La Chronique Agora

A Chypre, le feuilleton s’achève… en Slovénie, il commence ?

▪ « Achetez des actions comme des furieux, on va continuer d’imprimer du dollar jusqu’au bout de l’éternité ! » (signé Ch. Evans, N. Kocherlakota, B. Bernanke).

Pour les quelques lecteurs qui nous découvriraient aujourd’hui et qui auraient raté quelques épisodes depuis mars 2009, nous rappelons que la Fed s’est fixé pour but de faire grimper Wall Street éternellement en imprimant du papier monnaie en quantité infinie… Ce n’est guère original : la banque centrale du Japon a promis d’en faire autant jusqu’à ce que l’inflation ressurgisse et mène l’Archipel droit vers l’enfer.

Nous avons conscience que l’adverbe « éternellement » est un peu outré, voire caricatural… mais visiblement, ce n’est pas le cas de l’un des membres de la Fed poussé devant les micros pour balancer un « coup de jus » qui réveille les ardeurs haussières (et le cerveau embrouillé par la crise chypriote) des permabulls.

Nous n’inventons rien ; une fois encore, plus les déclarations que nous vous soumettons semblent stupides et franchement grotesques, plus elles sont authentiques.

Celle qui suit vaut son pesant de papier monnaie. Elle émane de Narayana Kocherlakota qui est… président de la Fed de Minneapolis.

Voici ce que propose cet éminent collaborateur de Ben Bernanke : « il serait malvenu de se fixer un plancher tel que 6,5% pour le taux de chômage alors que l’expérience des 15 dernières années a prouvé qu’avec du plein emploi (disons 5% de taux de chômage), l’inflation demeurait largement sous contrôle et plafonnait bien en-deçà des 2,5%. Autrement dit, il faut poursuivre la politique de taux zéro au moins jusqu’en 2015, ou jusqu’à ce que le nombre chômeurs ne dépasse plus 5,5% ».

Son inclination à faire tourner à la vitesse de la lumière les rotatives de la Fed lui a certainement valu son récent recrutement. Voilà un disciple zélé de l’école de Chicago qui a su s’attirer l’attention de Ben Bernanke, Janet Yellen et autres Charles Evans (qui s’insurgeait hier soir contre toute réduction du QE3 avant fin 2013)… Tous des enragés de la planche à billets.

Oui, ce sont pas moins de deux membres de la Fed qui se sont exprimés à quelques minutes d’intervalle pour garantir à Wall Street un remplissage à ras-bord du bol de punch — aussi loin qu’un alcoolique mondain écumant Manhattan de vernissages/cocktails en carré VIP/champagne millésimé pourra résister au coma éthylique.

Wall Street a bien compris les intentions de la Fed. Les indices américains ne lâchent rien (0,25% en moyenne à mi-séance) à 24 heures de la fin du trimestre. Ils gagnent 10% et plus depuis le 1er janvier, à l’exception du Nasdaq… Et il n’est pas question de laisser cette performance s’évaporer au prétexte que l’Asie ralentit et que l’Europe n’a plus de croissance et pas mal de soucis avec la solidité des banques des pays du Sud (la Slovénie suscite à son tour des inquiétudes).

Le recul de 0,7% de l’euro face au dollar à 1,2770 traduit bien d’avantage une défiance envers l’Eurozone qu’un soudain appétit pour la devise d’un pays ne respectant aucune forme de discipline budgétaire et au moins aussi endetté que la France ou l’Italie… et qui imprime quatre milliards de dollars par jour.

▪ Fin du feuilleton chypre… mais si !
Nous avons du mal à comprendre pourquoi l’euro enfonce les 1,29 $ ! La crise chypriote est pourtant circonscrite, endiguée, résolue selon les communiqués triomphateurs émis par divers membres de l’Eurogroupe ainsi que par Mme Lagarde, présidente du FMI.

La catastrophe a donc une fois encore été évitée in extremis. On se souvient du feuilleton grec et des multiples « accords de la dernière chance » salués à chaque fois comme l’ultime exception qui confirme la règle… et l’ultime entorse à tous les grands principes au nom de la cohésion de l’Eurozone.

La réouverture des banques chypriotes, alors que d’importants flux de capitaux auraient réussi à s’échapper via les filiales londoniennes de Bank of Cyprus et Laiki, s’apparente à un grand saut dans l’inconnu, avec un risque de bank run pouvant contaminer d’autres pays au système bancaire fragile.

Des rumeurs inquiétantes évoquent déjà un montant de cinq à 10 milliards d’euros plombant les comptes des banques slovènes (un pays bien plus proche à tous points de vue de l’Autriche ou de la Suisse que de l’Europe du sud. Si les banques slovènes battent de l’aile, cela pourrait provoquer une tempête de Vienne à Francfort — cette dernière se retrouverait rapidement en première ligne.

Bart Oosterveld, le responsable du risque souverain chez Moody’s, dénonce la confiance aveugle dans un avenir radieux des membres de la Troïka. Il juge que les Européens « se surestiment » (et minimisent les problèmes à résoudre) dans le cas du problème chypriote.

Et l’Europe ne peut guère se faire d’illusion sur la conjoncture et la confiance de ses citoyens. Elles se retrouvent au plus bas depuis le premier trimestre 2009 : retour à une récession dure… sans perspective de plan de relance cette fois-ci puisque la plupart des Etats sont au bord de la banqueroute.

Bart Oosterveld n’a pas précisé si l’Italie et l’Espagne, dont les notes souveraines ont été placées fin 2012 sous perspective négative, étaient davantage exposées à une nouvelle dégradation après la « résolution » du cas chypriote.

Il souligne en revanche que Chypre s’engage pour une « période prolongée » dans un contexte de défaut sur sa dette, voire de sortie de la Zone euro.

Dietmar Hornung, responsable du suivi de l’Italie chez Moody’s estime pour sa part que « la situation à Chypre a un impact négatif sur l’Italie dont la cohésion sociale et la santé des banques italiennes posent question ».

Les marchés vont devoir s’accoutumer à la perspective de nouvelles élections en septembre, sur fond d’euroscepticisme, voire d’hostilité grandissante à la « technostructure » (BCE, FMI, experts de Bruxelles) sans légitimité populaire mais qui peut décider à la place des citoyens d’un pays souverain de rayer une banque — ou tout un système bancaire — d’un trait de plume.

Voilà pourquoi de plus en plus de citoyens, pourtant europhiles convaincus, rêvent de rayer l’Europe — enfin… cette Europe-là en particulier.

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