Après l’inflation, les marchés tiennent pour acquis que le chômage est déjà vaincu.
Deux rapports antagonistes s’affrontent en ce début d’année : le premier, très encourageant, concerne l’emploi dans l’Hexagone d’après le ministère du Travail ; le second, plutôt alarmant, concerne les faillites des entreprises selon Altarès.
Selon ce cabinet, 42 500 dépôts de bilan et cessation d’activité ont été enregistrés : les PME (10 à 99 employés) sont particulièrement touchées, et ce dans toutes les régions de France. Au total, 3 214 PME ont déposé le bilan en 2022 contre 1 804 en 2021, soit une envolée de 78% sur un an.
Mais ce pourcentage ne rend pas compte de la trajectoire sous-jacente. Un tiers de ces défaillances ont été enregistrées au cours du dernier trimestre 2022, soit une augmentation de 93% par rapport à 2021.
Sous la pression des factures
En majorité, les entreprises concernées se sont retrouvées incapables de régler leurs fournisseurs, et cela inclut en particulier les énergéticiens avec des tarifs de l’électricité multipliés par 5, voire 10.
Beaucoup de PME qui sont allées au tapis étaient pourtant saines économiquement et avaient un carnet de commandes bien rempli, un compte d’exploitation excédentaire en 2021.
D’autres n’ont pu faire face à un brusque alourdissement des contraintes financières telles que les remboursements des PGE, le règlement d’arriérés de dettes URSSAF, de traites impayées, etc. Pour celles-là, la facture du « quoi qu’il en coûte » s’avère salée et ne pouvait être supportée que moyennant un étalement sur plusieurs années.
Ce sont les PME du secteur hôtellerie/restauration qui sont les plus touchées avec des défaillances qui ont plus que doublé (+105%).
Combien d’emplois cela représente-t-il, si l’on rajoute les TPE (moins de 10 salariés, comme les bars restaurants), les micro-PME (maçons, boulangers, coiffeurs, etc.) et les « entreprises » unipersonnelles ?
Altarès estime le total à environ 150 000, ce qui en réalité pèse assez peu car le marché de l’emploi français s’est montré symétriquement très robuste en 2022.
Pas qu’un record
Selon le ministère du Travail qui s’appuie sur les chiffres transmis par Pôle emploi, notre taux de chômage est tombé au plus bas depuis 2011.
Le chômage dans la catégorie A au sens du BIT (aucune activité) a en effet reculé de 3,6% au quatrième trimestre (à 3,05 millions) et de 9,4% sur l’année (soit 393 000 chômeurs de moins)… mais en incluant « l’activité réduite » (catégories B qui augmente de 8,8% et C qui diminue de 3,3%, dans les chiffres de Pôle emploi), le nombre de demandeurs d’emploi ne baisse que de 0,8% à 5,394 millions (soit 40 900 personnes en moins), et l’impact démographique (départ des baby-boomers) libère beaucoup d’emplois.
Les radiations ont également battu tous les records en 2022. Cela pourrait concerner plusieurs centaines de milliers de chômeurs (avec ce record inégalé de 58 000 pour le seul mois de novembre), sans oublier que le durcissement des règles d’éligibilité privent des dizaines de milliers de sans-emplois d’indemnisation.
Par ailleurs, 122 000 entreprises individuelles ont été créées en 2022 : il est hautement probable que la majorité des micro-entreprises sont le fait de chômeurs en fin de droits, obligés de créer leur propre emploi faute d’avoir pu décrocher une embauche correspondant à leur profil.
Tendances à suivre
Il y a tout de même des signes encourageants : le nombre de chômeurs de plus de 50 ans recule de 888 000 à 809 100 sur un an, soit une baisse de 8,9%. Les plus expérimentés se maintiennent plus facilement en poste avec le départ accéléré de leurs aînés.
Une tendance très favorable existe aussi chez les moins de 25 ans, avec une baisse de 9,8% du chômage sur un an dans cette classe d’âge. De plus, on peut noter une chute de 13,5 du nombre de chômeurs de longue durée… mais attention, il y a un « biais » ici : beaucoup de ces chômeurs au long cours étaient des seniors qui ont basculé vers la retraite. Ils n’ont donc pas retrouvé d’emploi, mais sont juste sortis des « actifs sans emploi ».
Nous avons gardé le meilleur pour la fin : 5 millions de CDI ont été signés (700 000 de plus qu’en 2021), ce qui démontre que les lois limitant le montant des indemnités en cas de licenciement contentieux ou abusif ont levé certains freins qui faisaient préférer les CDD.
La grande question pour 2023 reste la suivante : le « rattrapage » observé depuis les second semestre 2021 et tout long de 2022 (avec un soutien budgétaire et fiscal massif sous forme d’aide aux entreprises et de boucliers tarifaires) va-t-il se poursuivre cette année, alors que toutes les aides ont disparu tandis que les taux d’intérêt sont passés de négatifs à 300 points de base ?
Les marchés répondent oui, sans hésiter. Ils ne se fient qu’aux chiffres « bruts », ne tiennent aucunement compte des biais statistiques : ils prennent une tendance et la prolongent, sans se soucier si les conditions réelles le permettent.