La Chronique Agora

Comme une rave party interdite par arrêté préfectoral

** La crise du subprime s’étale maintenant à la une de tous les journaux. Elle est présente dans toutes les rubriques économiques (leurs auteurs ont juste entre neuf et 12 mois de retard sur la Chronique Agora)… et l’un des thèmes les plus en vogue concerne le caractère contagieux (si, si !) de la débâcle des dérivés de crédit. Elle n’épargne pratiquement aucun secteur de la cote parce que les institutions financières ont cessé de constituer le moteur principal de l’activité dans les pays où les services sont la clé de voûte de la croissance.

Avec le serrage des boulons tous azimuts qui se profile, de nombreux fournisseurs des établissements financiers peuvent se préparer à une période de vaches maigres. A commencer par les SSII (maintenance informatique), les spécialistes des réseaux télécom, du storage, les voyagistes (adieu les confortables marges sur les billets d’avion de catégorie first et business class), les loueurs de flottes de véhicules d’entreprise, les sociétés foncières spécialistes des baux commerciaux haut de gamme…

Les prix atteignent des sommets stratosphériques dans les quartiers d’affaires les plus huppés des grandes capitales occidentales. Mais avec les compressions d’effectifs qui se préparent dans les banques et les compagnies d’assurances, puis dans leurs filiales spécialisées dans l’asset management, les mètres carrés vacants vont affluer sur le marché de l’immobilier et contribuer à le déprimer encore davantage aux Etats-Unis — tandis que les prix ont baissé pour la troisième fois consécutive à Londres au mois d’octobre.

Les avocats d’affaire voient s’effondrer les revenus découlant des fusions/acquisitions. Le secteur est sinistré depuis trois mois, les opérations à effet de levier (LBO) sont au point mort ; le célèbre fonds Blackstone — supposé pouvoir racheter à coup de méga-emprunts la moitié des valeurs du CAC 40 — s’est effondré de 8% lundi soir. Le titre a déjà perdu un tiers de sa valeur depuis son introduction fin juin dernier…

Les avocats spécialistes des affaires matrimoniales risquent également de revoir leurs prévisions de chiffre d’affaires à la baisse. Les traders et brasseurs d’argent devenus moins riches généreront des divorces moins juteux, les honoraires étant généralement assis sur le chiffre d’affaires.

** En ce qui concerne les spécialistes de la titrisation de créances (immobilières ou cartes de crédit, qui se confondent désormais), les négociateurs d’ABS, CDO, CDS, MBA et autres produits dérivés très en vogue jusqu’à la mi-février se trouvent confrontés à une situation difficile à décrire, tellement elle ne ressemble à rien de ce que la profession a pu connaître depuis la fin des années 90 (même en pleine affaire LTCM).

Comment dire… l’ambiance qui règne dans les locaux où se traitaient les fameux conduits obligataires ressemble un peu à celle d’une station de ski sans neige, à une fête foraine un soir de neige en pleine grève des transports publics, à une rave party frappée d’interdiction préfectorale.

Les moniteurs, les forains, les DJ, tous les techniciens (quelle que soit leur spécialité) sont bien présents à leur poste, mais ils contemplent, désabusés, une météo uniformément grise, des écrans de contrôle où il ne se passe plus rien. Il n’y a plus de clients, plus d’activité, plus un bruit. Le marché des dérivés de crédit semble figé par un hiver sibérien…

Les téléphones, durant les heures d’ouverture des bureaux, sont devenus inutiles (sauf pour commander des pizzas), les opérateurs se morfondent en attendant qu’il se passe enfin quelque chose. Mais rien ne vient…

Heureusement, les marchés financiers sur lesquels se traitent des produits tangibles et compréhensibles pour le commun des mortels — emprunts d’Etat, devises, matières premières, actions — continuent de fonctionner normalement. Mais une question lancinante les taraude. Tous ces conduits obligataires bouchés ne risquent-ils pas de priver dans un deuxième temps la bourse des précieuses liquidités qui font grimper les indices (quelle que soit la conjoncture) ?

** La consolidation amorcée au lendemain de la seconde baisse de taux consentie par la Fed (à l’unanimité moins une voix) a déjà effacé la moitié des gains annuels sur le Nasdaq et la totalité des gains du marché parisien. Un rebond s’amorce, sous l’impulsion de rachats de découvert mais il s’avère laborieux, et les écarts sont limités.

Mardi, le CAC 40 a ainsi grappillé 0,06% après avoir testé une seconde fois le palier des 5 485/5 490 points ; il s’agit en réalité d’une reprise en trompe l’œil. Le SBF 120 affichait -0,02% en clôture et le SBF 80 (qui exclut les poids lourds du CAC 40) s’est encore replié de 0,45%.

** Le sursaut de Wall Street n’a même pas suffit à ranimer la flamme de l’espoir. Le Dow Jones et le Nasdaq Composite reprenaient respectivement 1,5% et 2% à la mi-journée grâce, notamment, à la publication des solides résultats trimestriels du géant de la distribution Wal-Mart (qui s’envolait de 6,5%). Les bancaires, quant à elles, retrouvaient des supporters malgré l’inscription de trois milliards de dollars de provisions supplémentaires par Bank of America (toujours les subprimes). J.P. Morgan et Citigroup affichaient 5,5%, AMEX et l’assureur AIG 3,5%.

Nous ne sommes pas loin de penser que si la séance de mercredi était de la même eau, il ne faudrait pas tarder à reprendre des positions contrariennes sur les banques et les technologiques américaines.

** Mais oublions un peu les déboires des marchés dérivés américains et concentrons-nous sur ces solides fondamentaux que J.C. Trichet nous vante à chacune des réunions de politique monétaire de la BCE. Ignorait-il l’imminence de la publication d’une série de statistiques macroéconomiques plutôt défavorable en Europe?

La production industrielle a en effet diminué de 0,7% et de 0,5% dans l’Union européenne en septembre 2007 par rapport au mois d’août (en données CVS). La progression globale, par rapport à septembre 2006, est loin d’avoir confirmé les prévisions des économistes.

Elle n’a progressé que de 3,5% dans l’Eurozone et de 3,1% dans l’Union européenne, contre une attente voisine de 4,5 et 4% respectivement.

Ce ne serait pas si grave si l’inflation se montrait inexistante… Mais voilà qu’en France, nous découvrons une bien mauvaise surprise au mois d’octobre : l’indice des prix à la consommation a augmenté de 0,2% (contre -0,2 % en octobre 2006), soit une variation annuelle de +2,0% (contre +1,5% en septembre 2007).

Enfin, nous achevons le relevé exhaustif des statistiques européennes du jour avec l’indice ZEW qui mesure le moral des investisseurs allemands. Il a dévissé à 32,5 points au mois de novembre (à comparer avec un score de -18,1 points en octobre), ce qui nous apparaît réellement de mauvais augure à six semaines de la fin de l’année 2007.

** Si seulement le yen pouvait retomber comme par la magie du carry trade sous les 170 euros et les 114 $… Mais Ben Bernanke a beau faire tourner la planche à billets, rien n’y fait ! Et la devise nippone poursuit son redressement…

Les lois de la gravité semblent bel et bien de retour sur le marché des changes. La bulle du crédit américain — en apesanteur depuis six ans — ne va pas résister à une rentrée brutale dans l’atmosphère terrestre. Il va y avoir de sérieux dégâts des eaux dans la capsule dollar…

Philippe Béchade
Paris

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