La Chronique Agora

Le retour des illusions : pourquoi le contrôle des prix échoue toujours

Des milliers d’années plus tard, le contrôle des prix demeure une illusion économique, comme le montre l’histoire de Dioclétien et ses conséquences désastreuses.

En 301 après J.-C., l’empereur romain Dioclétien a mis en place un plafonnement des prix sur plus de 1 200 produits.

Au cours des 250 années qui avaient précédé, les pièces d’argent ont été dévaluées à de nombreuses reprises et les citoyens étaient évidemment mécontents de la hausse consécutive des prix. En 50 après J.-C., chaque denarius contenait environ 3,9 grammes d’argent, mais l’empire n’a cessé de les dévaluer, parfois de manière spectaculaire et parfois plus progressivement.

Ainsi, en 125 après J.-C., chaque pièce ne contenait plus que 3 grammes d’argent. Et en 200 après J.-C., c’était moins de 2 grammes. Une chute brutale de la teneur en argent se produisit de nouveau entre 250 et 275 après J.-C.

En peu de temps, il ne restait plus qu’une « fine couche d’argent » sur chaque pièce.

Source : Visual Capitalist

La traduction anglaise de l’édit de Dioclétien est amusante à lire. Elle montre que peu de choses ont changé en politique au cours des millénaires. Dioclétien est décrit comme « dévoué, béni et invaincu » et les victoires militaires de l’empire sont présentées comme étant à l’origine d’une formidable ère de paix.

Mais, selon ce document, l’empereur fut obligé de « protéger la tranquillité que nous avons établie avec toutes les forces que la Justice mérite ».

Les tribus barbares avaient été vaincues, les Samaritains, les Perses et les Bretons avaient été conquis, mais maintenant une nouvelle guerre devait être menée contre la cupidité : « La cupidité détruit tout sur son passage et n’a aucune limite. » Les commerçants cupides exploitaient les pauvres en leur imposant des prix trop élevés, par conséquent : « Il est de notre devoir, nous qui sommes les parents de la race humaine, de nous assurer que la justice intervienne dans ces affaires en tant qu’arbitre. »

Certains passages de cet édit rappellent curieusement la manière dont les médias ont commenté les déclarations de Kamala Harris sur la lutte contre les prix jugés abusifs. L’édit affirme que les prix augmentent même lorsqu’il y a une « abondance de biens » et « de bonnes récoltes ». James K. Galbraith et Isabella Weber ont affirmé quelque chose de similaire dans leur article en faveur de Harris, en indiquant que le prix des oeufs avait augmenté alors même que la production était en hausse.

Bien sûr, ni Dioclétien ni les journalistes d’aujourd’hui n’ont mentionné l’impact de la politique monétaire.

Un article pro-contrôle des prix paru dans The Atlantic affirme : « Les lois contre les prix abusifs reflètent une vision différente de la façon dont le marché doit être régulé, davantage fondée sur l’équité. » L’édit de Dioclétien fait appel de la même manière aux notions de justice, d’intérêt général et d’éthique. Même la déclaration de Paul Krugman, qui joue avec les mots pour essayer de prétendre qu’une interdiction des prix abusifs n’est pas la même chose qu’un contrôle des prix, trouve son équivalent au IVe siècle : « Notre position n’est pas que nous devons fixer les prix de vente des biens et services […], mais que nous devons fixer une limite. »

Lactance, un philosophe, a écrit sur les effets de l’édit de Dioclétien, quelques années plus tard :

« Tandis que Dioclétien semait la misère, la ruine et la destruction, il ne put retenir ses insultes, pas même contre Dieu. Cet homme, en partie par avarice, et en partie par la faute de ses conseillers, fit vaciller l’empire romain. […]

Il tenta également, après avoir rendu toutes choses extrêmement chères par diverses extorsions, de limiter leurs prix par une ordonnance. Alors, beaucoup de sang fut versé pour des pacotilles. Les hommes craignaient d’exposer quoi que ce soit à la vente, et les pénuries devinrent plus grandes et plus douloureuses que jamais, jusqu’à ce qu’en fin de compte, l’ordonnance, après s’être révélée destructrice pour les masses, soit abrogée par pure nécessité. »

L’édit de Dioclétien n’est qu’un exemple parmi d’autres de contrôle des prix. Mais l’histoire nous enseigne que les résultats sont systématiquement les mêmes.

Dans Forty Centuries of Wage and Price Controls, Schuettinger et Butler passent en revue cette « longue série d’échecs à répétition », comme David Meiselman le décrit dans la préface :

« Effectivement, aucune des tentatives de contrôle des prix à travers l’histoire n’a réussi à arrêter l’inflation ou à remédier aux pénuries. Au lieu de freiner l’inflation, les mesures de contrôle des prix n’ont fait qu’entrainer des difficultés économiques supplémentaires, telles que l’aggravation des pénuries, qui reflètent le gaspillage et la mauvaise allocation des ressources causés par le contrôle des prix lui-même, ainsi que l’émergence d’un marché noir. »

Ryan McMaken et moi-même avons discuté dans le dernier épisode de Radio Rothbard des mesures de contrôle des prix proposées par Kamala Harris et de la question de savoir si les économistes sont responsables de l’ignorance du grand public quant aux effets prévisibles de tels contrôles.

Il est vrai qu’il existe de mauvais économistes qui justifient des politiques désastreuses comme le contrôle des prix, mais l’écrasante majorité des économistes comprennent parfaitement et ont déployé d’immenses efforts pour expliquer les conséquences désastreuses de telles mesures.

C’est pourquoi l’article de The Atlantic auquel je faisais référence plus tôt est intitulé : « Parfois, il faut savoir ignorer les économistes ». Si le grand public et les journalistes décident d’ignorer les preuves empiriques qui se sont accumulées sur des millénaires ainsi que la grande majorité des économistes, en dépit du fait que ces derniers aient publié une multitude d’articles comme celui-ci chaque fois que des dirigeants politiques ont proposé la mise en place d’un contrôle des prix, alors nous pouvons dire que la plus grande partie de la responsabilité incombe aux médias et à l’Etat.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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