La Chronique Agora

Confinement, émeutes et exception culturelle

Comme nous l’avons vu samedi passé, la composante criminelle et délinquante de l’économie souterraine s’est effondrée avec le confinement. Cela fait-il vraiment les affaires de l’Etat ?

On peut en douter puisqu’au moins, lorsqu’ils sont occupés à voler, agresser ou trucider la population, les « chenapans » (pour parler comme un ministre) qui gangrènent notre pays ne s’en prennent-ils pas directement à l’Etat en tant que tel.

Par conséquent, tous les moyens sont bons pour cajoler cette frange de la population qui n’a pas pour habitude de s’amuser en faisant des barbec’ sur des ronds-points.

Des problèmes liés au confinement dans les zones de non-droit ? Où ça ?

L’un de mes meilleurs souvenirs de jobs d’été reste le jour où, accompagné de quelques autres intérimaires, j’avais dû faire briller l’atelier en catastrophe car le grand patron allait nous faire une visite plus ou moins inopinée. Quelques coups de balais et aller-retours à la benne à ordures et, ni vu ni connu, le tour était joué.

Il en va de même des visites présidentielles sur le terrain à la différence près que là, le grand patron fait lui aussi partie de la combine. C’est ainsi que le 7 avril, en visite en Seine-Saint-Denis, Emmanuel Macron a fait la déclaration suivante :

Avez-vous comme moi relevé deux choses qui vous ont fait tiquer ? Tout d’abord, nous avons la confirmation s’il en fallait qu’en 2020, le politicien français continue de penser que la pauvreté implique une relation disons plus qu’aléatoire vis-à-vis de la loi.

Ensuite, lorsqu’il s’agit de mettre en parallèle le rapport qu’entretiennent les populations dites « pauvres » vis-à-vis de la loi, les politiciens prennent systématiquement pour exemple la Seine-Saint-Denis, alors qu’il y aurait nombre d’autres choix possibles, comme par exemple la Creuse, le Cantal, ou que sais-je encore – dont on entend beaucoup moins parler.

Mais passons.

En l’occurrence, cette déclaration est d’autant plus curieuse que j’ai cru comprendre que non seulement la Seine-Saint-Denis, avec le Pas-de-Calais, est le département où ont eu lieu les premières gardes à vue concernant des individus qui n’ont pas respecté le confinement…

… mais également que ceux qui étaient sur le terrain n’avaient pas tout à fait eu la même perception que le président au sujet des individus qui ont « perturbé l’ordre public », pour le dire gentiment.

Si vous vous demandiez quel folklore local pouvait bien justifier la prime de fidélisation de 10 000 € sur cinq ans pour les fonctionnaires du « 9-3 », en voilà un microscopique aperçu.

A la décharge des habitants de la Seine-Saint-Denis, le constat est grosso modo le même dans tous les quartiers dit « sensibles » et autres zones de non-droit, comme en attestent les vidéos qui remontent du terrain.

Les Yvelines, en particulier, sont assez bien placées pour faire elles aussi l’objet d’une prime de fidélisation des fonctionnaires.

Dans les deux cas, les autorités ont envisagé un couvre-feu, sans pour autant oser franchir le pas.

Un jour sans doute faudra-t-il également subventionner les serviteurs de l’Etat qui voudront travailler dans la capitale.

Mais tout cela n’est-il pas encore très méchant.

Mi-avril, après les barbecues, les matchs de foot et les agressions individuelles de policiers, les zones de non-droit sont passées à l’étape suivante.

Guet-apens de flics : cachez-moi ces émeutes que je ne saurais voir !

Le dernier grand festival de feux de poubelles, d’attaques au mortier et de caillassages de poulets a débuté le 20 avril à Villeneuve-la-Garenne, après qu’un individu déjà condamné à 14 reprises est rentré dans une portière de voiture de police.

Sur les réseaux sociaux, on a vu défiler des tombereaux de vidéos amateurs dans lesquelles « de jeunes trublions » (pour parler comme un ministre) se mettaient en scène alors qu’ils s’amusaient à organiser des guet-apens contre les policiers, en prenant soin de préciser que « c pas des lol » – comprendre « on s’amuse bien mais on n’est pas non plus là que pour rigoler ».

Evidemment, après nous avoir gratifiés d’un « message de fermeté » du genre de ceux que les politiciens qui ne veulent surtout rien changer ont le secret…

… le ministre de l’Intérieur s’est empressé de mettre la situation en perspective, en nous expliquant que tout cela n’est pas si grave. Certes, des tensions « se multiplient » dans certaines banlieues du pays, mais elles « ne sont pas d’un niveau de gravité exceptionnel », a-t-il déclaré le 23 avril.

Christophe Castaner a raison. De la même manière que la crise économique en cours n’est qu’une nouvelle étape dans le cadre de la Crise qui nous pend au nez – celle que Bruno Bertez écrit avec un « c » majuscule –, le grand soir du déferlement de la banlieue sur la ville est toujours devant nous.

Comme il en va en matière d’économie et de finance, la situation en matière de sécurité reste pour le moment « sous contrôle ». Le confinement n’avait-il d’ailleurs pas quasiment réglé le problème sur le reste du territoire, comme l’a rappelé Frédéric Veaux ?

Comme quoi, les gouvernements et les banques centrales mènent décidément le même combat : repousser à plus tard ce qui finira inéluctablement par arriver.

L’(autre) exception culturelle française

Bref, tout baigne dans le beurre dans les « quartiers populaires », comme les appellent les politiciens et les journalistes misérabilistes.

Misérabilistes en effet puisqu’il s’agit de nous faire prendre pour des « émeutes de la misère » ou pour des « émeutes de la faim » (comme vous préférez) ce qui n’est en réalité que le divertissement favori d’adolescents et de jeunes adultes n’ayant jamais travaillé (légalement) de leur vie et balançant chaque nuit des fortunes par la fenêtre en mortiers, unités centrales, frigos, j’en passe et des plus lourds.

La misère, ça n’est décidément plus ce que c’était !

Le drame, et c’est aussi le cas avec les autres fléaux qui accablent la France, c’est que cela fait tellement longtemps que nos politiciens ont renoncé que l’on a presque, nous aussi, fini par nous habituer.

Avant de vous laisser, j’aimerais que vous vous posiez cette question : connaissez-vous un seul autre pays occidental qui ait subi des émeutes en pleine pandémie mondiale ? Moi non plus.

En France, les responsables politiques sont très forts pour les discours grandiloquents sur « le monde d’après ».

Pour agir en revanche, ils se font beaucoup plus discrets. Peut-être faudra-t-il un jour nous décider une bonne fois pour toute à remettre en question certaines de nos exceptions culturelles.

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