La Chronique Agora

Des chocs pétroliers conjoncturels au choc pétrolier structurel (1/2)

pétrole, volatilité, stagflation

Depuis une quinzaine d’année, les prix du pétrole varient d’un extrême de prix à l’autre, parfois très rapidement. Si certains expliquent ces chocs par la seule géopolitique, d’autres facteurs entrent en jeu…

Lorsque l’on évoque les prix du pétrole, on a coutume de sur-médiatiser les hausses violentes. On le comprend puisque, généralement, pour les économies importatrices d’or noir, les conséquences d’une flambée des prix peuvent conduire au pire scénario, celui de la stagflation, c’est-à-dire un moment où l’inflation importée est forte et se conjugue à un ralentissement économique. Ralentissement provoqué par un prélèvement sur le pouvoir d’achat des ménages et par une baisse de la profitabilité des entreprises, qui ne peuvent pas répercuter la hausse des coûts énergétiques sur leurs prix de vente.

Mais il y a deux phénomènes qui sont bien plus préoccupants (ou en tout cas qui devraient l’être) qu’un choc conjoncturel poussant les prix du pétrole à la hausse.

Non seulement il y a le danger de la forte instabilité et variabilité des prix (à la hausse comme à la baisse), comme nous l’avons constaté ces dernières années, mais il y a aussi le fait que les chocs conjoncturels du passé et la forte volatilité des prix seront sans doute remplacés dans un avenir proche par un choc structurel de hausse irréversible des prix du pétrole.

Quand les prix du pétrole varient trop

Sans remonter trop loin dans le passé – et donc en ignorant les deux chocs de hausse des prix du pétrole en 1973 et 1979 et les contrechocs pétroliers de 1986 et 1998 – force est de constater que, depuis plus d’une dizaine d’années (sans doute sous l’effet de la surfinanciarisation des économies, alimentée par la liquidité des banques centrales qui a accentué la volatilité sur toutes les classes d’actifs négociées sur les marchés) et au-delà de la matière première physique, le pétrole est le sous-jacent de produits financiers dits « dérivés ». Il en découle que la variabilité des prix du pétrole, et surtout l’amplitude de ces variations, est impressionnante.

Le pétrole valait ainsi 40 $ le baril au plus bas en 2009. Puis il est monté jusqu’à 125 $, au plus haut, en 2011. Avant de redescendre à 48 $ par baril début 2015, et même 28 $ par baril au plus bas en 2016. Puis il remonta à 75 $ par baril début 2018.

En pleine crise du coronavirus, il rechuta autour de 20 $. On se souvient de ce contexte explosif il y a deux ans : la surproduction et des stocks considérables du côté de l’offre se sont combinés à un effondrement de la demande de tous les acteurs économiques, que ce soit les ménages qui ne conduisaient plus, les entreprises qui avaient arrêté d’importer de l’énergie, et même, parmi les Etats, la Chine par exemple qui avait quasiment « disparu ».

Puis, aujourd’hui, suite à l’invasion russe en Ukraine, le baril s’est installé au-dessus des 100 $ (avec un plus haut à 140 $ le 7 mars dernier).

Des déséquilibres qui s’accumulent

Quelles sont les raisons d’une telle variabilité (hors le choc géopolitique actuel) ?

La première explication est le cycle classique de l’investissement en exploration-production de pétrole. Comme l’analysait il y a déjà plusieurs années Patrick Artus, patron des études économiques de Natixis :

« Lorsque le prix du pétrole est élevé, l’investissement en Exploration-Production devient très élevé puisque les compagnies pétrolières (privées ou d’État) ont des profits très importants ; ceci génère un excès de capacité de production dès que la demande mondiale de pétrole recule. Symétriquement, lorsque le prix du pétrole recule, la réaction des compagnies pétrolières est de couper leurs investissements afin de préserver leur situation financière ; ceci conduit à une insuffisance de capacité de production de pétrole dès que la demande mondiale de pétrole augmente à nouveau. »

La seconde explication est liée au comportement des producteurs. Toujours selon Natixis :

« Lorsque la demande mondiale de pétrole est forte, les pays producteurs de pétrole sont incités à ne plus coopérer entre eux et à accroître leur production (ceci s’est produit en 2014-2015) ; mais quand la demande mondiale de pétrole est faible, les pays producteurs sont incités à coopérer et à couper leur production, ce qui s’est observé en 2003, 2017. »

Dans le premier cas, ces pays sont à l’origine d’un violent retournement des prix à la baisse. Et, dans le second cas, à l’origine d’un violent retournement des prix à la hausse.

Le « malheur », c’est que l’économie mondiale et les marchés financiers souffrent de cette variabilité trop forte des prix du pétrole, et tout autant d’un prix du pétrole trop bas que d’un prix du pétrole trop élevé.

En effet, quand les prix du pétrole remontent trop fortement, les anticipations d’inflation redeviennent fortes. Les marchés craignent la fin des politiques monétaires accommodantes, et donc la séquence de fin des rachats d’actifs – hausse des taux directeurs et baisse de la taille du bilan (quantitative tightening) – comme les politiques menées aujourd’hui.

Quel impact sur la Bourse ?

La difficulté, c’est que si, dans le même temps, le pétrole monte pour des raisons géopolitiques, les investisseurs se réfugieront sur les actifs obligataires.

Il a donc été toujours difficile de savoir qui l’emporterait, de la hausse du baril (facteur haussier pour les taux longs) ou du flight to quality (facteur baissier pour les taux longs).

Aujourd’hui, c’est très clairement le premier facteur qui l’emporte. En effet, la hausse de l’inflation (fût-elle importée par l’énergie ou les ruptures d’approvisionnement) l’emporte largement sur l’effet flight to quality, installant les marchés de taux dans une tendance fortement haussière sur les taux longs.

Difficile évidemment de « timer » le pic sur le niveau des taux longs de part et d’autre de l’Atlantique (niveau qui aura intégré l’intégralité du resserrement des politiques monétaires, et qui sera considéré comme insoutenable pour la solvabilité budgétaire des états).

Par contre, quand les prix du pétrole baissent fortement, ce n’est pas plus stabilisant. Les marchés peuvent vite paniquer, comme au premier trimestre 2016, dans un contexte d’aggravation de la conjoncture chinoise. Dans ce cas de figure, les anticipations qui se forment ne sont pas claires : excédents commerciaux chinois qui baissent, sorties de capitaux de plus en plus fortes et accélération de la baisse du yuan, donc baisse des réserves de change de la Banque de Chine, et risques de flux nets vendeurs de titres d’état US et Euro.

Ce phénomène peut être amplifié par le comportement des fonds souverains des pays exportateurs de pétrole, confrontés à une baisse de leurs recettes d’exportation, et donc à une moindre progression de leurs réserves de change.

Nous verrons demain pourquoi ce phénomène de forte variabilité est destiné à disparaître… remplacé par une hausse continue.

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