▪ Nous allons nous permettre un peu de méchanceté ce soir après avoir été raillé sur les forums pour la noirceur « findumondiste » des différents rédacteurs de la Chronique Agorasur la crise chypriote.
Ah, c’est qu’ils n’avaient pas le triomphe modeste lundi, les permabulls ! Ils savaient à 99% que l’Europe n’allait pas laisser polluer son système bancaire par quelques trublions avides d’argent russe et qui avaient séduit des investisseurs amateurs de rendements à la Madoff.
« Finie la finance casino », avait lancé un de nos ministres — impliqué dans le dossier chypriote — à la veille du week-end.
« Que les oligarques russes rapatrient ce qu’ils pourront sauver (pas grand-chose a priori vu l’instauration d’un embargo sur les mouvements de capitaux) vers leur mère patrie, l’Europe n’a que faire de cet argent douteux », scande la presse allemande.
« Ces paradis fiscaux qui opèrent dans notre dos n’ont que ce qu’ils méritent », affirment en choeur tous les bien-pensants — qui en profitent pour rappeler que Chypre, c’est 0,2% du PIB européen et qu’on peut fort bien s’en passer.
A quoi bon d’ailleurs leur prêter de l’argent qu’ils ne pourront pas rembourser ?
Sur ce dernier point, nous sommes d’accord avec le consensus des « faiseurs d’opinion ». Avec une récession estimée à -20% au cours des deux années à venir, il ne faut pas compter sur l’appareil fiscal pour collecter de quoi rembourser les prêts qui viennent d’être accordés.
Chypre estime déjà ne pas pouvoir restituer en l’état les 2,5 milliards d’euros prêtés par la Russie en 2011, alors imaginez un montant de 10 milliards sans aucun moteur économique pour générer le quart du cash nécessaire… sans compter un risque de bank run qui serait fatal aux finances de l’île.
▪ Remettons un peu tout cela en question
Mais au fait, nous ne trouvons pas très pertinent l’argument selon lequel les Chypriotes n’ont que ce qu’ils méritent. Ce ne sont pas des auto-stoppeurs ramassés par hasard par le minibus européen et dont on aurait découvert au fil des kilomètres qu’ils ne fument pas que du tabac, qu’ils ne prennent pas une douche tous les jours et qu’ils partent en retraite 10 ans avant les Allemands.
Contrairement à la Grèce où la proximité des Jeux olympiques avait un peu précipité le mouvement, l’Europe a bien pris le temps de faire monter Chypre à bord… Son statut de paradis fiscal méditerranéen et sa proximité avec le Liban, le Proche-Orient et la Russie ne dérangeaient personne.
Certains diplomates se réjouissaient même de pouvoir disposer d’un électron libre qui permettait de bénéficier de passerelles privilégiées avec des pays auprès desquels l’Europe avait du mal à s’imposer comme partenaire. Chypre était considérée comme un intermédiaire bien utile avec de nombreux pays riverains du sud de la Grande bleue.
Peut-être que Nicosie conservera des liens historiques d’amitié avec le Liban par exemple, mais les liens financiers risquent de se distendre très sérieusement avec l’anéantissement du système bancaire local voulu — non… exigé avec force — par Berlin et la BCE.
▪ Qu’en est-il du plan B ?
Chypre se voit certes épargner une éviction de la Zone euro — mais son système bancaire si singulier est anéanti, à l’image de Laiki, la seconde banque du pays, qui sera fusionnée avec Cyprus Bank.
Rassurez-vous : les deux banques sont aussi mal portantes l’une que l’autre. Mais comme aux Etats-Unis depuis 2008 ou en Espagne depuis 2010, quand deux établissements sont fusionnés, c’est le plus petit qui disparait de l’écran radar.
Nous admettons que la majorité des Chypriotes détenant un patrimoine modeste ne subira pas de ponction confiscatoire sous forme de taxe. Pour les gros déposants, en revanche, la solution adoptée lundi matin est tout simplement trois fois pire !
Pour de nombreuses entreprises locales et de non-résidents fortunés, ce sont environ 30% de leurs avoirs qui seront convertis en titres bancaires (de la Cyprus Bank) ne valant pas un clou.
Mais le maintien dans l’Eurozone valait bien de sacrifier quelques victimes — pas toujours innocentes de surcroît — et de s’essuyer les semelles sur le destin économique du pays.
L’Eurogroupe avait imposé, ce qui est essentiel, un accord qui fasse taire ceux qui jugeaient que Chypre s’en sortirait beaucoup mieux en adoptant le scénario islandais (répudiation de la dette) que le scénario irlandais (qui s’est collé sur les épaules un fardeau remboursable en euros sur les 38 prochaines années, soit presque deux générations).
▪ Les marchés grimpent, grimpent et grimpent…
Les « euro-ptimistes » exultaient donc lundi matin en voyant les indices boursiers s’envoler de 1,5% dès l’ouverture… Ils pariaient volontiers que le CAC 40 pourrait atteindre les 4 000 d’ici fin mars, c’est-à-dire ce jeudi — puisque vendredi sera férié.
Allez donc leur expliquer que si Chypre est « sauvée »… son économie est euthanasiée ! A chaque crise, l’Europe ampute un peu plus les principes démocratiques, la confiance des agents économiques, les possibilités d’un retour de la croissance.
On coupe un doigt, une main, puis un pied, puis la jambe juste sous le genou, puis au-dessus du genou… et à chaque fois on nous explique que l’athlète (l’euro) devient plus fort, plus performant.
Nous finissons presque par douter de notre propre jugement puisqu’à chaque coup de bistouri, les marchés vont effectivement plus haut.
Attendons tout de même de connaître l’avis des déposants russes (oligarques et amis de V. Poutine). Nous sommes certain qu’ils vont prendre tout cela avec la légèreté des participants à l’émission Les Anges de la téléréalité.
Nous imaginons très bien le milliardaire Vladimir Potanine se poser devant les caméras de CNN ou CNBC et lancer : « non mais allô quoi… l’Europe me ponctionne 30% de ma thune, non mais allô ! C’est comme si tu me disais que mon argent c’est des billets de Monopoly… non mais allô ! »
▪ Dijsselbloem joue les trouble-fête
Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes lundi matin. Personne ne s’attendait à ce que l’un des protagonistes des négociations marathon de la nuit dernière — Jeroen Dijsselbloem en l’occurrence — vienne gâcher la fête à l’heure du déjeuner par des déclarations jetant le trouble sur les marchés et le doute dans les esprits au sujet des mécanismes de sauvetage du secteur bancaire.
C’est pourtant l’exploit réalisé par le président de l’Eurogroupe. Il considère que le règlement du problème bancaire appliqué à Chypre constitue « une base » pour d’éventuels cas similaires de faillite bancaire où les créanciers et actionnaires pourraient être mis à contribution.
Cela n’a pas jeté un froid, c’est comme si on avait déversé de l’azote liquide sur les indices boursiers !
Le CAC 40 avait entamé la séance sur un gros gap au-dessus des 3 791 et n’a pas tardé à afficher une hausse de 1,7% à 3 837 points. Le marché a cependant commencé à plafonner vers 11h45 ; la chute s’est véritablement amorcée vers 13h15 avec la cassure des 3 820 points.
Il s’en est suivi une véritable dégringolade de 100 points en ligne droite, avec un score de -1,4% à 3 717 points vers 16h30. L’indice CAC a comblé au passage le gap des 3 723 points avant d’en terminer en repli de 1,12%.
Un écart de 120 points (3,15%) entre les extrêmes de séance, il y avait longtemps que cela n’était pas arrivé… et la baisse s’est déroulée sur fond de pression vendeuse appuyée (3,5 milliards d’euros, c’est presque le double de ce qui se traite un lundi « ordinaire »).
Il convient de souligner que le CAC 40 s’était envolé de plus de 2% avec à peine 500 millions d’euros (entre 9h et 11h) — mais il s’est manifestement brûlé les ailes en se rapprochant trop vite des 3 830 points.
A Wall Street, le Dow Jones s’est empressé d’inscrire un nouveau record historique (à 14 563,75 points) avant de subir l’impact de l’alourdissement de la tendance en Europe.
Wall Street était cependant prêt à occulter ses idées noires en provenance d’Europe pour peu que Ben Bernanke — en visite à Londres — continue d’émerveiller les marchés avec ses promesses de quantitative easing éternel.
C’était bien parti avec la réaffirmation que le QE3 allait profiter à tout le monde (c’est-à-dire aux principaux partenaires des Etats-Unis) avec le retour de la croissance. Le problème, c’est que plus la Fed injecte d’argent, moins il y a de croissance et plus il y a de bulles d’actifs.
Sa stratégie non-conventionnelle détourne l’argent de l’économie réelle (trop incertaine) vers le virtuel. En effet, les marchés de flux ne peuvent que monter tant que la Fed remplit le « bol de punch » ras-bord… mais nous commençons à sentir poindre un ras-le-bol !