La Chronique Agora

Connaissez-vous Bob Parker ? (non, ce n’est pas l’auteur de Oui-Oui fait de la bourse)

▪ Oubliez ce que vous savez du rebond poussif de l’économie, que Ben Bernanke ou le FMI sont les premiers à nous rappeler chaque semaine. Répétez 100 fois l’incantation « la tendance est haussière » et vous gagnerez 100% !

Cette affirmation n’est pas aussi stupide qu’elle en a l’air puisqu’elle est tirée d’une situation bien réelle. Elle soulève toutefois pas mal de questions…

Est-ce que le Nasdaq — qui tutoie à présent les 2 500 points — peut viser 100% de gain en 13 mois et demi ? Il s’agit d’un objectif de 2 540 points, équivalent au zénith des 15 mai et 5 juin 2008.

Réponse : rien ne semble impossible à un indice gouverné par la surliquidité.

L’indice composite alignait ce mercredi une huitième séance de hausse (+1,3% à la mi-journée) sur une série de neuf. Il semblait bien parti pour aligner une septième semaine consécutive dans le vert, avec 15 records annuels depuis le 5 mars dernier.

Un autre décompte sur 10 semaines, en remontant jusqu’au 5 février, nous permet de constater une obnubilation haussière tout aussi impressionnante. On compte en effet un cumul de 32 séances de hausse contre six de stabilité et six de repli. Sur ces dernières, cinq ne dépassent pas 0,7% alors qu’une seule baisse s’est avérée supérieure à 1%… et cela remonte déjà au 23 février dernier.

▪ Nous observons donc un ratio hallucinant de huit journées positives sur 11. C’est-à-dire que le Nasdaq progresse plus de 75% du temps et ne consolide qu’une fois sur sept — soit 15% du temps.

Cela signifie qu’il n’y a aucun point d’entrée pour les retardataires dans le marché, et aucune détente possible des oscillateurs. Ces derniers nous avertissent d’un climat de surachat des indicateurs hebdomadaires seulement comparable à janvier 2004… et qui s’avère bien plus alarmant qu’en octobre/novembre 2007, lors du record inscrit à 2 825 points.

Le Nasdaq n’est plus qu’à 13% de ses sommets de l’époque… comme si les profits n’étaient par exemple inférieurs que de 15% à leurs niveaux record.

Est-ce que les profits du premier trimestre 2010 seront comparables à ceux du second semestre 2007 ? Est-ce que les profits espérés d’ici 2012 seront aussi fabuleux que ceux anticipés au printemps 2007… en tirant une croix sur le plein emploi, la flambée de la consommation ?

▪ Est-il besoin d’ajouter que la croissance américaine, mesurée à 5% fin 2009, est complètement bidon ? Et faut-il préciser que l’Europe pourrait bientôt renouer avec une croissance nulle, suite à la mise en oeuvre des mesures d’austérité dans les pays du « Club Méditerranée » ? Signalons que Bruxelles affichait ouvertement son scepticisme sur les chances de succès du plan portugais ce mercredi

Et nous découvrons régulièrement des études dont les auteurs affirment que les actions ne sont pas chères… puisqu’elles sont encore à 15% ou 20% en moyenne de leurs plus hauts absolus !

Oubliez donc les PER astronomiques de l’automne 2007, oubliez que les profits restent inférieurs de 40% à leurs niveaux du printemps 2008, quand le Nasdaq tutoyait encore les 2 500 points.

Achetez, achetez, achetez, c’est haussier… Et si la hausse actuelle n’a pratiquement pas de racines, c’est pour mieux permettre aux branches de grimper jusqu’au ciel.

Il faut vraiment être le plus irréductible des suiveurs de tendance et faire aveuglément confiance à un automate de passation d’ordres à la milliseconde pour ne pas se préoccuper de la notion de valeur relative du portefeuille… de la soutenabilité des niveaux de cours… ou encore de la déconnexion de la hausse par rapport au rythme réel d’amélioration de l’environnement économique.

▪ Mais tout ce que nous avons décrit plus haut dépasse tellement l’entendement (le nôtre, en tous cas !) qu’il faut bien envisager que les day traders font la tendance en se jurant de la suivre quelles que soient les circonstances. Ils ont totalement omis d’intégrer dans les modèles mathématiques dont sont gavés leurs logiciels de trading les risques d’éclatement de la bulle obligataire, le dernier exemple remontant en effet à janvier 1994.

C’est un précédent fort lointain et « non probant » (irrelevant, diraient nos amis anglo-saxons), puisque les banques centrales resserraient le loyer de l’argent au lieu de promettre des liquidités éternellement gratuites. Elles n’avaient pas non plus dégradé leur bilan en y intégrant un millier de milliards de créances douteuses (comme la Fed depuis 2008).

Et nous voici replongés dans le même genre de processus technique absurde qu’en 2000 ou 2007 : puisque aucun krach des dot.com ou des subprime n’a jamais été observé, il ne saurait être modélisé et inclus comme un motif de limitation des effets de levier.

▪ Pour résumer l’état d’esprit du moment, nous vous livrons ce pur joyau de la pensée unique. Il illuminera votre compréhension du pourquoi et du comment de la hausse qui propulse le S&P vers 1 210 points et lamine le VIX de 15,50%.

Nous retranscrivons sans y retrancher une virgule l’interview accordée par le senior strategist du Credit Suisse Bob Parker aux journalistes de CNBC. Accrochez-vous, ça décoiffe !

« Je ne peux imaginer à l’heure actuelle aucune raison qui motiverait un pullback des marchés ».

« Si vous regardez ce qui va se passer au cours des prochains mois, attendez-vous à des chiffres économiques très forts » (tout le contraire de ce que pronostiquent Ben Bernanke et Dominique Strauss-Kahn… mais ils ne savent pas lire l’avenir comme Bob Parker, pardonnez-leur, NDLR).

« Les profits des entreprises vont continuer d’accélérer à un rythme annuel de 20% dans les pays développés au cours des deux prochaines années » (avec des consommateurs pressurés d’impôts et des salaires bloqués, cela tombe sous le sens, NDLR).

« Les motifs de modération de la hausse sont désormais bien intégrés dans les cours, aussi bien les difficultés de refinancement des Etats que le resserrement de la politique monétaire chinoise » (et Pékin n’est certainement pas confronté à un scénario de bulle du crédit à la japonaise, NDLR).

A tous ceux qui écarquillent les yeux devant des affirmations aussi péremptoires et d’une subjectivité totale, nous disons « prenez garde ».

Votre scepticisme face au dogme haussier risque de vous interdire à tout jamais d’accéder au statut de grand stratège de banque avec salaire à sept chiffres, bonus pharaoniques, voyages en jet privé et admiration sans borne de l’élite de Wall Street !

Pour avoir osé douter de « ceux qui savent et le font savoir », vous ferez pénitence et copierez 100 fois cette quintessence absolue de la pensée économique : « je ne peux imaginer à l’heure actuelle aucune raison qui motiverait un pullback des marchés ».

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