La Chronique Agora

Comment le Pentagone et l’armée américaine sont devenus trop gros

▪ « Hé Bill », écrit l’un de nos lecteurs. « Vous êtes vraiment un moins-que-rien en matière d’analyse militaire. Vous pouvez critiquer l’armée américaine comme vous voulez, surtout depuis votre QG gauchiste à Paris. Mais lorsqu’il y aura des problèmes, vous regretterez que les forces militaires américaines ne soient pas là pour assurer vos arrières ».

Hé cher lecteur, répond votre correspondant, allez vous faire f… Bon, d’accord. Vous avez peut-être raison. Peut-être que l’Histoire ne fonctionne plus aujourd’hui comme elle fonctionnait avant.

A la Chronique Agora, notre sujet, normalement, c’est l’économie. Mais le secteur de la « défense » américain absorbe actuellement environ 1 000 milliards de dollars par an — ce qui est une part considérable de l’économie, et une part encore plus considérable du budget fédéral. Lorsque nous parlons d’une hausse de l’industrie manufacturière, par exemple, nous parlons d’un secteur qui fabrique 40% de sa production pour le Pentagone. Lorsque nous parlons d’une augmentation de la consommation d’énergie, nous pourrions mentionner le plus grand consommateur au monde — le Pentagone aussi. Et lorsque nous calculons le déficit fédéral américain, nous pourrions nous rappeler que chaque dollar représente ce que le programme de « sécurité » américain coûte.

Vous vous rappellerez également, cher lecteur, que nous ne sommes pas le genre d’économiste qu’on voit à la télévision… le genre qui gagne un prix Nobel grâce à la démonstration mathématique compliquée d’une proposition qui est, a vue de nez, complètement absurde. Non, nous sommes un économiste « littéraire » à l’ancienne… de l’espèce qui peine à faire des équations à deux inconnues, sans parler de l’algèbre.

Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont le monde fonctionne. Et nous avons remarqué que le monde des dépenses militaires fonctionne exactement comme tout le reste. C’est à dire qu’il obéit aux lois du déclin de l’utilité marginale. On peut y mettre plus… mais on n’en retire pas forcément plus.

▪ Ce n’est pas l’armée, que nous critiquions…
Mais d’abord : notre cher lecteur, ci-dessus, n’a pas compris ce que nous voulions dire. Pour commencer, nous ne critiquons pas l’armée. C’est-à-dire que nous ne critiquons pas l’uniforme ; nous critiquons celui qui le porte. Il fera toujours ce qui lui vient naturellement — quand il peut s’en tirer sans en payer les conséquences. Il gonflera sa propre position aux dépens des autres. C’est un opportuniste paresseux, éhonté et benêt… essayant toujours d’obtenir le plus possible en faisant le moins possible. En d’autres termes, il est exactement comme le reste d’entre nous.

Ensuite, lorsque la prochaine vraie guerre ouverte éclatera, nous ne remercierons probablement pas le Pentagone ; nous le maudirons plutôt. Nous regretterons avoir dépensé tant d’argent pour produire une industrie militaire aussi grasse, gâtée et incompétente.

Pourquoi incompétente ?

Stratégiquement, la véritable fonction d’un département de la Défense, c’est de défendre le pays… pas d’en gaspiller les ressources en allant chercher la bagarre aux quatre coins du monde. Il est censé protéger la nation contre ses ennemis, pas en créer de nouveaux.

L’armée est aussi incompétente dans le sens tactique. On dépense tant d’argent, de temps et d’efforts pour lutter contre des ennemis « pour de semblant » — des « terroristes » ou des « insurgés » — que les militaires manqueront probablement des équipements et du savoir-faire nécessaires pour mener une vraie guerre. Inutile de savoir dans le détail comment l’armée américaine échouera. Nous savons juste que l’argent et le pouvoir corrompent… et affaiblissent. La puissance militaire — comme à peu près tout ce qu’on peut mentionner dans une publication destinée à un public familial — est sujette à la loi du déclin de l’utilité marginale… également connue sous le nom de loi des rendements déclinants. Vient un moment où l’on dépense plus… pour obtenir moins. Et quand l’heure du véritable test sonnera, nous pensons que l’armée américaine échouera… Elle sera trop corpulente, trop lente et trop dépassée pour remporter l’épreuve.

La préparation militaire atteint probablement le point de déclin de l’utilité marginale lorsque les forces armées sont capables de monter une défense crédible du pays à ses frontières — et c’est tout. A partir de là, le « complexe militaro-industriel », comme l’appelait Eisenhower, devient littéralement nombriliste… se concentrant sur les promotions, les procédures, les approvisionnements… trop soucieux de ses propres intérêts. Lors d’une vraie guerre, il est généralement humilié par un ennemi plus rapide, moins cher et plus moderne.

▪ Comment rendre ses citoyens obéissants
Il y a pire. Une grande armée bien financée est une arme tentante. Si on la garde sous la main, chargée et prête à l’usage… quelqu’un finit forcément par se faire tuer. Après un certain temps, la tentation de l’utiliser devient irrésistible. Une grande armée tombe généralement aux mains des militaristes, qui veulent l’utiliser pour leur propre gloire. A ce moment-là, l’armée n’est plus un atout pour le pays qu’elle est censée servir ; c’est un danger. Elle se lancera dans des guerres ruineuses… se retournera contre ses propres citoyens… ou les deux.

Pourquoi l’industrie de la défense américaine se concentre-t-elle sur des ennemis bidon… et des menaces insignifiantes ? Parce qu’elle met ses propres intérêts d’abord. Elle est humaine. Elle prend des ressources de la partie productive de l’économie et se les redistribue à elle-même… sans autre bénéfice que la gloire susmentionnée de l’armée elle-même, ainsi que de ses sous-traitants, ses prestataires et ses politiciens apprivoisés.

L’armée américaine a plus de pouvoir et plus d’argent que toute autre institution au monde. Elle a été envahie par des idéologues néo-conservateurs avec leur propre programme insensé. Elle a le soutien du peuple américain et de son gouvernement. Nous pouvons imaginer comme tout ça finira… Mal !

« Nous avons eu un appel de notre fille hier », nous ont dit des amis dont la fille loge chez nous à Baltimore. « Elle va très bien. Elle dit qu’elle avait un peu de mal à dormir la nuit à cause des hélicoptères… mais elle s’est habituée ».

« Les hélicoptères ? Ah oui… les hélicoptères de la police »…

Nous aussi, nous nous y sommes habitué. Nous les remarquerons à peine. Nous ne tarderons probablement pas à remarquer les drones non plus. Et nous traversons désormais la « sécurité » aux aéroports sans remarquer que c’est absurde et anticonstitutionnel.

Désormais, il y a du personnel de « sécurité » dans les gares aussi. Un ami voyageant récemment de Baltimore à New York nous a rapporté que des agents de la Homeland Security avaient tiré des passagers à part pour fouiller leur sac.

On n’est jamais trop prudent, n’est-ce pas ?

En fait, si. La prudence… c’est-à-dire la sécurité… coûte du temps et de l’argent. Non seulement ça, mais elle engendre une population timorée, allergique au risque et qui a peur de son ombre. Ces patriotes sont faciles à contrôler… et facile à mener — même si c’est vers leur propre destruction.

Rappelez-vous les paroles de Benjamin Franklin :

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile