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La Chine doit faire éclater sa bulle immobilière (2/2)

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Les autorités chinoises ont changé les règles et causé une bulle immobilière, puis sont intervenues à nouveau pour la restreindre. Aller plus loin, jusqu’à l’éclatement de la bulle, pourrait être un mal pour un bien.

Nous l’avons vu hier, le marché de l’immobilier chinois représente une part considérable de l’économie du pays (30%, en comptant les activités de construction), mais il fait face à une tension énorme.

La bulle du secteur, gonflée aux prêts hypothécaires et à la construction, a permis d’un côté à ce que 90% des ménages chinois possèdent leur logement, tandis que, de l’autre, un cinquième des logements existants sont vacants. Une situation d’autant plus paradoxale que la démographie chinoise pointe vers une réduction de la population dans un avenir proche, pas une augmentation.

Au sein de ce marché immobilier colossal, tous les acteurs ne sont pas dans la même situation, cela dit. L’un d’entre eux, Evergrande, a fait les gros titres depuis l’an dernier à cause de sa taille, et du risque de son effondrement.

D’où viennent des difficultés rencontrées par Evergrande ?

Le krach boursier de 2015, qui a également impacté par ricochet les secteurs financier et immobilier, a poussé le gouvernement à prendre des mesures pour réduire le niveau d’effet de levier et les risques pris par les investisseurs sur le marché immobilier.

Au mois de décembre 2016, le président Xi Jinping a déclaré que les logements étaient faits pour « y vivre, pas pour spéculer ».

Pékin a donc imposé des conditions d’octroi plus strictes concernant les prêts hypothécaires ainsi que des restrictions sur la possession de plusieurs logements afin de limiter la distribution de nouveaux crédits immobiliers, l’explosion des prix du logement et l’excès de constructions.

En 2019, le Parti communiste a même déclaré que l’immobilier ne devait pas être un outil de relance économique à court terme, et la Chine a évité un nouveau plan de relance démesuré pendant la pandémie.

Des règles en plus

L’année dernière, le gouvernement a encore davantage intensifié sa lutte contre l’utilisation d’effets de levier excessifs dans le secteur immobilier. Les régulateurs ont instauré un plafond sur la part de prêts immobiliers que les banques peuvent détenir et ont également imposé aux grands promoteurs immobiliers « trois lignes rouges » à ne pas franchir, limitant leur niveau d’endettement par rapport à leurs actifs, à leurs fonds propres et à leurs liquidités.

Ces nouvelles règles sont venues compléter les mesures existantes visant à limiter le développement des modes de financement alternatifs au système bancaire traditionnel et des opérations d’émission d’obligations extraterritoriales. Les taux des prêts hypothécaires ont été révisés à la hausse et les règles relatives à la vente de terrains aux enchères ont été renforcées, ainsi que des centaines d’autres réglementations encadrant le marché immobilier.

En outre, la Chine a annoncé un programme quinquennal visant à tester l’introduction d’une nouvelle taxe foncière, ce qui a pesé sur la demande et les prix des logements.

Le resserrement du crédit a contraint les promoteurs à réduire leurs investissements dans de nouveaux projets et à baisser leurs prix, dans le but d’écouler leurs stocks de biens invendus. Les liquidités dont disposent les promoteurs ont ainsi fortement diminué dans le contexte d’une chute des mises en chantier, de la multiplication des projets inachevés et de la baisse des ventes de logements neufs.

La recette d’un désastre

Des signes de tensions financières sont apparues rapidement et non seulement Evergrande, mais également d’autres grands promoteurs tels que Kaisa et Shimao, ainsi que des acteurs plus petits comme Fantasia, Modern Land et Sinic Holdings, ont fait défaut sur plusieurs de leurs échéances de dettes obligataires.

La demande de logements a dès lors lourdement chuté, les investisseurs anticipant une poursuite de la baisse des prix et étant réticents à acquérir des biens en cours de construction auprès de promoteurs en difficulté.

Dans le même temps, les prêts immobiliers non performants [NDLR : prêts dont les échéances de remboursement ne sont plus payées par le débiteur] se sont multipliés, réduisant l’appétit des banques pour les prêts hypothécaires et exacerbant ainsi la pénurie de crédits immobiliers.

Cela ressemble à la recette parfaite pour un désastre assuré : le resserrement initial du crédit a déstabilisé le secteur de la construction et l’économie réelle, ce qui a provoqué une aggravation des tensions financières existantes. Selon un rapport de l’agence de notation S&P, environ un tiers des promoteurs immobiliers pourraient connaître des difficultés financières et faire faillite à terme.

Mais, avant de conclure hâtivement que la bulle immobilière chinoise pourrait finir par s’effondrer, il faut garder à l’esprit que les turbulences actuelles ont été déclenchées par les actions délibérées du gouvernement dans le cadre d’un plan à plus long terme visant à assainir le secteur immobilier.

La Chine pourrait-elle stopper une crise financière déclenchée par un éclatement de la bulle immobilière ?

Il est possible que les mesures prises par le gouvernement chinois soient trop tardives et qu’elles conduisent involontairement à un effondrement désordonné de la bulle. Cependant, les autorités ont encore quelques cartes à jouer.

La banque centrale a déjà commencé à assouplir légèrement sa politique monétaire et à abaisser ses taux d’intérêt, encourageant ainsi les banques à prêter davantage. Si nécessaire, elle pourrait également assouplir les restrictions imposées sur la distribution de prêts bancaires aux promoteurs immobiliers, ainsi que sur les prêts hypothécaires aux ménages.

Si le besoin s’en fait sentir, les autorités de régulation pourraient même assouplir les conditions de financement des sociétés de promotion immobilière en reportant la date d’entrée en application des « trois lignes rouges ». Bien qu’ils soient eux-mêmes à court de liquidités, certains gouvernements locaux sont déjà intervenus pour financer l’achèvement des projets qui étaient développés par Evergrande et payer ses sous-traitants.

Dans le scénario extrême où le désendettement forcé des sociétés de promotion immobilière enclencherait un cercle vicieux incontrôlé, entraînant une correction massive des prix et un effondrement de l’activité dans le secteur immobilier, la Chine pourra toujours faire ce que d’autres pays ont déjà fait afin de retarder les conséquences inévitables de l’explosion de la bulle immobilière.

Elle peut par exemple racheter les emprunts immobiliers non performants détenus par les banques via une société ad hoc de gestion d’actifs (SGA) à un prix inférieur à leur valeur bilancielle brute, puis recapitaliser les banques.

L’exemple espagnol

Le coût budgétaire d’une telle opération ne serait pas nécessairement faramineux grâce à la « magie » du système bancaire moderne, dans lequel les fonds propres requis ne représentent qu’une petite fraction du total des actifs bancaires (environ 6% en Europe), et grâce à la garantie de l’Etat sur la dette émise par la SGA.

Par exemple, avec une dette publique et privée totale de 360% du PIB et un encours de prêts immobiliers supérieur à 40% du PIB, la situation d’endettement l’Espagne était légèrement pire que celle de la Chine aujourd’hui, lorsque sa bulle immobilière a éclaté en 2009.

Mais, au final, le coût budgétaire du transfert des créances douteuses qui étaient détenues par les banques espagnoles (les prêts hypothécaires et les prêts qu’elles avaient accordés aux promoteurs immobiliers) à la société publique de gestion d’actifs (nommée la SAREB) et de la recapitalisation des banques a été de l’ordre de 5 à 10% du PIB, ce qui reste raisonnable.

Avec une dette publique d’environ 45% du PIB en 2021 (95% du PIB si on intègre les obligations hors bilan, d’après le FMI), la Chine pourrait (pour le moment) se permettre de réaliser un effort budgétaire similaire.

La Chine détient également de vastes réserves de change à hauteur d’environ 3 400 Mds$ (soit 25% de son PIB), d’après les données actualisées fin 2020, et bénéficie d’un taux d’épargne beaucoup plus élevé que celui de l’Espagne. En outre, la Chine peut toujours gagner du temps en encourageant un mouvement de consolidation des entreprises dans le secteur immobilier et en demandant à certaines de ses grandes entreprises publiques d’acquérir les actifs toxiques des promoteurs en difficulté, diluant ainsi le coût d’une crise potentielle.

C’est ce qui semble déjà se produire dans le cadre du processus de restructuration d’Evergrande, depuis que le promoteur a fait défaut sur sa dette au mois décembre.

Quel impact sur la croissance économique ?

La forte baisse de l’activité dans le secteur immobilier et de la construction a déjà eu pour conséquence de réduire la croissance annuelle du PIB réel en Chine à 4,9% au troisième trimestre et à 4% au quatrième trimestre 2021, soit les taux les plus faibles enregistrés depuis dix-huit mois.

Il est évident que le refroidissement du marché immobilier ne peut se dérouler sans entrainer une baisse temporaire du taux de croissance, le temps que les facteurs de production soient réaffectés à des usages plus productifs. C’est le prix que la Chine va inévitablement devoir accepter de payer dans un premier temps afin de mettre fin au surinvestissement et au gaspillage des ressources dans le secteur immobilier.

Une fois que la bulle immobilière aura explosé, la croissance économique pourra reprendre relativement rapidement et sur des bases plus saines, comme ce fut le cas en Espagne et en Irlande.

Si elle parvient à réduire la taille de son secteur immobilier hypertrophié, la Chine pourrait disposer de ressources beaucoup plus importantes pour investir dans la R&D, les technologies de l’information et de la communication, l’intelligence artificielle ainsi que d’autres secteurs de haute technologie dans lesquels elle souhaite devenir leader mondial.

Les conséquences économiques négatives à court terme du désendettement du secteur immobilier ne devraient ainsi pas empêcher la Chine d’aller de l’avant.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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