Plutôt que de rétablir l’ordre républicain dans les zones de non-droit, l’Etat préfère continuer de se voiler la face et de pousser les rochers sous le tapis. Officiellement, les zones de non-droit, ça n’existe pas.
A vrai dire, le ministre de l’Intérieur a raison : en cas de catastrophe, la police montre encore le bout de son nez sur l’ensemble du territoire. Le problème, c’est simplement que certains agissent avec plus de liberté et de détermination que d’autres.
Vous êtes sceptique et vous aimeriez quelques illustrations ? Y a qu’à demander !
« Monde n°1 » : félicitons tout d’abord notre Etat qui a brillé dans le maintien de l’ordre là où il n’y avait personne !
Dans certaines zones de guerre, il faut bien reconnaître que l’Etat a mené moult interventions qui passeront à la postérité comme les égales de la bataille de Bouvines, voire du chef d’œuvre tactique d’Austerlitz.
On se souviendra en particulier de l’opération menée début avril dans les Vosges par le peloton de gendarmerie de montagne de Xonrupt-Longemer. Témoignage de l’un des grognards de notre époque :
« L’appui de l’hélicoptère nous permet de couvrir rapidement de grands espaces sur de grandes distances. Samedi, nous avons repéré un vététiste au Lac Blanc que nous avons verbalisé. Il était parti de Colmar ! »
Les randonneurs et les cyclistes ne sont pas les seuls qui ont trouvé à qui parler, puisque ceux qui pensaient pouvoir braver les règles du confinement pour faire leur jogging ou leur séance de bronzage sur la plage ont aussi entendu un drôle de bruit au-dessus de leur tête.
Bravo également aux troupes terrestres puisque dans sa guerre contre les déconfinés, l’Etat a traqué les contrevenants jusque dans les grottes.
Cette brillante stratégie a permis au ministre de l’Intérieur d’annoncer fièrement le 11 mai le résultat pécuniaire de sa guerre contre les déconfinés.
On sent que Christophe Castaner était à deux doigts de proposer une nouvelle devise pour la République française.
Voilà ce qu’il s’est passé dans le « monde n°1 ». Dans le « monde n°2 », l’histoire n’a pas été la même.
« Monde n°2 » : vous reprendrez bien un p’tit coup de médiation sociale ?
Il fut un temps où la loi s’appliquait en principe de la même manière pour tous sur l’ensemble du territoire national. Mais ça, c’était avant les années 1980. Avec l’émergence des zones de non-droit a émergé une nouvelle profession : le médiateur social.
Voici comment le ministère de la Cohésion des territoires etc. etc. définit le poste. Lisez attentivement ces quelques lignes, elles valent leur pesant de cacahuètes.
Notez que le ministère décrète l’« efficacité » de cette activité mais se garde bien de décrire le type de quartiers concernés. Tout ce qu’on en sait, c’est qu’il s’agit d’un autre « monde » qui ne « côtoie » pas les institutions de la République ni ne les « comprend »…
Voilà qui est déjà truculent en soi, mais ce n’est que le début.
Le ministère précise par la suite que ce « métier en devenir », créé dans les années 1980 pour « faciliter l’accès aux droits », consiste aussi aujourd’hui à « faire émerger des solutions nouvelles et adaptées à l’évolution de la société » […] « en privilégiant l’écoute et le dialogue, en facilitant une meilleure compréhension des situations, des normes, des points de vue d’autrui et des conséquences sociales des comportements de chacun ».
Si je comprends bien, nous vivons dans un pays dont la classe politico-administrative a prévu qu’il y aura de plus en plus d’individus ayant des points de vue et des normes de comportement différentes de celles tolérées par la République, mais desquels l’Etat n’exigera rien si ce n’est de bien vouloir passer par l’entremise des médiateurs sociaux pour faciliter la perception de leurs prestations sociales.
Comme l’explique une responsable d’agence de médiation sociale dans le spot vidéo mis en avant sur le site du ministère :
« On a toujours travaillé à améliorer, à repérer les bonnes pratiques. Beaucoup de choses sont déjà écrites. Plus les choses seront normées, seront repérées et seront communes, plus on pourra être efficaces […] expérimenter de nouvelles façons de faire. »
Voilà qui est rassurant…
Alors bien sûr, pour faire face en période de confinement aux barbecues et aux matchs de foot dans les territoires perdus de la République, l’Etat a envoyé les médiateurs sociaux en première ligne. Pendant que des promeneurs isolés en prenaient pour 135 € dans le « monde n°1 », il s’agissait de tenter d’intermédier avec le « monde n°2 ».
Attention, qu’il n’y ait pas de malentendu : je ne suis évidemment pas en train de dire que personne n’a été verbalisé dans le « monde n°2 » – bien au contraire.
Il me semble cependant important de mettre en relief ce deux poids deux mesures qui devient plus qu’agaçant.
En particulier lorsque le « monde n°2 » laisse tomber les barbecues et les matchs de foot pour passer aux feux de poubelles, aux attaques au mortier et au caillassages de flics, auquel cas la médiation sociale perd quelque peu de son « efficacité » pour « résoudre les tensions ».
« Monde n°2 » : quand les forces de l’ordre reçoivent… l’ordre de ne rien faire !
C’est la stratégie qui a été appliquée à Marseille au mois d’avril, à en croire les informations de Paris Match. Voici ce qu’explique le journal dont les reporters sont partis à la rencontre des Français confinés… et des autres :
« Depuis une ‘descente’ médiatique dans le XIIIe arrondissement, où une vingtaine de consommateurs ont été verbalisés, le trafic régresse. Comment éviter que les quartiers ne s’embrasent ? Ce même agent révèle le mode opératoire, simple : ‘On a ordre de laisser tranquilles les dealers et de chasser les clients. Si on s’attaque aux réseaux, les trafiquants vont mettre le feu aux cités, dépouiller les supermarchés, attaquer les camions alimentaires. On ferme les yeux. D’ici un mois, ils vont commencer à souffrir, avec la fermeture des frontières entre l’Espagne et le Maroc’. »
Il est donc inconcevable pour les responsables des forces de l’ordre d’aller au clash : coûte que coûte, il faut que le statu quo tienne, comme en a clairement témoigné le 22 avril Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat SGP Police FO – une information de première main, donc.
Ce n’est pas tout, puisqu’à en croire un rubricard police-justice de LCI et TF1, l’Etat est également très « libéral » en matière de départs de feu dans certaines parties du territoire…
Le laissez-faire est également de mise à Bruxelles où RTL Info nous apprenait, après que deux policiers ont été blessés début mai lors d’une émeute à Saint-Gilles, que « dans certaines zones, les consignes sont de quitter les lieux lors de ce genre de confrontations ».
Bref, alors que l’Etat fait du zèle dans le « monde n°1 », certains individus du « monde n° 2 » sont traités avec tout le respect qu’ils méritent et toute la crainte qu’ils suggèrent.
Avec le personnel politique en place, autant dire que la sécession a de beaux jours devant elle.