La Chronique Agora

Conseils à un jeune homme qui débute

▪ "Je ne suis juste pas sûr de ce que je veux faire…"

Notre fils Jules, 22 ans, a terminé ses études depuis un an. Il est remarquablement doué pour la musique.

"Tu aimes la musique. Pourquoi ne pas te lancer ? Je t’aiderai", a dit son père.

"Je ne sais pas. Je ne sais pas si je peux le faire. Je ne sais pas si j’ai assez de talent. Il y a tellement d’autres gens qui essaient… et bon nombre d’entre eux ont bien plus de talent que moi"…

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"Je ne sais pas non plus si je devrais le faire. Quand j’écris des chansons, je dois creuser si profondément en moi que j’ai presque peur de ce que je vais trouver. C’est trop douloureux, émotionnellement parlant… Ça me fait trop réfléchir".

"Parfois, je me dis que je ferais mieux de me lancer dans une carrière ne demandant pas autant d’imagination créative. Quelque chose que je pourrais faire sans trop d’engagement émotionnel. Une carrière normale. Travailler dans une grande entreprise, par exemple. Ou quelque chose d’entièrement différent. Quand je travaillais avec toi pour réparer le toit de la grange, par exemple, j’étais parfaitement à l’aise. Ça me plaisait. Puis je suis retourné à ma musique, et je suis retombé dans la déprime".

▪ Un père est censé savoir ce qu’il y a de mieux pour ses enfants… mais il y a des choses qu’il pense savoir, et des choses dont il sait qu’il n’a pas la moindre idée.

Voilà ce que nous avons répondu :

"Eh bien, tu peux arrêter de te faire du souci sur la question du ‘talent’. J’ai vu ce que tu sais faire — tu ne manques pas de talent".

"Et puis quand j’avais ton âge, je pensais que le talent avait beaucoup d’importance. Le talent pur compte beaucoup quand on commence tout juste dans la vie. Parce que c’est tout ce qu’on a. La personne très intelligente, par exemple, c’est celui qui a de bonnes notes sans trop se forcer, entre dans une bonne université et semble parti pour dévorer le monde".

"Mais il y a différentes sortes de talents. Il y a le talent de se rappeler les choses. Il y a ceux qui ont l’oreille absolue. Et il y a ceux qui peuvent arriver au travail à l’heure et s’y tenir. A mesure qu’on prend de l’âge, le talent pur devient moins important. Parce qu’on a accumulé de plus en plus d’expérience, de sagesse, de savoir-faire, d’instinct et ainsi de suite. La personne qui avait naturellement du talent perd peu à peu du terrain par rapport à celui qui arrive tôt au travail, et reste tard".

"Tu veux avoir du succès ? C’est très simple. Mets-toi au travail à 8h. Continue jusqu’à 20h. Et continue comme ça pendant dix ans. Je te garantis que tu auras du succès dans ce que tu auras entrepris en suivant cette méthode".

"Quant à savoir si tu ferais mieux d’éviter une carrière artistique, je ne peux guère t’aider. Nous sommes des gens lunatiques. Ça vient de tes ancêtres irlandais. Nous sommes un clan de rêveurs et d’entêtés, pleins d’illusions romantiques, et on s’en sortirait probablement mieux en faisant de la maçonnerie plutôt que de la poésie. Mais quoi que tu décides de faire, tu t’en sortiras probablement mieux en t’y tenant"…

"Tu sais, on peut aussi traiter une carrière artistique de manière tout à fait terre à terre. Tous les artistes ne sont pas des âmes torturées. En fait, c’est probablement plus une pose qu’une réalité. Et elle est très difficile à tenir sur le long terme. Ces âmes torturées terminent généralement mal, et vite. Les vrais professionnels continuent longtemps".

"Certains écrivains, par exemple, poseront leur stylo à 17h… même si c’est au milieu d’une phrase. Oui, c’est probablement une bonne idée que de mettre un peu de distance entre ton âme et ton travail. Travaille de manière terre à terre. Torture ton âme le week-end. Ou répare des toitures de grange".

"J’espère que ces conseils t’auront aidé".

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