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Chine : la mort d’un rêve

Chine, récession, Covid

La réalité triomphe toujours sur les fantasmes. Les dirigeants chinois sont cependant persuadés qu’ils pourront améliorer la situation avec leurs nouvelles politiques.

La Chine se rouvre au monde. L’histoire de cette réouverture est le récit qui a le plus d’impact sur les marchés et sur le comportement des investisseurs en ce moment. Plus que n’importe quelle analyse de la Fed, que la perspective d’une récession, ou encore qu’une baisse des prix de l’énergie.

Bien sûr, le mot clé à retenir est le suivant : « récit ».

S’il s’agit d’une histoire puissante, cela ne signifie pas qu’elle est entièrement vraie. Si elle affecte le comportement des investisseurs, alors ces derniers doivent être attentifs, pour éviter de se faire écraser par l’optimisme du marché. Cela peut prendre du temps, mais lorsqu’un récit diverge de la réalité, la réalité l’emporte toujours.

Cela se vérifiera avec la Chine.

On ne peut pas enfermer les gens éternellement

Oui, la Chine a rouvert ses frontières avec le monde extérieur. Les touristes, les expatriés n’ayant pas pu voir leurs familles depuis longtemps, et les hommes d’affaires, affluent vers le pays après avoir été pratiquement exclus de celui-ci pendant plusieurs années. La Chine a mis fin à sa politique ratée du « zéro Covid ».

Cette politique consistait à multiplier les confinements, à tester les gens en masse (plusieurs fois par semaine pour la plupart), à mettre à l’arrêt les transports, et à mettre en place des camps de mise en quarantaine qui ressemblaient souvent à des camps de concentration. La Chine ne tolérait la propagation du virus sous aucun prétexte.

Ces politiques extrêmes ont certes pu retarder la propagation du virus dans certains endroits à certains moments, mais le virus finit toujours par se propager. Ces politiques ont néanmoins eu un coût économique énorme, et étaient socialement insoutenables. On ne peut pas enfermer les gens éternellement.

Cela a été démontré en novembre, lorsque des émeutes ont éclaté dans tout le pays. Les dirigeants chinois ont donc décidé de laisser le virus se propager dans le pays, et tentent désormais de faire redémarrer son économie.

Mais malgré l’enthousiasme de Wall Street quant à la réouverture de la Chine, cette nouvelle politique va échouer, quoi qu’il se passe.

Plusieurs raisons l’expliquent.

L’inconvénient du laisser faire

Tout d’abord, en raison des confinements sévères au sein du pays, de nombreux Chinois ne sont pas immunisés contre la maladie. Et ils y sont soudainement tous exposés en même temps.

Si on laisse le virus se propager au sein d’une population de 1,4 milliard d’habitants, avec un taux d’infection supposé de 30% (ce qui est probablement faible) et un taux de mortalité de 0,25% (chiffre qui est plus élevé au sein de certains groupes vulnérables), cela signifie qu’il pourrait y avoir 420 000 000 malades et plus d’un million de morts, au moins.

Dans le meilleur des cas, cela submergera le système de santé chinois et donnera lieu à une nouvelle vague d’agitation sociale. L’une des préoccupations actuelles est qu’un nouveau variant pourrait apparaître en raison de la forte densité de population et du volume de malades.

En d’autres termes, la Chine pourrait connaître une expérience différente et bien pire, si le virus mute pour devenir plus mortel ou plus contagieux.

Enfin, le point le plus important à retenir concernant l’économie chinoise est qu’elle est en train d’échouer, et ce avec ou sans la politique du zéro Covid. Les problèmes qu’elle traverse sont bien plus profonds que cela.

La Chine, dragon de papier

L’économie chinoise est en train de s’effondrer en raison d’un endettement excessif, de l’effondrement du secteur immobilier, du découplage avec les Etats-Unis, de l’arrêt des importations de haute technologie en Chine et d’un effondrement démographique pire que la peste noire.

Ne vous laissez donc pas avoir : la décision de laisser le virus se propager dans la population ne mettra pas fin au malaise économique de la Chine.

L’économie chinoise est peut-être déjà en récession, ce qui a provoqué un choc pour la deuxième économie mondiale et l’« usine du monde ».

Le récit autour du rally de réouverture de la Chine peut se poursuivre pendant un certain temps, malgré ces faiblesses fondamentales. Mais, en fin de compte, la réalité d’une économie faible et d’une récession mondiale aura raison d’elle. N’attendez pas de croissance économique pour la Chine en 2023.

Prenons maintenant un peu de recul, et comparons la situation actuelle de la Chine avec l’optimisme généralisé de ces dernières décennies.

La mort d’un rêve

Depuis le milieu des années 1990, les sociaux-libéraux et de nombreux conservateurs partisans de l’économie de marché ont maintenu l’idée que les violations des droits de l’homme en Chine devaient être ignorées, parce que l’économie chinoise évoluait dans le sens du capitalisme de type américain.

L’opinion était que les Chinois avaient simplement « besoin de temps » pour rattraper leur retard, mais que tôt ou tard, ils seraient « comme nous ». Ce point de vue était renforcé par le fait que de nombreuses élites chinoises fréquentaient des universités américaines telles que Stanford, MIT et Harvard, où elles côtoyaient leurs homologues américains avant d’obtenir des emplois chez McKinsey ou Goldman Sachs. Une fois rentrés en Chine, ils pourraient orienter leurs collègues « moins instruits » vers la vision néo-keynésienne adoptée par leurs camarades occidentaux.

J’ai toujours pensé que ce point de vue était absurde. Il est vrai que les étudiants chinois se sont massivement dirigés vers les meilleures écoles américaines pour bénéficier des formations les plus techniques et modernes. Il est également vrai que la Chine a adopté de nombreux mécanismes de marché afin de faire croître son économie et de constituer des réserves de devises fortes. Pourtant, la ressemblance s’arrête là.

Les Chinois ont toujours été de loyaux communistes, et ils n’ont fait qu’acquérir des outils intellectuels occidentaux pour pouvoir nous battre à notre propre jeu. La théorie du « tout comme nous » était fabriquée de toutes pièces.

Qui est vraiment le patron en Chine

Par exemple, Jack Ma est l’un des entrepreneurs les plus prospères de l’histoire. Ma a effectivement incarné le capitaliste occidental espéré par l’élite sociale-libérale. Il a fondé le groupe Alibaba, un géant chinois du commerce électronique (similaire à Amazon) et possède une partie du groupe Ant, une filiale financière d’Alibaba.

Ant gère un système de paiement appelé Alipay, qui est l’une des applications de paiement les plus importantes au monde avec plus d’un milliard d’utilisateurs. Il y a environ deux ans, le groupe Ant prévoyait une introduction en Bourse de 37 Mds$, ce qui en aurait fait l’IPO la plus importante au monde à l’époque.

Mais au lieu de cela, Ma a été placé en résidence surveillée par des responsables du Parti communiste, l’introduction en Bourse a été annulée, et Ma a été contraint d’abandonner la direction de Ant. Ant doit aujourd’hui payer une amende d’un milliard de dollars pour diverses violations de la réglementation chinoise. Le problème ? Il ne s’agit pas simplement d’un autre cas de malversation au sein d’une entreprise… En fait, il n’y a aucune preuve qu’Alibaba et Ant aient fait quoi que ce soit de mal.

Le Parti communiste chinois (PCC) montre aux entrepreneurs qui est vraiment le patron. Mais le fait que ce comportement ait un coût économique n’est pas pertinent.

Rien n’est plus important dans l’esprit des dirigeants du PCC que la suprématie du parti et l’élimination de la concurrence idéologique, financière ou technologique.

La Chine ne s’intéresse pas au fait que certaines entreprises chinoises atteignent des valorisations de plusieurs milliards de dollars ou utilisent des techniques commerciales occidentales pour vendre à une très grande échelle. Ce qui la dérange, c’est que le capital privé commence à rivaliser avec le PCC en termes de pouvoir et d’influence. Dès que cela se produit, le marteau tombe et le PCC prend le dessus.

En Chine, l’idéologie communiste passe toujours en premier. Et les fantasmes de voir la Chine s’ouvrir pour ressembler davantage aux États-Unis sont morts.

Malheureusement, avec les niveaux croissants de censure et d’autres formes de contrôle social qui émergent aux États-Unis, nous ressemblons de plus en plus à la Chine.

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