La Chronique Agora

Comment passer un bon repas de famille

Bill Bonner a une astuce pour éviter les discussions compliquées qui viennent avec les rassemblements familiaux…

Ce fut un week-end de Thanksgiving mémorable.

La famille s’était réunie à la maison le mercredi et le jeudi matin. Les petits-enfants ont franchi le pas de la porte comme des fusées, toussant et reniflant. Ils récupèrent à l’école les dernières tendances… et les derniers microbes.

D’aucuns disent que la joie de voir ses petits-enfants arriver laisse place à un soupir de soulagement une fois qu’ils sont partis. Les grands-parents sont ravis de les voir débarquer. Puis, plus tard, épuisés, ils sont contents de les voir partir.

C’est une mauvaise idée de laisser les enfants, les petits-enfants, les beaux-parents et les amis d’amis autour d’une table en huis clos pendant trop longtemps. La conversation est vouée à déraper. Trump, le Covid, l’Ukraine, Paul Pelosi, le wokisme, le sexisme, le racisme et de nombreux autres mots en « isme »… sans oublier la discipline, ou plutôt, son manque, chez les enfants présents…

… les sujets de discorde ne manquent pas.

C’était en partie pour couper court à ce genre de conversation et en partie pour son propre divertissement que votre correspondant avait préparé une activité. Chaque année, nous essayons de concentrer l’attention sur un projet spécifique lié à la ferme. Une année, nous avions changé le toit d’une étable. Lors d’un autre Thanskgiving, nous avions empilé des stères de bois de chauffage jusque sous les gouttières.

Cette année, le projet consistait à construire une roulotte tzigane.

(Votre correspondant en plein travail. Photo : Elizabeth)

Les angles droits

A peine avions-nous commencé la construction que des soupçons vis-à-vis des tziganes apparaissaient déjà dans notre esprit. Qu’est-ce qui n’allait pas chez eux ? Qu’avaient-ils contre les angles droits ?

Mais, comme projet famillial, la roulotte tzigane fonctionnait merveilleusement. Un fils et deux beaux-fils ont travaillé dessus et il semble qu’ils appréciaient leur ouvrage. Et les petits-enfants s’amusaient aussi, à monter et à descendre de la roulotte… et à jouer avec les outils électriques quand nous ne regardions pas.

Dorothy a été particulièrement utile. La petite de six ans remettait les outils à son grand-père et vérifiait ses calculs. Mais son mètre de couturière venait d’Irlande. Ainsi, alors que grand-père mesurait en pieds et en pouces, Dorothy utilisait le système métrique.

Dans le même temps, la cuisine bouillonnait d’activité. Le repas de Thanksgiving est toujours une grande entreprise. Des casseroles et des poêles laissées de côté dans un placard durant toute l’année étaient soudainement mises à contribution. Chaque surface était couverte de sauces, de pommes de terre, de poireaux, de châtaignes… Sans oublier, bien sûr, une dinde qui semblait avoir été croisée avec une autruche.

Les femmes règnent en maître sur la cuisine ; dans notre foyer, du moins. Après tout, Thanksgiving est un festin. Elles s’agitent. Elles s’activent. Elles s’échangent des informations sur leurs recettes, leurs techniques et leurs habitudes. L’une d’entre elle travaille chez elle dans une cuisine immaculée. Une autre cuisine pour le plaisir. Aux yeux d’un observateur externe, la cuisine est un pandémonium de curiosités, d’odeurs, de sons et de bavardages. Mais étrangement, les femmes, jeunes et moins jeunes, se rassemblent et synchronisent leurs efforts pour préparer un dîner de chef.

Ce fut dans ce vacarme que la petite Dorothy vint avec un message.

« Mamie, je peux te dire quelque chose ? »

« Pas maintenant, ma chérie, je dois enfourner ce plat… Tu me le diras dans quelques minutes. »

Dorothy est ressortie et s’est dirigée vers la roulotte tzigane, où son père et son grand-père finissaient de fixer les montants.

(Un peu plus à gauche, encore un peu… Photo : Elizabeth)

C’est du solide

Le secret des roulottes tziganes est le châssis. De ce côté, nous avons eu de la chance. Nous avions gardé une vieille charrette depuis un demi-siècle. Elle était garée dans une étable et servait uniquement à empiler du bois d’œuvre non utilisé et de vieux outils. Miraculeusement, il n’a fallu qu’un petit coup de pompe pour que les pneus en caoutchouc puissent reprendre du service… et la charrette sortie de sa demeure.

La plateforme de la roulotte est faite de chêne solide, tout comme les traverses. Nous avons enlevé 30,5 centimètres de chaque côté, réduisant la largeur de 244 cm à 183 centimètres.

Mais peut-être serait-il judicieux de répondre à plusieurs questions. Commençons par la première : pourquoi ?

« Pourquoi vous voulez une roulotte tzigane ? » nous a demandé un ami.

« Eh bien, c’est pratique à avoir. Elle peut servir de chambre d’appoint en cas d’urgence, ou de pièce pour travailler au calme. »

Nous n’avons pas dit qu’elle pourrait être utile à l’occasion des prochaines réjouissances de Thanksgiving… pour nous servir de refuge.

« En plus, si on fait du bon boulot, c’est un objet plaisant à contempler, comme une fabrique de jardin qu’on peut déplacer pour changer de décor. »

Notre ferme est une ancienne plantation de tabac, où aucun plant ne pousse depuis 40 ans. Son terrain s’étend sur la pente d’une colline surmontant la baie, au sud de Baltimore. (Nous prions secrètement que le réchauffement climatique entraîne une montée des eaux pour que nous puissions garder un bateau en face de la maison.)

Les champs derrière la maison, où la plaine commence à plonger vers la baie, constituent un endroit idéal pour faire un pique-nique. Le perchoir, avec sa vue dominante, a dû attirer des tribus amérindiennes ainsi que quelques-uns des premiers colons européens. On y trouve des pointes de flèches ayant appartenu aux premiers, et des morceaux de briques et de poterie ayant appartenu aux seconds. Par temps clair, assis sur les marches de la roulotte tzigane, nous pourrons contempler la baie de Chesapeake scintiller au loin.

Après 15 minutes environ, Dorothy est revenue dans la cuisine.

« Mamie, je peux te dire quelque chose ? »

« Chérie, il faut que je pèle ces châtaignes. On parlera plus tard. »

De retour dans la roulotte tzigane, nous nous sommes intéressés au « comment » fabriquer une roulotte… Alors que quelqu’un s’interroge : « Vous savez ce que vous faites ? »

Hélas, la réponse était devant nos yeux. Les montants, arrondis et coupés avec une scie sauteuse, se baladaient dans tous les sens comme des cheveux rebelles. Les parois latérales, censées s’incliner vers l’extérieur selon un angle de 80 degrés depuis la base, semblaient n’en faire qu’à leur tête. Et le panneau en contreplaqué, recyclé à partir d’une étable qui avait été démantelée, paraissait indigne d’une vraie roulotte tzigane.

« C’est une roulotte faite maison », expliqua un fils, « et pas par des tziganes charpentiers. »

Après quelques minutes de plus, Dorothy retourna dans la cuisine et répéta sa question.

« Mamie, je peux te dire quelque chose ? »

« Bien sûr, dis-moi. »

« Papi est tombé de la roulotte et s’est cassé la jambe. »

Bon… Papi n’est pas vraiment tombé de la roulotte et ne s’est pas cassé la jambe. Mais Dorothy aurait trouvé cela très drôle si cela s’était produit.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile