La Chronique Agora

Le chômage, c’est la faute à l’austérité, et l’austérité, c’est la faute à l’Allemagne, non ?

▪ La tradition qui veut que les indices américains terminent la semaine et le mois au zénith a été démentie in extremis.

La lourdeur l’a emporté au cours des derniers échanges vendredi. Pas de cinquième hausse consécutive pour le S&P 500, qui gagne tout de même 1,75% sur la semaine écoulée — le Nasdaq engrange +2,2%.

Wall Street avait pris un départ médiocre… mais la tendance s’est améliorée à partir du milieu de la matinée. Un algorithme haussier s’est appliqué à tirer les indices américains vers les sommets.

Tout fonctionnait à merveille : les trois principaux indices de référence affichaient des scores positifs vers 21h40. Cependant, le dernier quart d’heure de la séance s’est soldé par une vague de dégagements de précaution, Wall Street s’avérant incapable de franchir ses plus hauts historiques.

Mince consolation avec le Dow Jones qui conservait un gain symbolique de 0,08%. Toutefois, le S&P lâchait 0,20% et le Nasdaq reculait de 0,33% dans le sillage d’Amazon (victime d’un trou d’air de -7%, la prudence étant de mise pour le deuxième trimestre)… Quant au Russell 2000, il reperdait 0,55%.

Ce scénario trahit l’absence de véritable relais acheteur. Les maigres volumes de transaction en témoignaient : 540 millions de titres échangés vendredi contre 560 millions en moyenne la semaine dernière.

▪ Les chiffres hors de cause
On ne peut pas blâmer les chiffres parus vendredi. Si le recul de la confiance du Michigan (à 76,4 contre 78,6) était anticipé, le PIB américain s’avérait en revanche inférieur aux prévisions : +2,5% contre un consensus médian de +3%.

Ce score un peu « en dedans » avait tout pour séduire les haussiers puisque la Fed ne saurait envisager de réduire ou suspendre son QE3 avant très longtemps (fin 2013 au minimum).

Le PIB du premier trimestre 2013 comportait également une bonne surprise : les dépenses des ménages américains auraient progressé de 3,2% au lieu de 2,8% attendus.

Paradoxalement, la demande intérieure est demeurée faible (+1,5%). Cela remet en cause le scénario d’une Amérique qui s’appuie résolument sur sa propre dynamique interne.

Les marchés n’ont en fait nul besoin d’une dynamique interne. Bien au contraire : une panne de croissance, une consommation moribonde, des chiffres du chômage à frémir d’horreur et la mécanique haussière tirent les indices vers les sommets avec la régularité d’un train à crémaillère dans les alpages helvétiques.

▪ L’Allemagne a mauvaise presse
Le record historique du nombre de sans-emplois en France inspire les marchés, ainsi que certains ténors politiques français.

Le chômage, c’est la faute à l’austérité, et l’austérité, c’est la faute à l’Allemagne.

Le raisonnement apparaît simpliste, presque insultant pour Angela Merkel… mais il reçoit l’onction de nombreux stratèges : oui, c’est bien l’Allemagne qui bloque toutes les initiatives en matière de relance par le biais de la monétisation des dettes depuis trois ans. Oui, c’est bien l’Allemagne qui tire profit d’un euro fort pendant que le commerce extérieur de ses partenaires européens est littéralement asphyxié.

Cela ne peut plus durer : l’Europe va droit dans le mur mais comme d’habitude, elle donnera le coup de volant qui sauve au tout dernier moment.

Au tout dernier moment, l’Allemagne fera ce que les marchés attendent. Elle cèdera juste ce qu’il faut de terrain pour éviter l’éclatement de l’Eurozone, et Mario Draghi en profitera pour pousser un peu plus ses pions… et mettre discrètement en route les rotatives de la BCE.

▪ Les marchés en pleine fiction
C’est grâce à ce genre d’anticipations que le CAC 40 et l’Euro-Stoxx 50 ont pu engranger mardi, mercredi et jeudi des gains fastueux (+4,33% et +4,2% respectivement), les plus spectaculaires de l’année.

L’euphorie suscitée par la conviction que la BCE allait « annoncer quelque chose » a cependant laissé la place au doute vendredi. En effet, l’Allemagne a prévenu qu’elle n’accepterait pas de changement de cap de la part de la BCE en matière de monétisation de la dette, tandis qu’une baisse de taux jugée quasi-certaine jeudi dernier est maintenant perçue comme une mesure purement symbolique et sans efficacité réelle sur l’économie.

En d’autres termes, le marché s’invente un futur idéal auquel les médias font semblant de croire. La réalité est encore moins glorieuse : c’est la phénoménale hausse des actions qui pense à la place des opérateurs.

« Si ça monte autant, c’est qu’il y a une explication rationnelle ; cela ne peut pas être que du vent, de la manipulation indicielle, des rêves de château en Espagne ».

Pourtant, les résultats éternellement « meilleurs que prévus » — y compris quand ce sont des pertes : on redoutait que ce soit pire — sont globalement en retrait par rapport au troisième trimestre 2012… c’est-à-dire avant que la Fed n’injecte quatre milliards de dollars par jour, auxquels la Bank of Japan rajoute désormais 1,5 milliards de dollars — et ce durant encore deux ans. Une nouvelle illustration du principe de « la queue qui remue le chien ».

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