La Chronique Agora

Le confinement n’a servi à rien, vraiment ?

Alors que Bill Bonner estime que le confinement a été inutile, voire nuisible, d’autres pensent au contraire qu’il n’y avait pas vraiment le choix : voici l’avis d’un contrarien parmi les contrariens…

Avec un léger décalage, le monde occidental a suivi la Chine dans son grand plongeon économique. Beaucoup se demandent aujourd’hui si les gouvernements sont allés trop loin pour « sauver la vie de personnes généralement âgées » aux dépens de l’économie, brutalement mise au point mort. Voyons un peu.

Cette opinion a été popularisée par un article scientifique de Philip Thomas (en anglais), professeur en gestion des risques à l’université de Bristol. Après avoir lu l’article en question, il faut bien dire que les opinions de son auteur sont nettement plus nuancées que le portrait qu’en font les médias. Reste qu’il existe, de mon point de vue, une incompréhension fondamentale des conséquences de la gestion de la crise du Covid-19 pour la santé et l’espérance de vie et d’une récession qui dépasse nos possibilités de modélisation mathématique.

L’idée principale est que les crises financières nuisent à la santé physique et mentale : le gouvernement devrait donc évaluer avec précaution les coûts humains d’une récession par rapport à ceux d’une neutralisation du coronavirus.

Un choix politique ?

Pour ma part, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un choix politique : j’ai expliqué pourquoi sur Twitter, après avoir écouté à la radio un historien et un médecin débattre des conséquences économiques du virus. Peut-être faudrait-il demander à des économistes d’évoquer les causes de la Première guerre mondiale ou de débattre des bénéfices d’une inoculation…

Mais alors, quels sont les angles morts de ce débat simpliste qui vise à déterminer s’il vaut mieux protéger l’économie ou déclarer un confinement pour tenter de limiter les cas de Covid-19 et le nombre de décès ?

C’est vrai : quand l’économie va mal, la santé physique et mentale paye un lourd tribut. Avec une augmentation du chômage ou du sous-emploi, les revenus fondent comme neige au soleil, les entreprises ferment et les communautés s’affaiblissent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons des filets de Sécurité sociale et des programmes de santé bien développés, bien qu’ils ne soient pas toujours financés de manière adaptée.

Il y a des bas aussi bien que des hauts, mais…

Notre système économique est cyclique, il connaît par nature des hauts et des bas. Nous savons dans l’ensemble comment gérer ces fluctuations sans mettre en danger l’allongement de l’espérance de vie et le bien-être général des populations.

Il faut cependant noter deux points importants.

Pour commencer, la récession de 2009-2010 a été terrible. Pire encore, nous faisons face à ses conséquences depuis 11 ans sans parvenir à les surmonter. Cette expérience a effectivement nui à la santé des nations et provoqué entre autres une stagnation voire un déclin de l’espérance de vie dans plusieurs pays pour la première fois depuis 1945.

Ensuite, en pleine pandémie du coronavirus, les choses sont différentes. Les gouvernements ont décidé d’imposer un arrêt économique total pour une excellente raison, et il faut être clair : l’idée d’un choix entre des vies perdues en raison du Covid-19 et des vies perdues en raison d’une récession est totalement fallacieuse.

L’économie a été mise à l’arrêt parce que laisser libre cours au virus aurait signifié risquer un effondrement de nos systèmes de santé. L’explosion du nombre d’infection risquait de faire augmenter le taux de mortalité chez les patients atteints de Covid-19 (qui sont en grande partie, mais pas seulement, des personnes âgées), mais aussi chez de nombreux autres patients non-Covid, âgés ou pas, que le système de santé aurait alors eu bien du mal à traiter.

Imaginez les conséquences pour les patients non-infectés qui ont besoin d’une opération en urgence, ou de visites régulières à l’hôpital, etc.

Notez également que si le système de santé devait être totalement submergé, avec une augmentation du nombre de décès et une mauvaise situation sanitaire, l’économie finirait tout de même par s’effondrer aussi, et le problème ne ferait qu’empirer.

Gagner du temps

Pour formuler les choses autrement, le terrible plongeon économique que nous nous sommes imposé visait à nous donner du temps pour investir et donner plus de ressources au système de santé, afin de lui permettre de mieux gérer la crise du coronavirus, pour que les restrictions imposées à l’économie et à la société puissent être levées petit à petit ou sporadiquement selon les cas, et pour permettre au système de se remettre sur pied dès que possible.

Le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et d’autres ont choisi d’employer les grands moyens contre le virus, et ce n’est sans doute pas terminé. Les déficits budgétaires vont augmenter en flèche, financés par des taux d’intérêts ultra-bas, voire négatifs. Ceux-ci ne nous étoufferont pas.

La politique monétaire, aussi expansionniste qu’elle soit, pourrait l’être plus encore si certains gouvernements optaient non seulement pour l’émission d’obligations en partie achetées par les banques centrales dans le cadre d’assouplissements quantitatifs, mais aussi pour le financement expérimental direct de certains programmes, c’est-à-dire la Théorie monétaire moderne.

C’est en réalité une forme comme une autre de politique fiscale : une alternative à l’émission d’obligations. Ses conséquences sont très différentes de celles des assouplissements quantitatifs, et elle devra par conséquent faire l’objet de beaucoup plus de précautions en termes de calibrage et d’objectifs (par exemple pour l’investissement productif).

Le degré d’incertitude est extrême, et nous naviguons dans le brouillard. Il est cependant raisonnable de supposer […] qu’un vaccin sera trouvé. Les restrictions imposées à l’économie et aux personnes sont en train d’être levées, même si elles devront peut-être être remises en place au compte-goutte. La capacité du système de santé sera elle aussi renforcée, avec plus de masques, de médicaments, de lits et de respirateurs. Nous serons mieux à même de gérer la crise.

L’équilibre entre un arrêt ou une reprise de l’économie sera donc modifié, certes pas à pas, mais avec un peu de patience et de sens commun sur le plan politique, nous pourrons nous en sortir.

Alors je vous en prie : cessons de nous intéresser à ce faux choix entre fonctionnement économique et nombre de vies sauvées. C’est en sauvant des vies que nous pourrons revenir à un fonctionnement économique normal. Tout simplement.

[NDLR : Article déjà paru sur le site georgemagnus.com et repris avec l’autorisation de l’auteur]

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