La Chronique Agora

Comptabilité argentine et problèmes gouvernementaux

▪ Nous sommes en Uruguay pour une conférence, devant des investisseurs argentins.

Que pouvons-nous leur dire qu’ils ne sachent pas déjà ? Ils ont tout vu.

La semaine dernière, le journal El Clarin annonçait que le peso était passé sous le niveau des 15/dollar pour la première fois. Lorsque nous sommes arrivé en Argentine — c’était en 2005 environ — nous nous rappelons n’avoir reçu que cinq pesos pour un dollar.

"Personne ne connaît le vrai taux d’inflation", dit un ami. "La plupart des gens pense qu’il se trouve aux environs des 40%".

Rien qu’avec cette phrase, il devrait être assez évident pourquoi le peso chute. Evident pour tout le monde… sauf pour le ministre de l’Economie argentin, Axel Kicillof.

Traduction approximative du Clarin :

"Kicillof a accusé les Etats-Unis d’avoir fait baisser le peso. ‘Etrangement, [l’ambassadeur américain] Sullivan a utilisé le mot ‘défaut’ [pour décrire l’échec de l’Argentine à verser les paiements exigés sur sa dette étrangères] alors que tout le monde sait que c’était sélectif… et puis le dollar grimpe et donne l’impression d’une panique générale’.

‘Contrairement à ce que pensent les marchés’, continue Kicillof, ‘il n’y a aucune raison économique ou financière à ce que le peso s’échange à 15 pour un dollar’."

Eh bien, voilà qui règle la question, en ce qui nous concerne !

▪ L’aventure argentine !
Pendant ce temps, en page 10, la législation argentine fait concurrence au Congrès US dans la course au titre du groupe d’élus le plus benêt au monde. Ils viennent de voter une loi donnant au gouvernement le pouvoir de contrôler l’économie de manière encore plus étroite (il s’est tellement bien débrouillé jusqu’à présent !). Oui, entre autres choses, la loi donne au gouvernement l’autorité d’utiliser "toutes les méthodes nécessaires" pour fixer "des prix maximum et minimum".

Quelle méthode originale et intelligente d’empêcher les prix de grimper — les fixer soi-même

Vous vous dites sans doute : quelle méthode originale et intelligente d’empêcher les prix de grimper — les fixer soi-même. Pourquoi personne n’y a encore jamais pensé ?

Bien sûr, quelqu’un y avait déjà pensé. A de nombreuses reprises. A chaque fois, ça s’est soldé par un désastre. Si les prix trop bas, on se retrouve avec des pénuries. S’ils sont trop hauts, les rayons croulent sous le poids des invendus. Il devrait être évident pour tout le monde, désormais, que seul M. le Marché connaît le bon prix.

L’Argentine est une aventure. Même pour les Argentins. Nous les admirons profondément pour leur volonté d’expérimenter des politiques que d’autres ont déjà essayé — et dont ils se sont rendu compte qu’elles ne fonctionnaient pas. Les Argentins sont prêts à re-tenter le coup ; peut-être font-ils simplement des tests de fiabilité.

Dans la pampa, l’inflation, les impôts et la réglementation semblent avoir été intentionnellement conçus pour entraver la croissance économique. Quiconque gère une entreprise doit trouver des moyens de s’en sortir. Récemment, nous avions besoin de pièces et de pneus pour nos tracteurs… sans moyen de les obtenir à cause des restrictions sur les importations. Nous avons essayé de les faire expédier depuis les Etats-Unis, mais ils sont restés coincés à la douane. Quant à tenter de suivre les revenus et les dépenses, c’est un cauchemar.

▪ Une comptabilité à donner le vertige
Récemment, nous avons passé du temps avec un comptable, afin d’essayer de comprendre. Il nous a expliqué qu’un homme d’affaires typique avait quatre séries de comptes.

"L’une est pour ce qui se passe vraiment… avec certaines transactions en ‘blanc’ — c’est-à-dire au taux officiel… et d’autres en ‘noir’, que nous ne déclarons pas. Elle comprend aussi nos échanges de dollars en pesos, certains officiellement, à la banque, et d’autres officieusement, dans la rue".

"Une autre encore montre les transactions commerciales en noir et blanc, mais avec tous les échanges de dollars en pesos au taux officiel".

"Ensuite, on veut généralement suivre les seules transactions commerciales en blanc… on ne montre pas l’argent gagné en noir… ou les paiements faits en noir. Mais on peut voir les échanges de devises, de dollars en pesos, en noir et blanc, tels qu’on les a faits".

"Et bien entendu, il y a les comptes qu’on déclare au gouvernement. Toutes les transactions en ‘blanc’, mais avec nos conversions dollar/peso au taux officiel. C’est là de la pure invention, bien entendu".

La tête nous tournait. "On ne déclare aucune des transactions en cash ?" avons-nous demandé.

"Non… on n’a pas les papiers pour les prouver".

"Pourquoi ne pas émettre simplement des ordres d’achats et des reçus ?"

"Oh, la contrepartie ne les accepterait pas… il faudrait expliquer d’où il tient l’argent."

"Eh bien… d’où tient-il l’argent ?"

"C’est de l’argent ‘noir’… Il a probablement vendu quelque chose à quelqu’un d’autre… qui ne voulait pas non plus de reçu".

"Eh bien alors qu’est-ce qu’on fait avec cet argent noir ?"

"On l’utilise pour payer nos travailleurs. Ou acheter des choses. N’importe quoi. Mais nous devons aussi utiliser de l’argent blanc".

"Pourquoi ? On dirait que l’économie tout entière fonctionne avec de l’argent noir".

"Non, non… il faut aussi de l’argent blanc. L’argent blanc, c’est la manière dont Kiciloff pense que l’économie fonctionne. Nous devons lui montrer assez d’activité en blanc pour qu’il ne vienne pas chercher le noir".

Notre admiration pour l’homme d’affaires argentin capable de gérer toutes ces complications est sans limite

A nouveau, notre admiration pour l’homme d’affaires argentin capable de gérer toutes ces complications est sans limite.

▪ Plus facile à dire qu’à faire !
Plus tard, nous avons dîné avec le capataz, le contremaître de notre ranch.

"Peu importe qui gagne les élections", dit-il. "Les problèmes de l’Argentine sont si profonds… que personne ne pourra les résoudre".

"Non, non", lui avons-nous dit. "Je pourrais résoudre tous les problèmes en quelques semaines. J’éliminerais simplement toutes les lois et réglementations qui empêchent les gens de travailler. Je me débarrasserais de toutes les restrictions commerciales et financières. J’abolirais toutes les formes d’assistance et de subventions gouvernementales. Et j’adosserai le peso à l’or".

Le capataz n’y connaît pas grand’chose à l’économie. Mais il reconnaît un rêveur quand il en voit un.

"Plus facile à dire qu’à faire", a-t-il conclu.

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