L’idée qu’il est possible de lutter contre l’inflation sans vivre de récession commence à avoir du plomb dans l’aile. Reste à savoir quel sera le premier domino à tomber…
La fuite de l’argent « de la périphérie vers le noyau dynamique » a pris de l’ampleur à l’échelle mondiale. Il y a une sorte de « run » silencieux sur le système mondial, comme les paniques bancaires d’antan. Une panique qui profite actuellement aux Etats-Unis, qui voient ainsi leur situation relative se bonifier.
Ils bénéficient de la baisse des taux en détruisant le reste du monde.
L’explication simple est que les marchés réagissent au risque accru de récession. Ils subissent l’intensification de la réduction des risques et du désendettement, mais aussi l’augmentation des risques d’illiquidité et de dislocation qui en découlent.
Taux volatiles et monnaies qui s’effondrent
Ainsi, les rendements des bons du Trésor à deux ans se sont échangés avec un rendement de 3,13% mercredi dernier, avant de chuter de 40 points de base pour atteindre un plus bas en séance de 2,73 %, vendredi.
Le taux implicite du marché pour le taux des fed funds lors de la réunion du FOMC du 14 décembre s’est élevé jusqu’à 3,50% lors de la séance de mercredi (soit le double du taux actuel !), avant de chuter à un plus bas vendredi de 3,17%.
La forte inversion des rendements et des taux du marché a coïncidé avec la réunion de mercredi des principaux banquiers centraux du monde lors de la conférence annuelle de la BCE à Sintra, au Portugal.
Il convient de noter les pertes élevées de juin pour les devises émergentes. Sur ce mois, le peso chilien a baissé de 10,3%, le réal brésilien de 10,0%, le peso colombien de 9,2%, le zloty polonais de 4,8%, le won sud-coréen de 4,7%, le peso philippin de 4,7%, le peso argentin de 4,0% et le rand sud-africain de 3,9%.
Les obligations des marchés émergents ont aussi été écrasées, tandis que les principaux prix des CDS des marchés émergents ont bondi cette semaine à des sommets plus vus depuis 2020.
Les avoirs de la Réserve fédérale pour les propriétaires étrangers (en grande partie des banques centrales mondiales) de la dette du Trésor et des agences la semaine dernière ont chuté de 12,4 Mds$ supplémentaires pour atteindre le plus bas de 2020 (3 391 Mds$).
La chute des marchés émergents est l’équivalente des anciennes paniques bancaires : elle déclenche une dynamique dangereuse. Lorsque la liquidité mondiale circule abondamment, les flux financiers provenant des déficits commerciaux américains et de la spéculation à effet de levier se retrouvent souvent dans les titres émergents à risque et rendement plus élevés.
La récession commencera-t-elle en périphérie ?
Ces flux finissent dans les bilans des banques centrales des marchés émergents, où ils sont commodément « recyclés » vers les marchés américains par le biais principalement d’achats de bons du Trésor, d’agences et d’autres titres de créance.
Lorsque les Etats-Unis resserrent, les flux s’inversent et les marchés périphériques se retrouvent exsangues. Leurs banques centrales manquent de devises, leurs monnaies chutent, etc. Ces émergents deviennent ingérables.
L’explication simple est que les marchés réagissent à un risque accru de récession par une intensification de la réduction des risques/du désendettement et des risques d’illiquidité et de dislocation qui en découlent.
Ceci fait les choux gras des Etat-Unis, comme nous l’avons vu précédemment avec les taux des obligations à deux ans et des fed funds.
Mais, comme nous le révélait le 26 juin le Financial Times, la situation n’est pas du tout positive pour le reste du monde :
« Les principales économies sont sur le point de ‘basculer’ dans un monde à forte inflation où les hausses rapides des prix sont normales, ou elles dominent la vie quotidienne et sont difficiles à réprimer, a averti la Banque des règlements internationaux…
Dans son rapport annuel, la BRI, l’organisme influent qui gère les services bancaires pour les banques centrales du monde, a déclaré que ces transitions vers des environnements à forte inflation se produisaient rarement, mais qu’ils étaient très difficiles à inverser.
Diagnostiquant que de nombreuses économies s’étaient déjà engagées dans le processus, la BRI a recommandé aux banques centrales de ne pas hésiter à infliger des souffrances à court terme et même des récessions pour empêcher tout mouvement vers un monde à forte inflation persistante. »
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]