La Chronique Agora

Corée : la panique bancaire dont personne ne parle

Les certitudes économiques, tout comme le Proche-Orient, se disloquent

Bonjour,

▪ Des agences bancaires qui doivent fermer leurs portes. Des épargnants qui attendent devant les banques pendant des heures pour récupérer leur argent. Des foires d’empoigne invraisemblables. Des retraits massifs. Ces scènes ne se passent pas en 1929 ou dans un pays sous-développé, mais en Corée du Sud, quinzième puissance économique mondiale !

Quand on pense à ce pays ces derniers mois, on a tout de suite à l’esprit les tensions entre les deux Corées, qui restent malheureusement vives. Mais aujourd’hui, ce n’est pas ce qui nous intéresse. Personne n’en parle ces derniers jours, pourtant, dans un autre registre, cette actualité me semble tout aussi préoccupante.

▪ Le bank run coréen
La Busan Savings Bank et une de ses filiales ont récemment vu leurs activités suspendues pour six mois suite à une décision de l’autorité financière de régulation du pays, le FSC (Financial Services Commission), parce qu’elles ne respectaient pas un ratio de liquidité de 5% (par rapport aux dépôts des épargnants). Des retraits importants ont donc commencé à se produire dans les autres filiales de la Busan qui n’étaient pas suspendues. Quelques jours plus tard, le bank run, ruée vers les banques, s’est accéléré lorsque la FSC a mis sous surveillance cinq autres banques. Finalement, le gouvernement a dû procéder à des injections de liquidités pour éviter une contagion à d’autres banques.

Soyons très clair, mon but n’est pas de vous inquiéter au-delà du raisonnable. Ce n’est pas la première fois que des banques ont des difficultés, mais cela nous montre que ce que les Anglo-Saxons appellent le bank run, popularisé par Eric Cantona en France, peut se produire pour de vrai et ne doit pas être pris à la légère.

Dans ce cas précis, ce ne sont pour l’instant que des banques régionales qui sont concernées en Corée du Sud. Ce qui est plus inquiétant, c’est le risque de contagion à d’autres banques. Il faut souhaiter sur ce point que le gouvernement coréen prendra des mesures drastiques pour mieux contrôler ses banques à l’avenir ; que cela nous serve également de leçon en Europe ou aux Etats-Unis pour nous prémunir contre ce type de risques.

▪ Et l’indice consolide… ou marque un retournement de tendance
Du coup, j’en viens à l’indice coréen, le Kospi. C’est l’un de ceux qui a le plus profité du dynamisme asiatique de ces dernières années, et depuis 2008, il a plus que doublé. Mais suite à ces inquiétudes sur le secteur bancaire et même un peu avant celles-ci comme nous allons le voir, il a commencé à montrer des signes de faiblesse techniquement ces dernières semaines.

▪ Une correction de l’indice est en cours
Dès la fin janvier, avant même les nouvelles sur les banques, l’analyse technique nous alertait de façon limpide sur l’indice coréen. En effet, sur les indicateurs mathématiques, dès le 21 janvier, le RSI cassait brutalement son oblique ascendante en place depuis mai 2010.

C’était un premier signe de faiblesse marqué pour le Kospi, précurseur d’une inversion de tendance. Cela n’empêcha pas l’indice de faire un nouveau plus haut marginal quelques jours après, le 27 janvier, qui coïncida d’ailleurs avec un nouveau test de l’oblique sur le RSI. Mais celui-ci fut de courte durée, avec un échec retentissant et une nette correction qui se mettait en place sur les cours.

En Elliott, comme j’ai pris le soin de vous l’indiquer sur le graphique, comme sur de nombreux indices, il est possible que nous ayons terminé 5 vagues de hausse depuis les plus bas de fin 2008 sur l’indice. Nous serions donc dans une première vague de correction depuis les récents plus hauts à 1 830 points qui devrait retracer une partie de la progression depuis 2008 et se poursuivre dans le temps.

▪ Quels objectifs pour les prochains mois ?
Désormais, sous les 1 830 points, vous pourrez profiter des rebonds significatifs pour vendre l’indice au cours des prochaines semaines, avec pour premier objectif les anciens plus hauts d’avril 2010 à 1 530 points. Ce support majeur pourrait ensuite faire douter les vendeurs pendant quelque temps, avant une nouvelle accélération baissière qui nous mènerait jusqu’aux 1 340 points, support graphique très important qui correspond aux anciens plus bas de l’année dernière.

C’est également ce que l’on appelle en Elliott le bas de la vague 4 de degré antérieur. Cela signifie que cela renforce la pertinence de ce point. Enfin, on retrouve ces deux niveaux de support majeur en retracement de Fibonacci respectivement à 23,6% et 38,2% de toute la phase de progression depuis 2008.

Ces dernières années, l’Asie prend une importance croissante dans l’économie mondiale. Plus globalement, les soubresauts de ces derniers mois en Chine, en Corée du Sud, ou encore en Inde sont à surveiller de près, car ils pourraient bien revenir sur le devant de la scène.

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L’or, un refuge tout-terrain

Bill Bonner

 

▪ L’or a atteint un record lundi, avant de reculer. Voici ce qu’en disait le Financial Times mardi :

« L’or grimpe à un sommet record alors que les investisseurs cherchent un refuge ».

Un refuge contre quoi ? Ah… un refuge contre les erreurs des banques centrales. Un refuge contre l’inflation. Un refuge contre les révolutions et les guerres civiles. Un refuge contre les défauts de paiement et les faillites.

L’or est un refuge tout-terrain, toujours vert. Vous avez un problème personnel ? Prenez un verre. Détendez-vous. Parlez à votre confesseur ou à votre barman. Vous avez un problème financier ? Achetez de l’or.

Et voilà Bill Gross, de PIMCO, commentant l’une des choses contre lesquelles l’or est un refuge. Sur Yahoo! Finance :

« Pas de sortie du piège de la dette, dit Gross — le niveau de vie américain condamné à baisser »

« Aux Etats-Unis, les Etats un peu partout dans le pays sont confrontés à un manque à gagner collectif de 125 milliards de dollars pour l’exercice 2012, tandis que le Congrès US doit faire face à un fossé budgétaire près de 10 fois supérieur ».

« Bill Gross, fondateur de PIMCO — l’un des plus grands gestionnaires de fonds d’investissement au monde, qui se concentre en majeure partie sur les obligations — a autrefois déclaré que si les Etats-Unis étaient une entreprise, aucune personne douée de raison ne [leur] prêterait de l’argent. Cette dernière décennie, nous dépendions de ‘la bonté des étrangers’ pour contribuer à couvrir nos dettes ».

« Par ‘étrangers’, il fait référence à nos homologues étrangers, comme la Chine, par exemple. En gros, pendant des années, les Américains ont dépensé leurs dollars durement gagnés sur des biens fabriqués en Chine, et coûtant moins cher. Avec beaucoup de gratitude, la Chine s’est retournée et a utilisé tous ces dollars pour racheter des bons du Trésor US et d’autres actifs libellés en dollar ».

« Mais maintenant, après des années de dépenses imprudentes, le niveau de dette américain frôle le point de rupture, et les Etats-Unis ne peuvent plus se fier aux capitaux étrangers comme dernier recours. ‘Lorsqu’un pays atteint un certain niveau de dette, la confiance dans la capacité de ce pays à rembourser cette dette est en danger’, déclare Gross, qui cite les travaux de Ken Rogoff et Carmen Reinhart ».

« ‘Il n’y a vraiment pas moyen de sortir de ce piège et de cette énigme à ce stade’, déclare Gross. Du point de vue de l’investisseur, son conseil est de rester loin des ‘obligations libellées en dollar’ et de ‘se méfier de la hausse des taux d’intérêts à venir’. »

▪ En attendant, le piège de la dette se fait de plus en plus profond. Voici le Washington Times avec les dernières nouvelles :

« Le gouvernement fédéral [américain] a publié le plus profond déficit mensuel de son histoire en février, un manque de 223 milliards de dollars qui souligne clairement le combat actuel au Congrès sur l’ampleur des coupes dans les dépenses cette année ».

« Ce chiffre sur un mois, provenant d’un rapport préliminaire du CBO, écrase même les réductions les plus importantes envisagées par le Congrès, et met en relief le travail que doivent faire les législateurs pour remettre les finances gouvernementales d’aplomb ».

« Le Sénat prévoit de voter mardi sur les diverses propositions de réduction des dépenses, mais les démocrates ont rejeté les réductions de plus de 50 milliards de dollars, tandis que les républicains ont exclu les réductions proposées par les démocrates, inférieures à 10 milliards ».

« Les deux côtés doivent se décider avant le 18 mars, date où la loi de financement actuelle expire. Sans nouvel accord de dépenses d’ici là, le gouvernement devrait fermer ».

Voyons voir. Qu’il ferme ? Oui, ça semble une bonne idée. Verrouillez les portes. Eteignez les lumières. Envoyez les zombies à la maison.

Mais attendez… le FBI et les services de sécurité fermeraient eux aussi. Et le fisc.

Eh bien, magnifique ! Quelle opportunité ! Les Américains qui voudraient tricher sur les impôts, tuer quelqu’un, dévaliser une banque ou faire exploser un bâtiment fédéral peuvent se préparer — ce sera l’occasion ou jamais.

Mais pourquoi se donner tant de peine ? Les autorités US causeront assez de problèmes toutes seules. Les autorités ont dépensé 233 milliards de dollars de plus que ce qu’elles ont encaissé le mois dernier. Multipliez ça par 12. Non, attendez, même pas besoin d’une calculatrice. Ça fait plus de 2 000 milliards de dollars. A bien y réfléchir, l’effondrement du gouvernement pourrait être la seule manière de nous en sortir.

Les certitudes économiques, tout comme le Proche-Orient, se disloquent

Philippe Béchade

 ▪ Les marchés européens puis Wall Street quelques heures plus tard ont célébré sans éclat le deuxième anniversaire du marché haussier qui s’est amorcé le 9 mars 2009. Rappelons qu’il a vu le S&P 500 doubler de valeur en tout juste 23 mois, passant de 666 à 1 332 points.

Le Dow Jones, qui s’était maintenu dans le vert jusque vers 21h58, a terminé in extremis dans le rouge pour le plus petit écart symbolique imaginable : -0,01%. L’emblématique S&P perd 0,15% à 1 320 points, et le Nasdaq recule de 0,5% — tout comme lors de l’entame de la séance.

Pas de quoi remettre en cause la tendance haussière. C’est à peine si les commentateurs s’étonnent de voir les indices boursiers américains enregistrer la plus forte hausse des 50 dernières années — alors que la reprise économique est la plus lente observée après un épisode de récession majeure depuis un siècle.

Cette surperformance reste largement imputable au quantitative easing de la Fed. Elle s’accompagne d’une résurgence de l’inflation au niveau du prix des actifs tangibles. Si « Monkey Business Ben » s’accroche à son « QE2 », nous sommes en bonne voie pour passer de l’hyper-endettement à l’hyperinflation.

▪ De son côté, la BCE pourrait entamer son cycle de relèvement des taux — Axel Weber a confirmé que les marchés avaient bien raison de s’y préparer. Dans ce cas, le dollar pourrait s’offrir une dégringolade en direction du plancher historique des 1,60. Cela rendrait nos exportateurs européens verts… de rage et nos balances commerciales encore plus lourdement déficitaires.

Une perspective dont Wall Street pourrait se réjouir. Cependant, les politiciens du Congrès US commencent à douter des avantages d’une telle évolution du marché des changes.

Même les ultra-libéraux les plus radicaux formés à l’école de Chicago ou du Mont Pèlerin réalisent qu’ils ne sont plus seuls au monde : leur ennemi idéologique numéro un est devenu, par une fantastique pirouette du destin — qui rime avec Pékin –, leur premier créancier.

Pékin pourrait racheter cash toutes les universités américaines où la pensée unique impose encore son hégémonie… tous les médias dans lesquels s’expriment les faiseurs d’opinion convertis aux « reaganomics » et incapables d’admettre dans quelle impasse cela nous a menés… toutes les marinas dans lesquelles les traders ont ancré leurs yachts de 60 pieds… tous les jets privés dans lesquels les patrons américains font la navette vers Shanghai pour mendier une petite part du gâteau chinois.

▪ Faire le plein de kérosène devient d’ailleurs de plus en plus onéreux pour s’en aller faire des affaires dans des pays de moins en moins nombreux. Le monde arabe tel que nos politiques pensaient le connaître se disloque.

La flambée des denrées alimentaires et la corruption des élites font souffler un vent de révolution dans les pays où la dictature passait pour un héritage culturel inamovible. Imagine-t-on qu’ils ont rejeté la chape de plomb de régimes ultra-autoritaires pour se soumettre à l’aliénation de l’ultra-libéralisme ?

Le système économique qui s’est auto-détruit en 2008 ne leur a apporté comme seul bienfait que l’hyperinflation et le chômage à grande échelle. Cela depuis que Ben Bernanke fait exploser la masse monétaire en dollar à un rythme estimé autour de 24% par an depuis trois ans.

Même si les haussiers sont encore plus de 65% à croire à un retour du Dow Jones au contact des 14 500 à l’horizon 2012, la question d’une poursuite du rally haussier est clairement posée. Rappelons qu’elle concerne un contexte de tension des taux déjà avéré dans les pays émergents… et qui commence à contaminer les pays du G7 qui sont leurs principaux clients.

▪ Les places européennes sont devenues plus hésitantes depuis la mi-février. Toutefois, les incertitudes proche-orientales et la flambée du pétrole semblent digérées avec une aisance déconcertante (surtout par Wall Street). Impossible de détecter dans la courbe du Dow Jones les bouleversements géopolitiques considérables qui se sont succédé depuis deux mois.

Cette séance de mercredi confirmait le climat d’hésitation des opérateurs. Ils ont fini par opter pour la prudence en fin de parcours : un repli limité de 0,5% en moyenne à Paris, Londres ou Francfort, dans des volumes qui ne traduisent pas de conviction d’aucune sorte.

Il n’en reste pas moins que les liquidités injectées chaque jour par la Fed continuent de pousser les cours à la hausse, même en l’absence de bonnes nouvelles.

▪ Il suffit qu’il n’y en ait pas de mauvaises pour que les indices repassent au vert. Et encore, cette règle admet de nombreuses exceptions : le dernier exemple en date remonte à seulement quelques heures. Le cours du baril reculait de 1% vers 104,3 $ mercredi soir, alors que le colonel Kadhafi a fait bombarder — exactement comme nous le redoutions dans de précédentes chroniques — des installations pétrolières et des pipe-lines dans l’est de la Libye ce mercredi.

Cela signifie que les exportations ne sont pas près de revenir à la normale (environ 1,1 million de barils par jour, soit 1,5% de la consommation mondiale). Les spécialistes de l’or noir redoutent également les développements politiques potentiels consécutifs à la « journée de colère » en Arabie Saoudite, prévue vendredi : des manifestations d’hostilité au régime seraient à coup sûr sévèrement réprimées.

Au-delà de la production pétrolière qui importe surtout aux Occidentaux, le Royaume est farouchement attaché à son statut de Terre sainte et de lieu de pèlerinage pour l’ensemble des musulmans.

Nul doute que beaucoup de ceux qui feront le voyage vers La Mecque cette année auront pas mal de choses à raconter à leurs hôtes saoudiens.

Riyad peut toujours museler la presse, mettre en stand-by les envois de SMS et censurer Internet, il aura beaucoup de mal à neutraliser le fameux… « téléphone arabe ».

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