La Chronique Agora

Chypre, du pain béni pour Beppe Grillo

▪ Nous ne nous contentons pas de brocarder les préjugés et les postulats réducteurs du monde de la finance, nous les soumettons à l’épreuve des faits. Nous sommes d’ailleurs rarement déçu du résultat : plus cela paraît évident, plus c’est à côté de la plaque.

Pas toujours, cependant… Wall Street nous en offre la démonstration avec Chypre : pour une fois, nous sommes d’accord avec ce qui ce qui s’apparente à un jugement à l’emporte-pièce — limite humiliant — dont les financiers anglo-saxons ont le secret.

Les investisseurs new-yorkais se demandent en effet comment une île dont la population totale représente à peine celle d’un quartier de Manhattan peut faire vaciller l’Europe toute entière et même provoquer un effondrement des places asiatiques lundi.

Leur effarement atteint des sommets lorsqu’ils apprennent que pour trouver dans l’urgence six milliards d’euros — l’équivalent de ce que la Fed déverse en 48 heures dans le système financier américain via son QE3 –, Berlin a fait pression pour que le nouveau gouvernement chypriote annonce le projet le plus stupide depuis que la crise du surendettement a commencé fin 2009.

▪ Pourquoi évoquer Berlin et pas Bruxelles ou le FMI ?
Eh bien tout simplement parce que c’est le nouveau président de Chypre (de centre droit), M. Nicos Anastasiades — soutenu par les élites de Bruxelles et favori de la City de Londres — qui met directement Angela Merkel en cause.

Le gouvernement chypriote a toujours soutenu que ponctionner directement les comptes en banque des citoyens de l’île afin d’en prélever le maximum, l’air de rien, sur les richissimes déposants russes était une mauvaise idée… mais Berlin aurait lourdement insisté !

Résultat, les bourses plongent et cela volatilise des dizaines de milliards d’euros de valeur pour les détenteurs d’action sur l’ensemble de la planète. Vladimir Poutine est furieux — et il n’a certainement pas dit son dernier mot. Enfin, une majorité d’épargnants européens ont le sentiment qu’une bande d’eurocrates non-élus ne reculeront devant rien pour sauver leur sacro-saint euro — dussent-ils anéantir les derniers vestiges de la démocratie sur le Vieux Continent et saigner financièrement chaque citoyen à blanc.

Alors effectivement, nous partageons l’effarement de Wall Street. Comment l’Eurozone a-t-elle réussi à transformer un problème représentant une grosse poignée de milliards d’euros en un discrédit total sur la scène internationale, enclenchant ainsi un véritable effet domino sur les marchés de taux du sud de l’Europe ?

Oui, les Etats-Unis se demandent à juste titre comment l’Europe s’est mise plus bas que terre. Elle a jeté aux orties sa crédibilité sous prétexte que tout est permis — puisqu’il s’agit d’un pays dont le PIB annuel représente à peine 20% de celui du seul quartier de la Défense (environ 100 milliards d’euros par an) et qui est soupçonné de donner asile à des capitaux d’origine douteuse.

Parce que Bruxelles et Berlin ignoraient naturellement en 2008 (année de l’admission au sein de la Zone euro) que Chypre fut une sorte de paradis fiscal pour les oligarques russes ou que les banques locales prêtaient à livre ouvert pour des projets immobiliers pharaoniques alors que les résidents n’ont comme seule ressource que le tourisme low cost.

Si Chypre pouvait faire usage de sa propre planche à billets, le problème serait déjà réglé… à l’américaine !

▪ Après la panique, l’austérité
Pour Chypre, après le rejet du projet de taxation des comptes bancaires par un retentissant 56 à zéro (oui, zéro vote pour le projet inspiré par Berlin), ce sont des années d’austérité qui se profilent.

Plus personne ne voit comment Chypre pourrait trouver dans l’urgence les six milliards d’euros que Bruxelles, Merkel et le FMI exigent pour débloquer un prêt de 10 milliards. Le pays se retrouve donc virtuellement en banqueroute.

Trouver six milliards d’euros (soit environ un tiers du PIB local) sous forme de nouvelles taxes (TVA, carburants…) et d’économies (sur les salaires et les retraites) reviendrait à saigner le pays à blanc et à le plonger dans une dépression économique sans précédent.

Des économistes ont calculé que si la ponction sur les comptes annoncée ce week-end avait été votée, Chypre aurait connu une récession de -15% au cours des 24 prochains mois… Une situation pire qu’en 1929 aux Etats-Unis.

Le pays est paralysé depuis 48 heures. La situation devient tellement critique que Londres a envoyée en urgence un million d’euros en liquide par avion — pour venir en aide aux retraités britanniques très nombreux dans l’île et qui n’ont plus la moindre possibilité de se procurer du cash.

Nous ne sommes plus tellement éloignés de la promesse de Ben Bernanke de larguer des tonnes de billets de banque par hélicoptère… Une promesse qu’il renouvellera certainement ce soir à l’issue du FOMC parce qu’il ne peut pas prendre le risque de faire s’écrouler Wall Street après avoir piloté la hausse obstinée des indices depuis six mois.

▪ Chypre ne devrait pas occulter l’Italie
Comme nous l’avons déjà souligné, l’insolvabilité de Chypre est presque un problème mineur en regard des retombées potentielles de l’impasse politique en Italie, où la formation d’une coalition stable semble mission impossible.

Les marchés continuent pourtant de rêver à un compromis qui donnerait les rênes à un gouvernement de technocrates de type « Monti-bis » appliquant docilement les directives de Bruxelles… C’est-à-dire exactement ce que les Italiens ont rejeté par leur vote mi-février.

Et le rejet de tout ce qui émane de Bruxelles ou de Berlin risque de se radicaliser en cas de nouveau scrutin législatif : l’imbroglio chypriote est du pain béni pour Silvio Berlusconi et Beppe Grillo.

Les marchés de taux ont bien compris les enjeux. La journée de mardi a été marquée par un net creusement des écarts de taux entre le sud et le nord de l’Europe : le 10 ans espagnol a bondi par-delà les 5,05%. De son côté, le 10 ans grec a repris 140 points de base en 48 heures, repassant de 10,6% à plus de 12% mardi soir.

Face au risque d’embrasement des rendements obligataires, la BCE — qui n’avait pas d’autre choix — annonçait dès hier soir qu’elle fournirait toutes les liquidités nécessaires pour éviter un effondrement immédiat de l’économie chypriote. Cela ne peut constituer qu’un palliatif très temporaire en attendant de sortir de l’impasse.

Mais de notre point de vue, le mal est fait !

Les cambistes ne s’y trompent pas : l’euro est rapidement retombé hier soir sous 1,2860 $ après avoir effectué une brève incursion vers 1,2925 aux environs de 20h15.

Par de nombreux aspects techniques, la messe semble dite. Ne reste plus au CAC 40 qu’à enfoncer les 3 700 points et à l’Euro-Stoxx 50 de casser 2 620.

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