La Chronique Agora

Cliché : le libéralisme, c’est la droite de la droite

liberalisme

Où l’on apprend avec stupéfaction que le libéralisme n’est ni socialiste, ni conservateur politique, ce qui l’éloigne de la droite de la droite comme de la gauche de la gauche.

Plutôt que la césure droite-gauche, on peut classer les philosophies politiques en trois grandes familles : le socialisme (socialisme, communisme, sociale démocratie), le conservatisme (nationalisme, gaullisme, royalisme) et le libéralisme (classique, contemporain). Ces trois forces ne sont naturellement pas présentes, notamment en France, à l’état ‘pur’, ni représentées par un seul parti politique : elles se retrouvent dans des proportions diverses dans chaque parti.

Chaque parti politique a une proportion plus ou moins grande de socialisme, conservatisme ou libéralisme dans son idéologie, dans son programme et dans ses postures.

La droite adhère parfois au libéralisme dans le domaine économique, tandis que la gauche adhère en général au libéralisme dans le domaine des moeurs.

Pour un libéral, il n’y a qu’un seul libéralisme, la liberté ne pouvant se saucissonner en bonnes ou en mauvaises libertés au gré des préjugés ou de l’éthique du parti accédant au pouvoir.

Les socialistes, les conservateurs et les libéraux sont tous d’accord sur un point : ils ne veulent pas d’une société chaotique ou atomisée.

Ils considèrent tous qu’un ordre doit sous-tendre la société, mais ils ne sont pas d’accord sur l’origine de cet ordre, ni sur la manière d’organiser le pouvoir politique pour qu’il favorise cet ordre.

Les conservateurs considèrent que l’ordre qui doit sous-tendre la société est un ordre organiciste.

Les socialistes croient en l’efficacité d’un ordre construit grâce à la raison.

Les libéraux considèrent que l’ordre s’auto-organise pour peu que les droits et devoirs des personnes soient clairement définis.

Selon certains politologues de haut vol, le libéralisme se situerait à la droite de la droite. Le problème, c’est qu’à la droite de la droite, on trouve exclusivement des ultra-étatistes qui ressemblent d’ailleurs furieusement à ceux que l’on trouve à la gauche de la gauche, le nationalisme en moins.

La droite de la droite et la gauche de la gauche partagent en effet un culte pour un Etat tout puissant construisant la société sous la supervision d’un lider maximo ou d’un duce fachismo.

Or les libéraux aiment un Etat minimal et protecteur des droits de l’individu. Autant dire qu’ils se situent aussi loin de la droite de la droite que de la gauche de la gauche.

Nazi par exemple ne veut pas dire National Libéral. Le ‘zi’ vient d’une autre idéologie compatible, elle, avec un certain mépris pour la liberté individuelle et ayant une petite tendresse pour des Etats envahissants chargés du »bien commun ». Ce n’est ainsi pas par hasard si les Nazis ont persécuté les libéraux allemands dans les années 1930.

En réalité, les libéraux s’opposent aux étatistes qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre et soutiennent la droite, la gauche ou le centre pour peu qu’ils soient libéraux.

« On nous fait une grave objection. On nous dit: Il est bien vrai que la liberté, l’égalité devant la loi, c’est la justice. Mais la justice exacte reste neutre entre le riche et le pauvre, le fort et le faible, le savant et l’ignorant, le propriétaire et le prolétaire, le compatriote et l’étranger. Or, les intérêts étant naturellement antagoniques, laisser aux hommes leur liberté, ne faire intervenir entre eux que des lois justes, c’est sacrifier le pauvre, le faible, l’ignorant, le prolétaire, l’athlète qui se présente désarmé au combat.

[…]

La dissidence profonde, irréconciliable sur ce point entre les socialistes et les économistes, consiste en ceci: les socialistes croient à l’antagonisme essentiel des intérêts. Les économistes croient à l’harmonie naturelle, ou plutôt à l’harmonisation nécessaire et progressive des intérêts. Tout est là.

Partant de cette donnée que les intérêts sont naturellement antagoniques, les socialistes sont conduits, par la force de la logique, à chercher pour les intérêts une organisation artificielle, ou même à étouffer, s’ils le peuvent, dans le coeur de l’homme, le sentiment de l’intérêt. »
Frédéric Bastiat
(1801-1850)
Justice et Fraternité

Pour les socialistes, la société s’organise par la raison.

Le rôle de l’Etat (contrôlé démocratiquement ou par une minorité lucide pour la gauche révolutionnaire) est donc d’analyser scientifiquement la société puis de la construire (en la détruisant préalablement pour la gauche révolutionnaire) afin de garantir une égalité de fait.

Les droits de la personne peuvent donc être limités par des objectifs définis par la raison ‘collective’.

De la République de Platon à Utopia, les constructions de sociétés idéales ne sont pas nouvelles, mais toutes ont un point commun : une sévère limitation de la liberté individuelle. Forcément : pour que la photo soit parfaite, il faut que personne ne bouge sans autorisation.

Aujourd’hui, naturellement, le recours à une révolution violente pour construire une société ‘parfaite’ n’est plus d’actualité. Par contre, construire par décrets et règlements une société idéale en s’appuyant sur un Etat qui commande et contrôle les actions de millions de citoyens infantilisés se lit en filigrane des programmes de plusieurs partis politiques. Les individus sont regroupés administrativement en petits tas que l’Etat favorise, stigmatise ou victimise selon une cuisine approximative.

Pour les libéraux, ces objectifs peuvent être louables ; le moyen pour y parvenir (la force de l’Etat contre les droits de la personne) est immoral et inefficace, voire nuisible compte tenu de la complexité de cette société.

Les conservateurs politiques

Se sentir bien au chaud, à la place que la tradition vous a fixée, solidaires derrière un roi donné par Dieu, avec des petites plages pour se défouler ensemble en tapant sur les voisins, c’est une solution miracle contre toutes les angoisses engendrées par la liberté. Et c’est tout de même plus classe que les antidépresseurs. Plus classe, mais ni plus juste, ni plus stable.

Pour les conservateurs politiques, la société s’organise suivant un ordre organiciste. La société est vue comme un organisme où chaque individu a sa place et ne doit pas en bouger : une cellule de l’estomac n’a rien à faire dans le cerveau.

Cet ordre est inégalitaire (les personnes sont inégales naturellement), corporatiste et tribal (les personnes ont naturellement besoin de s’intégrer dans un groupe, une nation).

Le respect de cet ordre organiciste (parfois même divin) est dans l’intérêt de tous y compris des plus faibles qui n’ont ainsi pas à se mesurer aux plus forts. Le rôle de l’Etat est donc de maintenir et de défendre cet ordre. Les droits de la personne peuvent donc être limités pour atteindre ces objectifs.

Pour les libéraux, imposer à une personne une place fixe au nom d’un ordre est une violation de ses droits. La société n’est pas un organisme et le recours à la violence de l’Etat pour maintenir cet ordre n’est qu’une manière pour certaines classes de vivre aux dépens des autres.

Le conservatisme politique est incompatible avec le libéralisme, contrairement au conservatisme des moeurs ou de la culture appartenant à la sphère privée ou associative.

Les intérêts n’ont besoin ni d’être dirigés ni d’être accordés. Ils se dirigent et s’accordent bien sans que personne s’en mêle.

« [Le socialiste] :
S’il en est ainsi, que doit faire le gouvernement ?
[Le libéral] :
Il doit garantir à chacun le libre exercice de son activité, la sécurité de sa personne et la conservation de sa propriété. Pour exercer cette industrie particulière, pour rendre ce service spécial à la société, le gouvernement doit disposer d’un certain matériel. Tout ce qu’il possède en sus est inutile. »
Gustave de Molinari
Soirées de la gare Saint Lazare

Les libéraux

Pour les libéraux, la société s’organise spontanément à condition que les droits naturels de chaque personne (sécurité, liberté, propriété) soient garantis par un Etat impartial, ayant l’exclusivité de la violence.

Les libéraux partent donc des droits de la personne pour constater l’ordre qui se forme, s’adapte, se transforme sous l’action combinée de millions d’individus réagissant sans concertation à leur environnement et poursuivant des buts qui leur sont propres.

Les libéraux considèrent que les interactions de personnes libres respectant les droits des autres personnes sont nécessaires et suffisantes pour obtenir une société harmonieuse, ou plus exactement dans le monde imparfait qui est le nôtre, la société la moins inharmonieuse possible.

Pour les libéraux, les droits de la personne ne s’effacent jamais, même devant des théories compliquées — conservatrices ou socialistes — qui regroupent artificiellement les personnes en petits tas selon des critères arbitraires (la classe sociale, la race, la religion), puis donnent des droits spécifiques à ces petits tas au détriment des droits de la personne.

Le purgatoire libéral

Il n’y a pas de paradis sur Terre parce que les personnes sont libres de faire le bien, le mal ou ni l’un ni l’autre.

Le libéralisme permet à chacun de chercher le bonheur ou pas, la vertu ou pas, seul ou en s’associant librement.

Ce purgatoire libéral sans objectif collectif peut être angoissant lorsqu’on le compare aux constructions parfaites que proposent les alter-purgatoires.

Mais on ne peut pas construire de société meilleure que les personnes qui la composent.
Et surtout, on ne peut pas construire de société sans limiter sévèrement la liberté des personnes qui composent cette société.

Le purgatoire libéral permet aux gentilles personnes de librement faire ce qu’elles considèrent comme juste ou bon.

Ce qui permet éventuellement l’éclosion de sociétés meilleures.

Ce qui ne risque pas de se produire dans les enfers pavés de bonnes intentions des constructivistes.

L’ordre spontané, socle de la société libérale

On trouve de nombreux exemples d’ordre auto-organisé dans la nature.

Par exemple, lorsqu’un banc de sardines s’éparpille à l’approche d’un danger, vu de l’extérieur, on observe des motifs presque géométriques. En quelques secondes chaque sardine s’éloigne le plus possible des sardines nageant à proximité d’elle pour se regrouper ensuite. A quelques mètres de distance, cela donne un motif auto-organisé et changeant à grande vitesse.

Il s’agit d’un ordre auto-organisé parce qu’aucune sardine n’a conscience ni n’agit avec pour objectif de former ce motif.

Il s’agit d’un ordre auto-organisé parce qu’aucune commission du plan Sardine, ni aucun dictateur Sardine Maximo n’a pensé ce motif vu de haut et ne l’a imposé.

Si la commission du plan Sardine avait dû dicter en temps réel, à chaque milliseconde, la direction de chaque sardine du banc, cela aurait demandé un travail et une collection d’informations considérables pour obtenir un motif moins adapté et surtout plus lent. Et davantage de sardines y auraient laissé leur vie.

Dans cette situation en tout cas, en laissant à chaque sardine des ‘droits’ égaux pour toutes (droit de nager à la vitesse qu’elles souhaitent, droit de s’éloigner ou de se rapprocher des autres sardines, etc.) et en laissant faire chaque sardine en fonction de son environnement, on n’a pas obtenu le chaos (comme dans une bonne poêlée de sardines frites avec un peu d’ail et une noisette de beurre) ou une société atomisée (des sardines nageant seules et isolées dans l’océan), mais un banc de sardines auto-organisé.

La nature humaine est un peu plus complexe que la nature sardinesque, et la société humaine un milieu assez différent de l’eau de mer, mais l’analogie permet de comprendre le concept de base qui sous tend l’ordre libéral :

Un ordre auto-organisé (ou spontané), c’est-à-dire ni voulu par une autorité supérieure, ni pensé par les acteurs eux-mêmes, peut se créer et présente de nombreux avantages par rapport à un ordre organisé par le haut.
[NDLR : Pour en savoir plus sur le libéralisme, cette philosophie qui conduit à une éthique de vie, commandez le livre de Daniel Tourre, Pulp Libéralisme, en cliquant ici. 232 pages de textes limpides, d’idées lumineuses qui éclaireront utilement votre façon de voir l’actualité. N’hésitez pas à offrir ce livre accessible à tout public. Ce n’est pas de la philosophie absconse et éthérée.]

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