La Chronique Agora

Comme des relents d’octobre 1987

** Les traders, les commentateurs, les épargnants contemplaient ce lundi soir, complètement hébétés, la plus violente débâcle boursière sans catalyseur géopolitique de type « putsch de Moscou » ou 11 septembre 2001 et ses tours du World Trade Center. Nous n’avions pas vu cela depuis octobre 1998 (panique LTCM) ou encore avec la divergence des politiques monétaires américaines et allemandes en octobre 1987.

Alors que beaucoup se demandent stupéfaits : « comment en est-on arrivé là ? », nos lecteurs, qui se demandaient depuis un an voire 18 mois comment un tel coup de massue aurait pu être évité, peuvent désormais se consacrer à la seule question qui leur importe : les marchés peuvent-ils rebondir — et de combien — avant de poursuivre leur dégringolade ?

Car la correction des marchés, après cinq ans de hausse ininterrompue aux Etats-Unis, n’est qu’à son premier chapitre, pour un ensemble de raisons sur lesquelles nous n’avons nul besoin de revenir, tant nous avons eu le loisir de les disséquer chaque fois que nous avons dû tailler en pièce les mensonges officiels destinés à masquer la crise du subprime. Nous avons aussi pourfendu la légende de Goldilocks, une rengaine assénée depuis 2006 à un public infantilisé par la Maison-Blanche et les principaux réseaux d’informationappartenant à des magnats de Wall Street.

Mais avant de développer nos arguments en faveur d’un rebond — il ne sera au mieux que technique –, commençons par faire un état des lieux. Lundi soir, l’abattement était général ; le pessimisme culmine à des niveaux inconnus depuis mars 2003. C’est donc en théorie le moment d’acheter… mais après le séisme boursier que nous venons de connaître, il faut se méfier des répliques.

** Les chartistes considèrent qu’une clôture au plus bas caractérise soit une « capitulation » finale, marquant l’achèvement du mouvement de baisse amorcé fin décembre, soit une volonté de provoquer un épisode correctif d’une ampleur maximale sur la période la plus courte possible. Une stratégie dangereuse, afin de purger au plus vite la crise pour repartir sur de bonnes bases.

Le second terme de l’alternative ne donne de bons résultats qu’en fin de tendance baissière moyen ou long terme. Or nous n’en sommes qu’à trois mois de correction aux Etats-Unis — le S&P 500 a inscrit son record absolu fin octobre –, c’est donc tout frais. Beaucoup trop frais, même : les économistes estiment qu’il faudra au moins un semestre complet pour prendre la mesure de l’impact réel de l’éclatement de la bulle des dérivés de crédit et faire l’inventaire des pertes auxquelles sont exposées les banques et les réassureurs de portefeuilles de CDO, ABS et autres MBS (mortgage backed securities).

Nous sommes donc tentés de jouer le scénario numéro un. La Maison-Blanche et la Fed jouent les pompiers (baisse de taux dans l’urgence), tandis que la BCE change de discours et rééquilibre ses priorités. Elle annonce que 3% d’inflation, ce n’est pas mortel et que la récession qui menace aux Etats-Unis devrait réduire l’instabilité des prix. La communauté financière comprendra qu’elle ouvre à son tour la porte à un assouplissement monétaire.

Nous imaginons mal que cette journée du 21 janvier laisse nos sherpas indifférents. Nous les voyons difficilement s’exposer à l’accusation de n’avoir rien tenté, ce qui serait un aveu d’impuissance, aux conséquences pires que les plus sombres anticipations.

** Les écarts qui se sont matérialisés lundi appellent une réaction des autorités monétaires. Le CAC 40 (-6,83%) subit la troisième plus forte baisse intraday observée depuis janvier 1988. Rappelons que cet indice fête tout juste ses 20 ans d’existence! L’Euro Stoxx 50 plonge de 7,3% (à 3 700 points) et il enregistre bel et bien son plus spectaculaire repli historique, loin devant les -6,4% du 11 septembre 2001 — qui demeure à Paris la référence avec un écart de -7,4%.

Le spectre de la récession a fait s’effondrer les places asiatiques de 5% en moyenne : -5,15% à Shanghai, -5,5% à Hong Kong, et -6% à Singapour. Puis ce fut au tour des marchés émergents : Moscou a affiché -7%, Bombay -7,4%, la plus forte chute pour la bourse indienne. Et pendant ce temps, le continent américain a encaissé la secousse qui lui parvient à peine atténuée par les immensités océaniques : Toronto a plongé de 4,5%, Mexico de 4% et le Dow Jones a perdu 522 points en pré-ouverture.

Cela ne vous rappelle rien ? Nous si !

C’est exactement — et au point près — le montant de la chute historique (de 22%) du 13 octobre 1987 !

Ah, 1987 ! Une référence pour tous les professionnels qui ont entre 25 et 30 ans d’expérience. En comparant -7% et -22%, le terme de « krach boursier » apparaît excessif pour certains, et semble pertinent pour d’autres, étant donné que cette capitulation de début janvier 2008 — réplique exacte de la chute des indices en janvier 1988 — porte à -15,5% la perte du CAC 40 en une douzaine de séances, soit autant que lors de la plus forte correction du printemps 2006 et -23% depuis le zénith des 6 170 points de la mi-juillet 2007.

L’évocation récurrente de la tristement célèbre séance du mardi 11 septembre 2001 suscite beaucoup d’interrogations. Les circonstances étaient alors autrement dramatiques — d’où l’étonnement de certains analystes qui pointent l’absence de « nouvelle catastrophique » — car la planète semblait sur le point de connaître un basculement économique et géopolitique majeur : peut-on en dire autant aujourd’hui ?

A moins que la crise de confiance d’octobre 1998, consécutive à la quasi-faillite de LTCM, ne ressurgisse à une toute autre échelle au cours des prochains jours ou des prochaines semaines. Et nous avons un petit faible pour ce scénario à moyen terme !

** Quelques observateurs dénonçaient — comme en octobre 1987 — des facteurs techniques aggravants. En effet, le déclenchement de ventes à effet de seuil sous les 5 000 s’est avéré particulièrement dévastateur dans un marché privé de la présence des gérants américains en cette journée de célébration du Martin Luther King’s Day. Le CAC 40 a effectivement plongé vers les 4 735 points (ex-zénith de décembre 2001) dans un volume record de 13 milliards d’euros.

Le blocage temporaire des transactions sur nombre de produits dérivés (trackers, warrants) a freiné les arbitrages cash/futures lundi midi, alors que le CAC 40 testait un plancher de 4 730 points. Mais la tentative de ramener l’indice à proximité des 5 000 points a échoué et l’indice a rechuté sur 4 744 points, dans le sillage des valeurs financières dont le repli moyen s’établissait autour de 9% (-10% sur AXA, -9,6% sur BNP-Paribas, -9% sur Crédit Agricole, -8% sur Société Générale et Dexia).

Les inquiétudes concernant la santé de l’économie mondiale n’épargnaient aucun compartiment de la cote, puisque les valeurs les plus défensives telles que les utilities furent elles aussi proprement laminées, à l’image de Véolia qui plongeait de 8,7%, Suez de 8%, Vivendi de 7%, Gaz de France et EDF de 6,5% et Total dévissait de 6,1%.

Manifestement, il s’agit de ventes « à tout prix ». Les fondamentaux sont mis entre parenthèse, il n’y a plus qu’un impératif, dégager du cash en liquidant les valeurs ayant le plus progressé en 2007 (Arcelor-Mittal dévissait de 11,3% à 37,9 euros, Air Liquide de 7,8%).

Nous somme beaucoup moins optimistes s’agissant de celles qui apparaissent vulnérables à un fléchissement de la consommation : Schneider, L’Oréal, Clarins, Danone et le tandem du secteur du luxe composé de LVMH et PPR.

Parmi les nouvelles qui ont marqué les esprits, il y a cette rumeur d’adossement (elle est confirmée) de Richelieu Finance à une grosse institution financière dont l’identité n’est pas révélée). Richelieu peine à assurer la liquidité de ses fonds « valeurs moyennes » — lesquelles perdent 20% depuis le 1er janvier, et même 25% pour le segment des small caps

L’autre sortie du jour émanait de Domique Strauss-Kahn qui estime que la récession en gestation aura des conséquences néfastes sur les pays émergents. La Maison-Blanche en est pleinement consciente et vient d’exposer un plan de relance qui n’a pas convaincu de son efficacité. Mais le problème est ailleurs, puisque le Congrès US — dominé par les démocrates — désapprouve ce type de relance qui ne profitera pas aux ménages les plus défavorisés, c’est-à-dire à tous ceux qui ne payent pas d’impôt).

** Les turbulences monétaires risquent d’ajouter à la confusion. Le dollar rebondit mécaniquement de 1,1% à 1,4450 $, au détriment de l’euro — victime des ventes massives d’actifs boursiers opérées par des investisseurs non-résidents.

La remontée symétrique du yen à 106 $ et 153,25 euros (soit +2% en 24 heures) témoigne aussi d’une perte de confiance globale dans la croissance mondiale, qu’il s’agisse de celle des Etats-Unis ou de l’Europe. Et ne parlons pas de la Chine où la bourse de Shanghai culmine encore à des niveaux stratosphériques.

Nous redoutons effectivement le pire pour les marchés si la rhétorique et les priorités de la BCE ne changent pas au sujet de l’inflation. Le krach de 1987 — évoqué en préambule — avait été en grande partie provoqué par le hiatus des politiques monétaires de la Fed et de la Bundesbank. A l’époque, les deux banques centrales avaient poursuivi exactement les mêmes objectifs antagonistes qu’en ce début d’année 2008.

La grosse différence — celle qui nous préoccupe depuis que les prix de l’immobilier ont commencé à chuter fin 2005 aux Etats-Unis — c’est qu’à l’époque, la bulle du crédit n’existait pas et que la Chine affichait un PIB comparable à celui de la Corée ou des Pays-Bas… et nul ne la voyait consommer autant de pétrole et de matières premières que l’Amérique d’ici 2010 !

Et faut-il vous rappeler qu’en perspective des Jeux de Pékin, une majorité de stratèges excluait tout krach boursier d’ici septembre 2008 ?

C’est une année olympique et nous pressentons que dès ce mardi, il va y avoir du sport !

Philippe Béchade,
Paris

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