est fondamentalement semblable à celle de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne d’aujourd’hui mais que certaines économies émergentes sont en train d’emprunter.
La Russie va, en accord avec le FMI, mener une politique absurde d’émission de titres publics (les GKO) libellés en rouble et sur des échéances très courtes (trois mois). Dès lors, la tragédie est inévitable : plus le déficit budgétaire est important, plus il faut émettre de GKO, et plus leur remboursement (à échéance courte) exige de nouvelles émissions, d’où une insoutenable explosion de la dette publique.
Les capitaux se déplacent massivement dans la perspective d’un resserrement monétaire, même lointain, de la Fed. Indépendamment de la politique monétaire américaine, cet assèchement conduira à une dégradation des fondamentaux économiques de certains pays émergents.
Si ces mouvements provoquent des pertes importantes chez des hedge funds et autres "zinzins", le phénomène pourrait s’emballer et toucher les obligations d’Etats développés, et les portefeuilles bancaires. En effet, les méga-banques font travailler leurs fonds propres dans des activités spéculatives pour compte propre. Toute grosse perte les mettrait dans une situation très dangereuse.