Prise de risque, dur labeur et croissance réelle ne sont plus au goût du jour, pour faire fortune. A la place, copinage et trafics sont de mise…
Le succès de la raffinerie de sucre Tabacal, que nous avons commencé à examiner hier, a rapporté à son fondateur, Robustiano Patrón Costas, une telle réputation qu’il s’est présenté aux élections présidentielles argentines dans les années 1940.
Hélas, l’attrait de la prise de risque, du dur labeur et de la croissance réelle s’affaiblissait déjà. Les gens aiment le capitalisme lorsqu’ils grimpent ; pour redescendre, ils préfèrent le socialisme. Patrón Costas a perdu face au socialiste Juan Perón. Depuis, le pays décline.
Et aujourd’hui ?
La chose la plus remarquable, c’est que même avec un siècle de technologie supplémentaire… et une abondance de capitaux… il serait presque impossible de construire Tabacal aujourd’hui.
Il a fallu 17 ans de lutte acharnée pour que le projet fasse ses preuves. Qui risquerait son argent dans un investissement d’aussi long terme aujourd’hui ? Personne. Le jeune ambitieux de 2020 préfère devenir gestionnaire de hedge fund… ou développer une nouvelle appli, prévoyant son introduction en Bourse sous les 36 mois.
Un jeune homme ayant un projet aussi vaste et hardi que Tabacal serait presque condamné à l’échec. Les « indigènes » l’arrêteraient. Les « environnementalistes » lui mettraient des bâtons dans les roues. Le fisc, les syndicats, les banques, les lobbyistes, les politiciens, les bureaucrates et la « communauté » – tous l’empêcheraient de porter le moindre coup de bêche.
Si, par miracle, il réussissait à surmonter une opposition aussi virulente, son activité serait réglementée et contrôlée… ses marges s’évaporeraient dans la chaleur de l’inflation… et ses profits seraient mangés par les taxes.
Il réaliserait rapidement que pour survivre, il lui faut devenir un compère. Il annoncerait qu’il lutte contre le changement climatique avec de la technologie « verte »… qu’il fait entrer les femmes et les minorités à son conseil d’administration… qu’il crée un environnement sûr pour ses employés…
Ensuite, au lieu de gagner de l’argent en fournissant du sucre à des prix compétitifs sur un marché libre, il quémanderait des prêts low cost, une protection douanière et des subventions d’urgence auprès du gouvernement.
Une génération chasse l’autre
Aujourd’hui, Tabacal appartient à Seaboard, une entreprise américaine privée. La superbe ville construite par Robustiano Patrón Costas est décrite comme « un bidonville sale et délabré ».
Sur son site internet, Seaboard annonce avec sagesse que son activité est « l’agriculture durable », et que la société « absorbe 10 fois plus de CO2 qu’elle n’en émet ».
Et qu’est-il arrivé à la famille Patrón Costas ?
Nous avons demandé des nouvelles de la quatrième génération…
« Le projet a eu un tel succès que les trois générations suivantes ont pu vivre sur cette fortune. Ils avaient des grandes maisons à Buenos Aires et des appartements à Paris. Ils avaient des domestiques… et, pour la plupart, ils ne travaillaient pas.
« Les vrais problèmes sont apparus à la fin des années 1980. A l’époque, l’inflation était à 20 000%. Il était presque impossible de tenir le rythme. Ou de prévoir quoi que ce soit. Les salaires… le coût du carburant… les transports… tout a grimpé.
« Ensuite, le gouvernement de Raúl Alfonsín a imposé des contrôles de prix… sur le sucre évidemment.
« Cela, et une équipe de direction qui n’était pas à la hauteur – il n’y a pas de garantie qu’une génération sera aussi dynamique que la première –, a précipité le délabrement général.
« A la fin des années 1980, nous n’avions pas d’autre choix que de vendre. Nous avons obtenu assez pour payer nos dettes, et c’est à peu près tout. »
Sic transit gloria capitalista.