Le consensus européen sur la politique climatique s’effiloche, et les divisions pourraient se préciser d’ici les élections de l’an prochain.
Le départ du commissaire européen chargé du climat, Frans Timmermans, qui espère faire bonne figure lors des prochaines élections néerlandaises, pourrait bien être un moment décisif. Plus que quiconque, Timmermans est le visage de la volonté de l’Union européenne de mettre en place des réglementations toujours plus intrusives pour lutter contre le changement climatique.
Il est intéressant de noter que la Commission européenne, qui est si désireuse d’imposer d’énormes coûts économiques pour réduire les émissions de CO2, n’est pourtant pas très enthousiaste à l’idée d’adopter l’énergie nucléaire, qui est la seule source d’énergie capable de concilier la réduction des émissions de CO2 et le maintien de notre niveau de vie, étant donné les insuffisances largement documentées de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire.
En mars, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que le nucléaire n’était pas « stratégique » pour la décarbonation de l’UE. Il convient de noter qu’en adoptant cette position, la Commission européenne enfreint le traité Euratom, qui l’oblige à promouvoir l’énergie nucléaire. Malgré tout, l’« alliance nucléaire » des Etats membres de l’UE favorables au secteur, menée par la France, a récemment remporté un succès, puisque le Parlement européen a rejeté une motion visant à s’opposer à l’inclusion du nucléaire et du gaz en tant qu’activités économiques durables sur le plan environnemental.
L’universitaire autrichien Ralph Schoellhammer expliquait en juillet comment « l’Europe entière s’oppose au concept de zéro net » et comment le gouvernement allemand, avec les Verts à des postes clés, est désormais contraint d’autoriser la construction de nouvelles centrales électriques au gaz. Il est intéressant de noter que le seul moyen de faire approuver par l’UE les subventions nécessaires aux investisseurs est de les présenter comme nécessaires au cas où les énergies éolienne et solaire ne suffiraient pas. Il serait embarrassant pour le gouvernement allemand d’agir de la sorte, car il a affirmé que cela ne devrait pas poser de problème, même si l’on y ajoute la fermeture des dernières centrales nucléaires allemandes, qui étaient encore parfaitement fonctionnelles.
Tout d’abord, il est évidemment ridicule que les contribuables doivent financer des subventions en raison d’une politique gouvernementale délibérée visant à fermer les centrales nucléaires. Il est intéressant de noter que cette décision a été prise par un gouvernement alors dirigé par Angela Merkel, qui avait fait volte-face sur l’énergie nucléaire à la suite de l’hystérie provoquée par la catastrophe de Fukushima au Japon.
La gravité économique
Depuis, le Japon mise cependant à nouveau sur l’énergie nucléaire, à l’image de la renaissance du nucléaire que l’on observe aux Etats-Unis. C’est logique. Comme l’a écrit George Monbiot, célèbre défenseur britannique de l’environnement, au moment de la catastrophe :
« Fukushima m’a fait cesser de m’inquiéter et m’a fait aimer l’énergie nucléaire. […] Une vieille centrale minable dotée de dispositifs de sécurité inadéquats a été frappée par un tremblement de terre monstrueux et un énorme tsunami. L’alimentation en électricité a été interrompue, ce qui a mis hors service le système de refroidissement. Les réacteurs ont commencé à exploser et à fondre. La catastrophe a mis en évidence un héritage familier de mauvaise conception et de coupes sombres. Pourtant, pour autant que nous le sachions, personne n’a encore reçu de dose mortelle de radiations. »
Ce point de vue a été justifié. A ce jour, le gouvernement japonais n’a attribué qu’un seul décès par cancer confirmé à l’exposition aux radiations, à des fins d’indemnisation, après avis d’un groupe de radiologues et d’autres experts. Si l’on considère les « taux de mortalité par unité de production d’électricité », l’énergie nucléaire est encore plus sûre que l’énergie éolienne et à peine moins sûre que la source d’énergie la plus sûre, l’énergie solaire.
Protestation des électeurs
Outre la gravité économique qui contraint les hommes politiques à faire volte-face sur les politiques climatiques radicales et les expériences énergétiques, la protestation des électeurs joue également un rôle. La victoire massive du parti paysan néerlandais lors des élections provinciales du début de l’année a indirectement entraîné l’effondrement du gouvernement de coalition du premier ministre Mark Rutte, qui a même annoncé qu’il quittera la vie politique néerlandaise dès qu’un nouveau gouvernement sera constitué.
Le mouvement de protestation des agriculteurs contre les restrictions imposées par l’Union européenne en matière d’azote a été au cœur de cette affaire. Alors que les politiques nationales ont « doré » ces exigences de l’UE, la seule solution durable est soit d’atténuer les exigences de l’UE, soit d’autoriser les États membres à modifier les zones terrestres qu’ils ont désignées comme réserves naturelles sensibles, ce que les mécanismes juridiques de l’UE ont empêché de faire jusqu’à présent.
Dans la Belgique voisine, cette situation provoque également un profond émoi politique, car les agriculteurs ont réussi à convaincre le partenaire de la coalition chrétienne-démocrate au sein du gouvernement régional flamand de se ranger à leur avis, de sorte qu’à un moment donné, cette question pourrait bien se retrouver au niveau de la politique européenne, que cela plaise ou non aux eurocrates.
En outre, il y a des développements intéressants de l’autre côté de la Manche, au Royaume-Uni, où des politiciens (dont le Premier ministre) ont commencé à s’écarter du consensus politique de l’UE sur le changement climatique. En juillet, le parti conservateur au pouvoir a subi une lourde défaite lors d’élections partielles, mais grâce aux protestations locales contre l’expansion détestée des « zones à faibles émissions », il a pu au moins conserver un siège important, celui d’Uxbridge, qui était auparavant celui de Boris Johnson.
Le Royaume-Uni choisit sa voie
Le message semble avoir été compris par la direction du Parti conservateur, qui est aux prises avec des sondages désastreux depuis un certain temps. Soudain, le gouvernement britannique se fait entendre sur l’abandon de sa politique d’élimination progressive des voitures à essence d’ici à 2030.
Jacob Rees-Mogg, ancien secrétaire d’Etat aux Affaires et autre critique conservateur des objectifs « net zéro », a expliqué que la leçon d’Uxbridge était que « les politiques vertes coûteuses ne sont pas populaires », exhortant le parti à retarder les mesures d’élimination progressive des nouveaux véhicules à essence et à diesel.
Toutefois, le parti travailliste a lui aussi changé d’avis récemment, puisque son chef, Keir Starmer, qui pourrait être le prochain Premier ministre britannique, a déclaré qu’il « déteste les défenseurs des arbres ». Il serait mécontent des « éco-guerriers » de son parti, ayant reçu de nombreuses critiques, tant au sein de son parti que de la part des syndicats, à propos des projets du parti travailliste visant à interdire toute nouvelle exploration de pétrole et de gaz naturel dans la mer du Nord.
Sur un sujet important, le Royaume-Uni s’est déjà éloigné du consensus de l’UE en matière de politique environnementale. En ce qui concerne la déforestation, la Grande-Bretagne reconnaît simplement les normes de ses partenaires commerciaux, contrairement à l’UE, qui vient de décider d’imposer un grand nombre de nouvelles formalités administratives aux exportateurs d’huile de palme indonésiens et malaisiens, par exemple, au nom de la lutte contre la déforestation. Et ce, bien que ces pays aient déjà pris de nombreuses mesures pour contrer cette tendance grâce à des systèmes de certification nationaux tels que le Malaysia Sustainable Palm Oil (MSPO) Board. Cette approche a eu des effets positifs.
En juin 2023, Global Forest Watch a conclu que l’Indonésie avait réussi à réduire la perte de forêts primaires de 64%, tandis que la Malaisie avait enregistré une baisse de 57%. En outre, un plafond a été fixé pour la superficie des plantations en 2019 et, en 2022, de nouvelles réglementations forestières ont été introduites pour renforcer les sanctions en cas d’exploitation illégale des forêts.
En raison de son approche libérale et en échange de la suppression des droits de douane sur l’huile de palme, le Royaume-Uni a été autorisé à entrer dans le nouvel accord commercial transpacifique CPTPP. En revanche, les négociations commerciales de l’UE avec l’Asie du Sud-Est ont été gelées en juin en raison de sa position rigide, et les relations restent tendues.
Un changement de mentalité paneuropéen
En Allemagne, un fossé de plus en plus grand se creuse entre la coalition gouvernementale, où les Verts occupent des postes clés, et l’opinion publique. En effet, au cours des deux dernières années, le soutien au mouvement pour le climat et l’environnement a diminué de moitié en Allemagne. Les personnes déclarant que ce mouvement « a fondamentalement [leur] soutien » sont passées de 68% des sondés en 2021 à 34% en 2023.
Les actions menées dans toute l’Europe par des groupes d’activistes climatiques tels que « Just Stop Oil » n’ont pas vraiment soutenu leur cause aux yeux du public, sont sans aucun doute un facteur clé. D’une manière ou d’une autre, il ne faut jamais longtemps à ce genre de groupes pour abandonner les formes normales et démocratiquement légitimes de campagne politique.
Des changements politiques clairs sont désormais visibles dans plusieurs pays européens. Alors que les Verts allemands sont parvenus à bloquer toute rupture radicale avec le consensus actuel, la Suède s’oriente désormais résolument vers l’énergie nucléaire, à rebours d’une politique menée depuis 40 ans, tout en revoyant à la baisse ses objectifs en matière de réduction des combustibles fossiles.
En Belgique, le gouvernement vient de conclure un accord avec le propriétaire français des réacteurs nucléaires belges afin d’en maintenir certains en service pendant quelques années supplémentaires. Les Verts font partie du gouvernement, mais ils ont été contraints d’accepter cet accord. L’Italie se tourne à nouveau vers le nucléaire, tandis qu’une toute nouvelle centrale nucléaire a été inaugurée en Finlande au début de l’année, et que de nouvelles capacités nucléaires ont été annoncées en République tchèque, aux Pays-Bas et en France.
Le ministère polonais du Climat et de l’Environnement vient de prendre une décision de principe concernant la construction d’une centrale nucléaire. Le pays oppose également une résistance farouche aux nouvelles politiques climatiques de l’UE, allant même jusqu’à contester devant la Cour européenne de justice l’élimination progressive des moteurs à combustion en 2035.
En outre, les objectifs de rénovation obligatoire récemment proposés par l’UE se heurtent à une opposition croissante de la part des Etats membres, l’Italie étant l’un de ses plus féroces opposants, puisque 60% du parc immobilier du pays pourrait être concerné. Un diplomate a qualifié cette aspiration de « folle et hors de portée de la plupart » des pays de l’UE.
Enfin, au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), qui est la plus grande faction, s’insurge contre certaines des nouvelles réglementations environnementales proposées par l’UE, après avoir abandonné son soutien total au « Green Deal européen ». Il est clair que les élections européennes de l’année prochaine ont déjà un effet. Les résultats pourraient ébranler davantage le consensus actuel en matière de politique climatique.