Le sommet du Forum économique mondial de Tianjin fait la promotion des MNBC. A quand l’arrivée de ces monnaies numériques en Europe ?
Le Forum économique mondial (abrégé en WEF en anglais) se sent presque partout chez lui : à la Maison Blanche, l’Elysée, Matignon (plusieurs de nos ministres y ont participé ou en sont membres), Ottawa (Justin Trudeau et la vice-Premier-Ministre du Canada en sont membres), en Nouvelle-Zélande (Chris Hipkins, le nouveau Premier ministre, en est membre également) comme en Hollande (Mark Rutte, qui veut en finir avec le modèle productiviste et « polluant » des éleveurs locaux), à la BCE qui constitue une véritable chambre d’écho du WEF… mais également en Chine, où le meilleur accueil a été réservé à Klaus Schwab par le Premier ministre Li Qiang, avec de longues réunions de travail et poignées de mains chaleureuses devant le gratin des invités du Forum.
Car c’est à Tianjin que s’est tenue fin juin l’édition estivale du Forum économique mondial des « jeunes champions » (désormais la seconde réunion annuelle de Klaus Schwab, après celle de Davos), sous l’œil des centaines d’agences de presse et surtout des centaines de milliers de caméras implantées dans cette ville.
Surveillance permanente
Pékin en a fait installer une pour deux Chinois dans le pays. Elles sont partout, pas un angle mort dans les rues des villes, pas un hall d’immeuble ni une arrière-cour où se glisser sans être reconnu, pas un seul magasin où la liste vos achats ne soit immédiatement disséquée par les ordinateurs du Parti avant même d’être passé à la caisse (où la surveillance de votre carte de crédit prend le relai, car plus personne ne paye en liquide) !
La Chine – c’est une évidence dès que l’on sort de l’avion dans n’importe quel aéroport de l’empire du Milieu – n’est pas un modèle de démocratie. Jugement que partagent beaucoup de participants au rassemblement estival du WEF. Mais combien d’invités de Klaus Schwab ont renoncé à leur déplacement à Tianjin ?
Ils sont certainement moins nombreux que ceux qui doutent que la démocratie constitue un système d’organisation politique et social efficient : la Chine a démontré que son modèle est économiquement bien plus efficace, puisque tous ses concurrents occidentaux « démocratiques » sont en déclin.
Et, soyons réalistes, combien de pays sont-ils vraiment assez mûrs pour fonctionner comme une démocratie ?
Cela suppose une population éduquée, des dirigeants compétents et intègres, prêts à solliciter l’avis éclairé de leurs administrés, et à remettre leur mandat en jeu lorsque leur manière de gérer les affaires ne fait plus consensus.
Parmi les critères cruciaux qui permettent de distinguer au premier coup d’œil une démocratie d’un régime illibéral ou d’une dictature, il y a la liberté de circuler, la liberté de la presse, la liberté d’entreprendre (sans verser des pots de vins et des bakchich), la liberté de s’associer – y compris pour critiquer le pouvoir –, puis la liberté de disposer de son argent comme bon nous semble.
Des restrictions plébiscitées
Aucune de ces libertés n’existe pleinement en Chine : ce sont des libertés au minimum encadrées et le plus souvent restreintes… mais la liberté de dépenser – une des dernières qui subsistait encore lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008 – témoigne d’un sort un peu particulier : les consommateurs chinois y ont progressivement renoncé d’eux-mêmes, dans une quasi allégresse.
Ils ont adopté l’usage du paiement numérique dès les années 2010, et, désormais, plus de deux tiers des commandes sur internet se font par smartphone ou tablette, un tiers via un ordinateur.
Chaque téléphone portable doit être équipé d’un logiciel espion (qualifié « d’assistant ») qui permet de connaître le contenu du moindre SMS et la nature de chaque dépense réalisée sans cash via une application de paiement sans contact ou à distance.
Pire encore, une sonnerie spéciale retentit sur votre smartphone quand une personne punie d’un faible « crédit social » cherche à vous joindre, vous avertissant que toute forme d’assistance lui permettant de contourner les sanctions qui lui sont imposées abaissera votre propre crédit social.
Une aide pécuniaire (virement bancaire), l’achat d’un billet de train ou d’avion pour le compte d’un tiers est particulièrement prohibé.
Grâce à la disparition du cash et les paiements par applications, le gouvernement chinois pourrait savoir à tout moment combien de Chinois achètent de la bière, du cognac ou du thé, ce qu’ils ont consommé dans le train où l’avion, quelle série ou quel film ils ont regardé durant le voyage.
Mais les Chinois se moquent de cet environnement intrusif : ils ont adopté la monnaie « full numérique » d’eux-mêmes, plébiscitant le côté tellement pratique du code QR à scanner en une seconde, sans même que les autorités aient eu recours à la contrainte ou aux interdits.
Le passage à la monnaie numérique de banque centrale (la PBOC a déjà mené des tests grandeur nature dans certaines localités chinoises, lesquels seraient « plébiscités par les usagers ») pourrait s’implémenter avec fluidité, la MNBC se superposant aux comptes bancaires classiques, ce qui achèverait la dématérialisation complète des moyens de paiement et de l’épargne.
En version européenne
Et devinez quoi, après que les libertés essentielles aient été gravement compromises ou violées sans vergogne en occident durant la crise sanitaire de mars 2020 à mars 2022, la monnaie numérique dite de banque centrale (ou MNBC) se retrouve au cœur des débats à Tianjin, une ville où le cash – comme l’anonymat qu’il procure – a quasiment disparu et où le crédit social conditionne ce que chacun peut acheter ou non.
Le choix du lieu du sommet estival du WEF ne doit évidemment rien au hasard. La MNBC s’annonce comme la clé de voûte d’un système de surveillance et d’ingénierie sociale qui s’insinue dans le moindre de nos actes du quotidien.
Au bout du bout, le grand dessein du WEF consiste à importer en Europe le crédit social à la chinoise.
Le Graal étant que toutes les données soient reliées à une identité numérique. Il serait alors extrêmement facile de construire un profilage de chaque individu grâce à ses historiques d’achat, de navigation internet, de messageries, de déplacement, de fréquentation (qui se réunit avec qui, dans quel lieu, sur quoi portent les conversations, etc.).
L’alliance du crédit social et de la MNBC en Europe signifierait l’avènement d’une prison à ciel ouvert. Toute personne s’obstinant à ne pas rentrer dans le moule se verrait couper les vivres (gel des avoirs bancaires, amendes pour chaque « infraction » directement prélevées sur les comptes constitués de MNBC), jusqu’à la soumission totale.
Bien sûr, une telle dystopie ne saurait se produire en Europe, terre de liberté et de « raison »… où il fut cependant interdit de boire un café debout, de rester statique sur une plage battue par les vents, d’accéder au rayon jouet d’un supermarché, etc.
Christine Lagarde assure qu’une MNBC émise par la BCE ne serait qu’un simple appoint, ne constituerait qu’une fraction de l’épargne des ménages (100% sécurisée : aucun risque de « défaut » de l’émetteur) et ne serait pas associée à une limitation d’usage particulière.
En revanche, elle reconnaît que les banques privées auront toute latitude de programmer la MNBC comme bon leur semble dans le cadre de leurs « conditions générales et règles s’appliquant à la clientèle ».
Là où ça ne fonctionne plus
Le législateur qui a laissé passer toutes les absurdités liberticides dans le cadre de la stratégie « choc et effroi » appliquée par le gouvernement tout au long de la crise du Covid serait-il cette fois-ci plus vigilant sur le risque d’instauration d’une société orwellienne à la chinoise ?
Une société où seuls les citoyens dociles sont autorisés à grimper dans l’échelle sociale tandis que les autres se voient interdire de quitter le pays, de voyager en train pour visiter leur famille, de fréquenter les bonnes écoles, de trouver un logement, d’aller au restaurant ou en disco, d’accéder aux parcs de loisirs avec leurs enfants, d’emprunter de l’argent… et de le dépenser comme bon leur semble.
Un modèle dystopique auquel le WEF semble pourtant adhérer sans réserve dans son édition estivale 2023.
Une note d’espoir tout de même : la tentative de remplacer le cash « de force » par une MNBC via sa suppression physique et la criminalisation de son usage a été un fiasco total au Nigeria.
Après deux années de transition sous la contrainte vers un « tout numérique », les Nigérians ont compris pour la plupart que la monnaie sonnante et trébuchante est indissociable de la liberté individuelle et collective. La cash est redevenu d’un usage courant dans le pays le plus peuplé d’Afrique.