▪ Qu’on le veuille ou non, le monde tourne. Les hégémonies d’aujourd’hui seront les perdants de demain. Les devises de réserves d’aujourd’hui serviront de papier peint demain. Le coq dans la basse-cour d’aujourd’hui fera le dîner de demain.
Eh, ce n’est pas nous qui avons créé ce système. Nous ne l’aimons même pas particulièrement. Mais c’est ainsi.
Les gouvernements ont été mis en place pour prendre le contrôle. Les élites régnantes — par la force des armes — ont établi des lois, des protocoles et des armées pour tenter d’empêcher qui que ce soit de prendre leur place. Leur richesse, leur pouvoir et leur statut devaient être préservés — à tout prix.
Et lorsqu’ils n’ont plus pu rester au pouvoir simplement par la force, les gouvernements ont dû recourir à la fraude. On a permis aux citoyens ordinaires de "voter" pour décider qui les dirigerait. On leur a aussi promis le fruit du travail des autres… s’ils votaient correctement.
Pendant un temps, il a semblé que ce nouveau modèle — des démocraties sociales gérées par des politiciens et des fonctionnaires — avait battu tous ses rivaux. L’Union soviétique — qui se fiait plus à la force brute, à l’ancienne, pour gérer son économie esclavagiste — a capitulé en 1989. La Chine avait jeté l’éponge plus ou moins 10 ans plus tôt, lorsque Deng Xiaoping avant annoncé que "s’enrichir est glorieux". Et Francis Fukuyama, en pleine hallucination, s’était demandé si "la fin de l’Histoire" était arrivée.
▪ Le piège de Thucydide
Si c’était bien le cas, le dollar, la Fed et les finances américaines n’auraient aucun motif d’inquiétude. Mais entre l’Histoire et le billet vert, si nous devions parier, nous mettrions notre argent sur l’Histoire. Il y a plus de chances que l’Histoire continue son petit bonhomme de chemin tandis que le renminbi remplacera le dollar en tant que principale devise mondiale avant que le 21ème siècle prenne fin.
Comment est-ce que cela se produira exactement ? Bien entendu, personne ne le sait… mais peu d’élites impériales abandonnent leur "pole position" sans combattre. A mesure qu’elles voient leur puissance, leur statut et leur richesse remis en question, elles trouvent généralement un casus belli, espérant écraser le nouveau venu avant qu’il ne soit trop tard.
Ce phénomène est connu par les historiens sous le nom de "piège de Thucydide". Graham Allison nous en dit plus : "lorsqu’une puissance en ascension rapide rivalise avec une puissance régnante établie, les problèmes ne tardent pas. Lors de 11 cas sur les 15 qui se sont produits au cours des 500 dernières années, une guerre a eu lieu. Le grand historien grec Thucydide a identifié ces pressions structurelles comme la cause principale de la guerre entre Athènes et Sparte dans la Grèce antique. Selon sa citation connue, ‘c’est l’ascension d’Athènes et la crainte qu’elle inspirait à Sparte qui ont rendu la guerre inévitable’."
Notez que Thucydide a identifié deux facteurs : l’ascension et la crainte.
La Chine est en hausse. L’élite au pouvoir aux Etats-Unis craint cette ascension. Avec raison. Détenir la devise de réserve mondiale est un "privilège exorbitant", comme l’a décrit Charles de Gaulle. Il permet aux Américains d’acheter des choses à l’étranger sans vraiment les payer. Au lieu de ça, ils envoient des morceaux de papier. Ce papier est ensuite détenu dans les coffres étrangers comme "réserves". Et/ou reprêté aux Etats-Unis.
D’un point de vue économique, le système (établi par Richard Nixon en 1971) est insensé. Les Chinois font semblant d’avoir de bons clients. Les Américains font semblant d’être solvables. Et tout le monde fait semblant de s’enrichir… en se basant sur la promesse que les comptes seront soldés à un moment ou à un autre dans l’avenir.
En pratique, personne ne veut que ce moment arrive. Parce que tout le monde sait qu’il y a bien plus d’obligations sur la future production que cette dernière peut en satisfaire. Entre 1971 et aujourd’hui, les Etats-Unis ont fait entrer l’équivalent de 10 000 milliards de dollars de biens supplémentaires de plus qu’ils n’en ont expédié vers l’étrangers. Cet argent est une obligation sur la richesse existante des Etats-Unis, et sur leur future production. Il y a également (avec quelques recoupements) environ 17 000 milliards de dollars de dette gouvernementale US… là aussi adossée à la production américaine à venir. Et ce n’est qu’une partie de la dette totale des marchés du crédit, à 55 000 milliards de dollars (sans parler du passif non-provisionné des autorités).
Pour rembourser ces sommes, les Etats-Unis devraient engranger un surplus. Quand ? Comment ? Au lieu d’avoir un surplus, ils ont des déficits. Le déficit fédéral, par exemple, devrait atteindre les 744 milliards de dollars cette année. Quant au déficit commercial, il est aux environs des 500 milliards de dollars. On est loin du surplus, dans les deux cas.
▪ L’importance de l’armée…
Au lieu de se diriger vers un dénouement, tous les grands gouvernements semblent vouloir empirer la situation. Les Etats-Unis poussent leurs citoyens à acheter plus de biens fabriqués en Chine. La Chine pousse ses fabricants à faire plus de choses pour des gens qui ne peuvent pas vraiment se les permettre. Tous sont en route vers les ennuis.
Les Américains sont accros à la dépense. Ils consomment leur richesse… et plus. La Chine est accro à la production. A mesure qu’elle ajoute des compétences et des capacités productives, elle devient de plus en plus compétitive. Non seulement elle peut produire plus de biens de consommation à des prix plus bas, mais elle peut aussi produire le dernier cri en matière d’équipement militaire.
Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle fasse bon usage de ces équipements. C’est du moins ce que suggère l’histoire.
Et s’il y a un conflit militaire, comment se terminera-t-il ? Les Etats-Unis dépensent trois fois plus que les Chinois pour la "défense". Avantage : Pentagone. Mais comme les Perses l’ont découvert lors de leurs guerres contre les Grecs, avoir l’armée la plus grande et la mieux financée ne vous donne pas nécessairement une longueur d’avance. Cela invite plutôt à la paresse, à la complaisance et à une ambition démesurée.
L’armée américaine est probablement la bureaucratie la plus grasse et la plus infestée de zombies du monde entier. Elle souffre d’une surabondance de ressources. Elle soutient des troupes (au coût d’un million de dollars par soldat et par an) dans le monde entier. Elle construit des systèmes d’armement qui sont probablement obsolètes avant même d’être mis en service. Elle chouchoute des bataillons de lobbyistes, de sous-traitants, de consultants, de retraités, de parasites et de tire-au-flanc. Comme toutes les bureaucraties, elle veille avant tout à ses propres intérêts. La sécurité du pays vient loin derrière.
Ses onze porte-avions gigantesques, par exemple, sont peut-être de merveilleux moyens de générer des contrats, des honoraires et des frais. Ils sont peut-être aussi une excellente manière de permettre aux Etats-Unis d’aller jouer les gros bras dans des conflits à deux sous autour du globe. Mais opposez-les à un ennemi moderne, doté d’une électronique sophistiquée : que se passera-t-il alors ? Nous le saurons probablement bien assez tôt…