La Chronique Agora

Combien faudrait-il d'OPA pour aplanir le "chemin cahoteux de la reprise" ?

▪ Même si Wall Street était clos ce lundi pour cause de Labor Day, qui ponctue chaque 1er lundi de septembre, c’est bel et bien une entreprise américaine qui entretenu l’élan haussier des places boursières sur le Vieux Continent. Elles ont gagné 1,5% en moyenne dans des volumes étroits.

En effet, Kraft Foods se propose de dévorer le numéro un britannique de la confiserie Cadbury pour l’équivalent de 12 milliards d’euros (ou 16 milliards de dollars) par le biais d’une OPA mixte en cash et en titres.

Mine de rien, quelques gros rachats ont été annoncés ces dernières semaines, notamment dans le secteur pharmaceutique. Cela prouve que les équipes dédiées aux fusions-acquisitions ne chôment pas — même si les opérations de type LBO ( leveraged buyout, acquisition par emprunt) sont au point mort faute de lignes crédit pour les mener à bien. L’effet de levier à crédit… voilà l’ennemi !

C’est donc le retour des deals motivés par des stratégies de croissance externe. Ils sont à l’initiative des rares entreprises qui disposent des liquidités nécessaires et de la possibilité de proposer des échanges de titres grâce à des valorisations boursières décentes (aux yeux des actionnaires des sociétés cibles).

Les primes offertes — pas loin de 40% dans le cadre de l’OPA sur Cadbury — démontrent également que les valeurs défensives sont loin d’être surévaluées. Nous partageons pleinement ce sentiment alors que les valeurs cycliques affichent des multiples qui supposent un petit miracle économique au cours des deux ou trois prochaines années.

▪ La visibilité, le rendement, la régularité n’ont guère inspiré les investisseurs ces six derniers mois. Il est beaucoup plus payant de miser sur des titres cycliques aux perspectives incertaines mais dont il est plus facile d’extrapoler un delta (volatilité) élevé en cas d’embellie économique… et il est patent que l’optimisme progresse à mesure que les cours s’envolent.

Les impératifs liés à la gestion indicielle font le reste. Les gérants ne peuvent rester éternellement en dehors du marché même s’ils ont le net sentiment d’assister puis de participer, à leur corps défendant, à la formation d’une bulle spéculative.

C’est le règne du court-termisme le plus achevé, symbolisé par la maxime "la tendance est notre alliée". Cette prophétie auto-réalisatrice exclut de remettre en cause les scénarios pouvant justifier le niveau de valorisation d’un titre au moment de l’acte d’achat — sachant qu’il s’agit souvent d’achats stop, par définition techniques et non fondamentaux.

▪ La période actuelle se prête encore à la pratique du culte de la bonne nouvelle, même si les opérateurs se sont montrés moins fervents la semaine dernière. Le début de cette deuxième semaine de septembre était placé sous le signe d’une nouvelle forte hausse des commandes à l’industrie en Allemagne (+3,5% en juillet, après +3,8% au mois de juin).

Rien que de très favorable à première vue — et c’est ainsi que le marché l’a immédiatement analysé… mais nous n’en sommes pas totalement convaincu. Le chiffre brut masque des disparités importantes qui remettent en cause la théorie de l’embellie générale.

La demande interne (émanant de donneurs d’ordres allemands) a bondi de 10,3%, tandis que celles provenant de clients étrangers a chuté de 2,3%. Difficile de ne pas relier ce scénario à l’impact favorable de la "prime à la casse" en faveur du secteur automobile outre-Rhin, une disposition fiscale qui vient de s’achever fin août après avoir coûté cinq milliards d’euros au contribuable allemand. Qu’en pensent ceux qui ne possèdent pas de voiture (mais disposent par exemple d’un véhicule de fonction) ou ceux qui venaient d’en acheter une neuve en 2007 ?

Les constructeurs allemands ont ainsi pu préserver des emplois ; toute la chaîne de production a évité l’implosion… mais que va-t-il se passer maintenant que les mesures de soutien ont disparu ?

▪ Que se passerait-il si les investisseurs finissaient par accorder un peu de crédit aux experts qui affirment, telle la Fédération BusinessEurope (laquelle compile des données sur 20 millions d’entreprises en Europe), que "le chemin de la reprise sera cahoteux et les conditions d’une croissance durable ne sont pas encore réunies".

"Une croissance positive du PIB au deuxième trimestre dans certains états membres de l’Union européenne et une amélioration des indices de confiance mondiaux et nationaux laissent penser que la récession pourrait toucher à sa fin"… Pourtant, cela n’empêchera pas une contraction du PIB de 4,1% cette année dans la Zone euro, et autorise l’hypothèse d’une croissance de 0,5% en 2010.

Il est évident qu’avec de telles perspectives, les profits espérés de la part des entreprises cotées sont pratiquement irréalisables pour la majorité d’entre elles. Les multiples de capitalisation actuels sont ahurissants pour des entreprises qui misent tout sur les réductions de coûts et guère sur le redémarrage du business… C’est un peu comme si un automobiliste, amateur de vitesse mais ne disposant que d’un petit budget, décidait de retirer tous les accessoires de confort de son véhicule, les portières, le capot et le pare-brise en espérant qu’une fois désossée, la voiture sera 30% plus rapide.

Le problème, c’est que si le carburateur économique reste encrassé par les mauvaises créances alors que le réservoir de consommateurs est pratiquement à sec, la voiture va peut-être prendre un départ plus rapide que les caractéristiques du moteur l’indiquent… mais avec un simple fond de carburant, le conducteur aura du mal à atteindre ne serait-ce que la vitesse de croisière sur autoroute avant de tomber en panne.

▪ Pour l’heure, les marchés se laissent griser par la belle accélération haussière estivale et le font avec d’autant plus de sérénité que la prime offerte par Kraft pour le rachat de Cadbury avoisine +40%.

Voilà de quoi réfuter les objections récurrentes formulées au sujet des valorisations dans de précédents paragraphes et de précédentes Chroniques… Il se trouve pourtant bien que ce sont précisément les valeurs spéculatives (et notamment Citigroup, AIG, MBIA) qui ne sauraient faire l’objet d’une OPA qui ont pris 40% ou plus depuis la mi-juillet tandis que les défensives demeuraient délaissées.

L’exemple de Kraft Foods n’est pas extrapolable à l’ensemble des secteurs liés aux biens de consommation, loin de là. Une majorité d’entreprises dont le capital était réputé vulnérable (comme Danone) ont pris la précaution de se doter de "pilules empoisonnées" particulièrement dissuasives. La plupart des agro-alimentaires sont donc très… indigestes. Avis aux amateurs !

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