Samedi passé, nous avons évoqué les chiffres de la sécurité en France tels que présentés par le SSMI, c’est-à-dire le service statistique du ministère de l’Intérieur, qui est donc partie intégrante de la place Beauvau. Il existe d’autres chiffres français sur la question – enfin, pour quelques temps encore…
Données statistiques sur la sécurité : l’Etat n’aime pas la concurrence !
Eh oui, le 4 octobre dernier, le Premier ministre a décidé que l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice fermerait ses portes fin 2020. Comme l’INHES abritait l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), ce dernier se verra lui aussi supprimé à la fin de l’année.
A ce stade, peut-être avez-vous envie de me rétorquer qu’en tant que libéral, je devrais me réjouir que l’Etat décide de la fermeture d’un comité Théodule ? Et bien pas vraiment ! Je m’explique.
Comme je l’ai rappelé dans un précédent article, garantir la sécurité des citoyens me semble être la fonction première, la fonction la plus cruciale de l’Etat. Si ce dernier échoue à préserver notre sécurité, alors toutes nos autres préoccupations passent au second plan.
Concernant un sujet d’une importance aussi éminente, il me semble donc primordial de bénéficier de statistique fiables. Or, en matière de statistiques comme dans bien d’autres domaines, rien ne vaut la concurrence. Une information n’est fiable que lorsqu’elle a été confirmée par plusieurs sources concordantes. Le problème, du point de vue de l’Etat, c’est que « concurrence » rime parfois avec « divergence »…
C’est par exemple ainsi que, courant janvier, Eurostat a signalé à l’Etat français que ce dernier trafiquait les chiffres de l’immigration depuis plus de… 10 ans. Rien que ça.
Quoi qu’on pense de ce sujet, il me semble préférable de bénéficier de données fiables pour pouvoir y réfléchir et en discuter.
Bien entendu, l’Etat a déclaré que ces données seront corrigées. L’avenir nous dira si c’est bien le cas, mais cette sortie de l’office statistique européen confirme qu’il n’y a aucune raison de prendre les statistiques étatiques pour argent comptant.
Par conséquent, en tant que citoyen, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’une partie de mes impôts soient alloués à un organisme qui me permette de contrôler la transparence de l’Etat vis-à-vis de l’une de ses missions régaliennes.
Des vérités peu reluisantes
Il en va donc de même en matière de sécurité, et la fermeture de l’ONDRP me chagrine. En l’occurrence, l’avantage que présente cet office, c’est qu’il bénéficie d’un statut d’indépendance au sein de l’INHESJ.
Il peut donc faire son travail – qui consiste à rendre compte des évolutions des phénomènes délinquants et criminels ainsi que des réponses pénales qui y sont apportées – en toute liberté vis-à-vis des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Cela lui permet, assez fréquemment, de rappeler quelques vérités assez peu reluisantes du point de vue de l’utilisation de vos impôts :
Vous ne serez donc pas étonné de lire ce que rapporte le journaliste Jean-Dominique Merchet dans L’Opinion :
« [L’INHESJ dépendait du Premier ministre et ni le ministère de l’Intérieur, ni celui de la Justice ne se sont mobilisés pour éviter cette fermeture, motivée par des soucis d’économies budgétaires [NDLR : interdit de rire]. […] Alors que les questions de sécurité intérieure restent essentielles, comme on le voit avec le terrorisme par exemple, se priver d’un tel lieu de réflexion et d’échange ne peut que renforcer l’entre-soi des administrations, dont on mesure le danger. »
Quand l’Etat brise les thermomètres les uns après les autres en espérant que la fièvre sera moins flagrante
Ce sera donc une source de moins pour les particuliers du « camp du mal » qui profitaient des comptes-rendus statistiques de l’ONDRP pour pointer du doigt les carences de l’Etat en matière de sécurité.
Comme l’explique le blogueur H16 :
« On comprend assez vite que le principal souci de ces statistiques officielles, publiques et généralement assez fiables, c’est qu’elles peuvent être récupérées par tout ce que les médias et les intertubes comptent d’agitateurs politiques, de militants louches, voire – osons les mots forts – d’horribles fachisses de drouate qui n’hésitent alors pas à brosser d’affreux tableaux dépeignant non pas le vivrensemble chaloupé […] mais plutôt les soucis croissants de violences, de récidives, de dérives visibles et quantifiables de quartiers très très émotifs ou de réponses pénales si visiblement inadaptées qu’elle font des grosses bosses statistiques sous les tapis du politiquement correct qu’on s’emploie pourtant à déployer dans tous les lieux importants de la République. »
Alors bien sûr, le gouvernement a prévu qu’une partie des objectifs de l’ONDRP seront transférées à l’INSEE et aux… services statistiques des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Pour ces dernières entités, on reviendra donc à une situation bien plus commode pour le gouvernement, dans laquelle ce sera à ses propres services de fournir des statistiques indiquant s’il fait correctement son travail ou non.
Voilà pourquoi il m’est assez difficile de croire le gouvernement lorsqu’il explique que c’est une logique d’économie budgétaire qui a dicté à cette suppression ciblée. En ce qui me concerne, je partage plutôt l’avis d’H16 lorsqu’il explique ceci :
« On est ici véritablement dans un mouvement d’ensemble qui vise à redéfinir le discours ambiant sur la sécurité en France : tout va très bien, il n’y a aucune raison de s’inquiéter, arrêtez de paniquer niaisement, continuez de payer vos taxes et vos impôts et surtout, taisez-vous. […]
Cela vient aussi après le vote de cette loi inique qui, au contraire de tous les autres pays occidentaux, interdit la tenue de la moindre statistique sur les juges en France (que j’avais relaté ici). »
[NDLR : il s’agit de l’interdiction – sous peine de cinq ans d’emprisonnement – de l’utilisation des données relatives à l’identité des magistrats et des membres du Greffe pour les profiler en fonction de leurs biais, de leur niveau de laxisme et de leur éventuel militantisme.]
Autrement dit, toutes les statistiques sur l’état général du pays et sur la façon dont l’Etat s’acquitte de ses fonctions régaliennes, lourdement payées avec vos impôts, seront entièrement dans les mains de ceux qu’elles sont censées évaluer. »
Du point de vue de l’Etat, votre rôle de citoyen, c’est de la fermer !
Bref, il y avait un comité Théodule qui servait à quelque chose, et c’est bien sûr celui-là que le gouvernement a décidé de fermer. Ne comptez donc pas sur moi pour applaudir cette « économie budgétaire ».
A l’instar du twittos de choc Ze Don Bernardo, j’ai du mal à me réjouir que l’Etat considère que les morts et les blessés sont plus à leur place sous le tapis qu’en en pleine lumière.
On pourrait se consoler en se disant qu’il nous reste les réseaux sociaux pour remettre en cause les chiffres avancés par les autorités publiques, comme l’ont confirmé les recensions des violences policières depuis la crise des gilets jaunes.
Mais pour combien de temps encore ? On peut légitimement se demander si la loi Avia contre la « cyber haine » ne finira pas par être utilisée par l’Etat afin de clore tout débat qui s’apparente à une épine dans son pied…
A la semaine prochaine pour d’autres nouvelles du « pays des Droits de l’Homme et du Citoyen » !