La Chronique Agora

Le cas de Chypre n’entrave pas le Dow Jones

banques centrales

▪ A peine le cas chypriote a-t-il commencé à susciter de nouveaux questionnements concernant le fonctionnement de l’Europe (le règne du « deux poids, deux mesures », l’influence de hauts fonctionnaires qui ne tirent leur légitimité d’aucun suffrage mais qui imposent leur conditions aux élus des peuples) que la propagande haussière s’est remise en marche avec un zèle confondant.

C’est ainsi que nous avons vu fleurir sur de nombreux sites d’information financière ces gros titres dont la vocation est de réduire à néant tout sentiment de malaise, d’éradiquer toute raison de douter d’un avenir boursier totalement radieux.

Le procédé consistant à poser une question dont la réponse implicite s’avère ipso facto négative est assez grossier… mais répété à longueur de journée, il finit peut-être par anesthésier les esprits les moins critiques.

Voici un petit florilège :

« Voilà pourquoi on ne parlera plus de la crise chypriote d’ici trois jours ».
« Voici pourquoi les marchés ont tort de s’inquiéter de nouvelle turbulences sur les dettes en Europe ».
« Voilà pourquoi l’initiative chypriote a été mal interprétée et ne concerne pas les marchés actions ».

Nous pourrions continuer mais vous allez vite vous lasser de ce « dormez tranquilles, braves gens, tout ça c’est pour votre bien et tout va bien se passer ».

▪ Un refrain connu
Vous avez déjà entendu ce refrain tout au long de l’été 2007 et lors de la crise grecque en 2010. Et que dire des négociations budgétaires au Congrès US mi-2011 : « un accord sera forcément trouvé le 31 juillet à 23h59, juste avant que les politiciens américains partent en congé estival et que Barack Obama s’envole pour Hawaï ».

En ce qui nous concerne, nous sommes partagé entre le retour en force de la propagande et la tentation de relativiser la question chypriote. La confiscation de 10% des sommes (au-delà de 100 000 euros) figurant sur les comptes des banques locales vise — tout le monde l’a bien compris et Vladimir Poutine le premier — les 20 milliards d’euros déposés sur les comptes offshore d’oligarques russes amateurs de fiscalité hédoniste.

Le procédé a suscité beaucoup de commentaires et d’émotion ; beaucoup parlent d’un « fâcheux précédent », les communiqués en provenance de Bruxelles parlent d’un cas unique, totalement cantonné à la réalité locale. Nous estimons cependant qu’il s’agit tout au plus d’un bon prétexte pour prendre des bénéfices plutôt que d’un signal d’alerte macro-économique majeur… comme le risque d’une poursuite de l’incertitude politique en Italie ou l’absence d’accord budgétaire aux Etats-Unis.

Chypre ne pèse guère plus de 0,2% du PIB européen. Même si tout le monde connaît la théorie du battement d’aile de papillon à Nicosie qui au final provoque une tempête à Berlin, il convient de relativiser les enjeux : l’île compte environ un million d’habitants pour un PIB de tout juste 20 milliards d’euros dans sa partie récemment incorporée à la Zone euro (c’est la moitié du PIB de La Défense et à peine plus de salariés).

▪ Les marchés US continuent sur leur lancée
Nul ne sait si le Parlement chypriote votera ou non ce mardi les mesures confiscatoires adoptées ce week-end. Toutefois, il semble que les « pompiers » ont été appelés en renfort dès l’ouverture à Wall Street, qui manifeste clairement son refus de renoncer au « mode rally » qui prévaut depuis le 1er janvier.

Nous n’avons donc été qu’à moitié surpris de voir Wall Street repasser dans le vert lundi soir vers 19h30. Il s’agissait du premier jour du second trimestre 2012 pour les opérateurs (largement majoritaires) s’appuyant sur les contrats à terme et autre dérivés sur indices. Pas question donc de démarrer du pied gauche aux Etats-Unis et de laisser la mauvaise humeur observée quelques heures plus tôt en Asie puis en Europe menacer le rally haussier.

Les indices américains n’ont jamais perdu plus de 1% ce lundi alors que le CAC 40 avait ouvert sur une chute de plus de 2%, avant de tester très brièvement un seuil de rupture bien identifié vers 3 760 points (il s’agit de la MM20).

La secousse chypriote a pourtant été ressentie durement lundi matin en Asie avec -2,7% de repli à Tokyo, -2% à Hong Kong et -1,5% à Shanghai… Mais le choc a été rapidement amorti en Europe et à Paris, où les pertes ont été réduites de moitié moins d’une heure après l’ouverture, et à -0,48% au final

Beaucoup moins d’émotion à Wall Street lundi soir puisque les indices ne lâchent pas plus de 0,45% en moyenne… Encore moins de compassion pour les citoyens chypriotes qui verront leurs comptes lourdement ponctionnés au-delà d’un certain montant — lequel est en cours de renégociation (il s’agit d’exonérer le maximum d’épargnants modestes) afin d’obtenir un vote favorable du Parlement.

▪ Chypre… l’Irlande… et la Russie !
Nous pourrions adhérer à l’argument selon lequel Chypre s’est mis dans le pétrin à cause de ses propres règles fiscales, dignes d’une place financière offshore, si l’Irlande avait elle aussi été contrainte par Bruxelles et le FMI de revoir sa politique en matière de taxation des bénéfices des multinationales.

Or Dublin — qui siphonne chaque année des dizaines de milliards de recettes fiscales chez ses partenaires de l’Eurozone — n’a non seulement rien modifié à ses pratiques (dumping fiscal) mais a au contraire réussi à négocier tout récemment un étalement du remboursement de sa dette avec la BCE (en cours de ratification) moyennant un chantage au risque systémique.

Ah si seulement Chypre avait eu les moyens de faire trembler la City, Bruxelles et Berlin, les oligarques russes n’auraient pas eu de souci à se faire !

Mais attendez… Vladimir Poutine se déclare scandalisé par la taxation surprise des comptes des non-résidents (y compris d’entreprises comme Aeroflot), et cela n’émeut visiblement personne.

A notre avis, il va quand même falloir surveiller de près, au cours des prochains mois, la facture de gaz (russe) de l’Europe, les taxes aéroportuaires appliquées à Moscou ou Saint-Pétersbourg aux avions en provenance de l’Eurozone et le prix de certains métaux industriels dont la Russie détient un quasi-monopole.

Si beaucoup imaginent que les compatriotes de Poutine vont se faire ponctionner de deux ou trois milliards par l’Europe sans que cela se « paye cash« , ce n’est pas exactement notre cas.

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