La Chronique Agora

Christine Lagarde et les oxymores boursiers

▪ C’était programmé, gravé dans le marbre algorithmique : le mois d’avril 2013 doit égaler ou surpasser le mois d’avril 2011 — après un mois de mars décevant, tout comme en 2011, et une entame d’année de type douche écossaise… tout comme en 2011.

Pourquoi une telle insistance sur la comparaison avec 2011 ? Simplement parce que le scénario des 10 derniers mois ressemble à un copier/coller de la période mai 2010/avril 2011.

Si les écarts sont effectivement plus amples sur 2012/2013, la configuration présente exactement la même succession de vagues haussières et baissières. Elles correspondent en outre exactement au profil des oscillateurs techniques hebdomadaires et mensuels de 2010/2011… le mois d’avril s’étant achevé par la réédition du zénith annuel des 4 100 points à l’époque.

Beaucoup d’analystes se jettent sur cet os pour nous prodiguer un diagnostic hyper-haussier : vous voyez bien que le CAC 40 a du potentiel avec ses 350 points de handicap par rapport au printemps 2011.

Sauf que ce raisonnement est faux.

Il semble complètement évident, mais il est aussi complètement faux !

En effet, le calcul du CAC 40, contrairement à celui du DAX 30, est réalisé hors dividendes. La bonne référence, c’est donc le CAC-GTR (Growth Total Return) ou CAC-GR… et devinez ce que vaut aujourd’hui cet indice qui culminait à 8 140 points il y a deux ans ?

Il a coté 8 345 points hier, contre 8 346 le 15 mars dernier. C’est le double-top parfait — et il se situe très exactement 2,3% au-dessus du zénith annuel de mars et avril 2011.

Les valeurs françaises n’ont donc pas 7% de handicap à combler. Au contraire, elles ont clairement un avantage dont nous peinons à justifier l’existence, tant la conjoncture actuelle (récession, taux de chômage record, résultats des entreprises en recul pour le deuxième trimestre consécutif) semble à des années lumières de celle qui prévalait deux ans plus tôt, avec une croissance de 2,2% en rythme annuel.

▪ Plus ça empire, mieux on se porte
Plus ça va mal, plus nous connaîtrons un avenir radieux — et une croissance explosive aux Etats-Unis dès le second semestre 2013. C’est en tout cas ce que nous promettent nos élites — les mêmes qui n’ont pas vu venir le second choc récessionniste de l’après-Lehman.

Christine Lagarde a déclaré en marge du dernier G20 (du week-end dernier) qu’elle restait « désespérément optimiste » quant aux perspectives de croissance mondiale… alors même que le FMI — qu’elle dirige — vient de réviser à la baisse ses prévisions globales et de réduire fortement celles qui concernent l’Europe.

Une Europe en « croissance négative », pour reprendre un autre célèbre oxymore de la patronne du FMI qui fait désormais partie du langage financier courant.

Nous vous proposons dans le même esprit « l’expansion récessive », la « dépression jubilatoire », « la singularité des problèmes pluriels »… et vous pouvez nous envoyer vos suggestions avec la promesse de diffuser les plus absurdes et les plus surréalistes.

▪ Oxymore boursier
Dans la même veine, nous avons assisté hier à une « consolidation haussière ». Celle-là, vous la connaissez déjà : cela signifie que le repli du jour confirme la tendance positive du marché.

Le CAC 40 figurait en queue du peloton européen avec un effritement de -0,06% à 3 840 points… Mais que les optimistes se rassurent : le biais demeure techniquement haussier puisque le plus haut du jour s’avérait légèrement supérieur à celui de la veille (3 854,4 contre 3 849 points).

Cette journée a été clairement positive sur l’ensemble des places européennes. Elles alignaient bien une quatrième séance de hausse consécutive avec un Euro-Stoxx 50 à +0,07% et un Eurofirst 80 qui grappillait 0,2% dans le sillage de Lisbonne (+1,2%), Francfort (+0,95%), Milan (+0,5%) et Amsterdam (+0,3%).

Sur la semaine, cela nous vaut une performance ébouriffante de +5,1% — équivalente à celle engrangée lors de la dernière semaine d’octobre, mais oui, vous l’avez deviné… de cette fameuse année à laquelle 2013 ressemble tant.

▪ Parcours sans faute sur les places américaines
Wall Street semble bien parti également pour finir le mois d’avril « à toute vapeur » (full steam ahead, pour reprendre l’expression favorite de Janet Yellen concernant la planche à billets).

Les indices américains font un parcours sans faute cette semaine. Le Nasdaq par exemple alignait jeudi une cinquième hausse consécutive. L’inscription d’une sixième semble probable ce vendredi puisque Wall Street a pris pour habitude de finir la semaine au plus haut et d’entraîner l’Europe dans son sillage.

Attention cependant à la publication du PIB américain dans l’après-midi. Il ne faudrait pas qu’il s’avère trop faible… Cela pourrait faire naître le soupçon — même chez les permabulls — qu’après huit mois de QE3 intensif, le résultat sur l’économie réelle est le même que si la Fed avait imprimé des billets de Monopoly et les avait distribués à la sortie des écoles primaires.

Les indices américains ont tutoyé ou égalé leurs records annuels ou absolus en milieu de séance, avant de perdre un peu d’influx au cours des deux dernières heures. Le Nasdaq a gagné 0,62% à 3 290 points (3 301 au plus haut du jour). Le S&P 500 engrangeait 0,4% à 1 585 points — après 1 593 au zénith, son record de clôture du 11 avril. Le Dow Jones s’adjugeait de son côté 0,17% à 14 700, contre 14 768 vers 20h. Enfin, le Russell 2000 a pris 0,66% et revient à 1,5% de son record historique.

▪ Records du chômage
Côté statistiques, le chiffre du jour a été largement éclipsé par la déferlante des trimestriels. Pour mémoire, les inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage aux Etats-Unis sont ressorties en repli de 16 000, à 339 000 — elles étaient attendues quasi-stables autour de 350 000. L’écrémage des fichiers de « sans emplois » se poursuit à un rythme de 500 000 par mois.

Ah si seulement l’Espagne usait sans vergogne de la même gomme statistique ! Le taux de chômage ibérique aurait ainsi pu être contenu en dessous de la barre des 20%.

Au lieu de cela, il a pulvérisé ses records absolus à 27,2% — soit 6,2 millions de chômeurs, dont un taux jamais vu en un siècle de 57% de sans emploi chez les jeunes.

En France, le nombre officiel de chômeurs (selon les normes du BIT) pour le mois de mars en France est ressorti à 3,224 millions, pulvérisant le record de 1997. Exprimé sous forme de taux, il s’établit à 10,2% contre 11,3% au plus haut en 1994 : il y a donc encore plus de 1% de marge.

Au rythme annuel des licenciements et compte tenu de la profusion de plans sociaux en préparation nous sommes donc pleins d’espoir de voir un record vieux de 20 ans tomber avant l’été.

Nous sommes « désespérément optimiste » concernant l’aptitude de la France à franchir le cap des 12% avant la fin de l’année. Cela pourrait sonner le glas de pas mal de promesses politiques et d’illusions sur la capacité des marchés à défier éternellement les lois de la gravité…

… C’est-à-dire à planer comme par magie à 14 800 pieds (aux Etats-Unis) ou 3 870 mètres (en France) au-dessus de la réalité du terrain.

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