La Chronique Agora

Des chiffres qui font froid dans le dos

Les SPAC ont toujours été une bizarrerie en matière d’investissement… et ont toujours été vouées à l’échec. Mais le SPAC qui a acheté le TMTG de Trump était particulièrement étrange.

« Il est impossible de prétendre que la valeur des actions a une quelconque relation avec son activité sous-jacente. A ce stade, avoir des actions TMTG revient à faire un don à Donald Trump. » – Dan Primack

Vous avons-nous déjà parlé de la fois où nous avons été victimes d’un SPAC ? Peut-être pas.

Il y a quelques années, alors que les SPAC étaient en plein essor, nous avons vendu une entreprise à l’une d’entre elles. Ce fut un désastre. Nous avons dépensé une fortune en honoraires d’avocats, en commissions et en primes de performance… et nous nous sommes retrouvés avec peu de résultats.

Ce qui me fait penser à tout cela, c’est la dernière nouvelle selon laquelle Donald Trump a vécu sa propre expérience, totalement différente, avec un SPAC. C’est ce que rapporte le Financial Times :

« Le groupe Trump Media and Technology a été introduit en Bourse la semaine dernière dans le cadre d’une fusion avec une société sans activité opérationnelle, ce qui a augmenté la richesse de l’ancien président américain de plusieurs milliards de dollars. Après la chute du cours de l’action hier, la participation de M. Trump dans TMTG vaut désormais environ 4 milliards de dollars, tandis qu’un petit groupe de financiers et de fonds spéculatifs peu connus qui ont contribué à l’introduction en bourse de la société détiennent des participations d’une valeur supérieure à 100 millions de dollars… »

Pour la faire court, dans notre cas, le « petit groupe de financiers […] qui a aidé à faire entrer la société en Bourse » a gagné beaucoup d’argent. Les véritables propriétaires, exploitants et fondateurs de l’entreprise – dont nous faisions partie – n’ont eu que des ennuis.

Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous n’avons jamais pensé que cette introduction en Bourse était une bonne idée – pas pour une entreprise qui se situait en dehors du courant médiatique dominant, et qui dépendait d’idées et d’opinions contradictoires. Nous pensions également que les SPAC étaient une escroquerie, pour des raisons que nous allons expliquer. Mais surtout, nous ne faisions pas attention… nous comptions sur nos financiers et nos avocats pour veiller sur nous. Grosse erreur !

Une bonne affaire, ou pas

Les sociétés d’acquisition à vocation spécifique (SPAC) sont une création étrange et pernicieuse. Dès le départ, il était évident qu’il s’agissait à la fois d’une fraude et d’une bulle spéculative. Elles ont reçu de l’argent d’investisseurs publics en tant qu’entreprises publiques, alors qu’elles n’avaient aucune activité, aucun produit, aucun bénéfice, aucune vente, et rien du tout qui aurait pu faire d’elles des entreprises prospères. L’idée était de prendre l’argent collecté et d’acheter une véritable société avec la somme.

L’ennui, c’est que les membres des SPAC n’ont aucun moyen de distinguer une bonne entreprise d’une mauvaise… aucune raison de s’en préoccuper (ils peuvent être payés dans les deux cas), et aucune raison de ne pas conclure une affaire, même si elle est mauvaise. C’est la caractéristique la plus insidieuse de toutes.

Les organisateurs s’attribuent une partie de l’entreprise qu’ils achètent. Mais ils ne l’obtiennent que s’ils concluent une affaire dans les deux ans. S’ils ne concluent pas d’accord, ils doivent rendre l’argent aux investisseurs, en payant eux-mêmes les frais d’avocats, de comptables et de financiers. Il devient donc plus important de conclure une affaire – n’importe quelle affaire – que de faire une bonne affaire.

Il s’est avéré que la nôtre était en fait une bonne affaire pour le SPAC. Notre société était rentable… avec des ventes environ 60 fois supérieures à celles de TMTG ; elle était en croissance et bénéficiait d’une bonne gestion.

Mais le moment avait été mal choisi. L’opération a été conclue au moment où les marchés financiers se déchaînaient. Les financiers ont paniqué et ont laissé tomber. Rien ne s’est passé comme prévu.

C’était une occasion d’apprendre !

Et nous avons le sentiment que les investisseurs de TMTG sont sur le point d’apprendre une dure leçon, eux aussi.

Nous nous sommes prononcés sur TMTG lors de sa création. Ses dirigeants étaient des amis de Trump, ayant peu de connaissances ou de compétences réelles susceptibles d’assurer le succès de l’entreprise. Nous pensions qu’investir dans cette société serait une erreur.

Et nous nous sommes trompés ! L’entreprise a récemment atteint une valeur de 14 milliards de dollars. Sur le papier, les investisseurs initiaux du SPAC ont réalisé un bénéfice de 500%, ce qui prouve que les chiffres des marchés financiers peuvent être aussi étranges que ceux du Bureau des statistiques du travail.

Destiné à l’échec

Les SPAC ont toujours été une bizarrerie en matière d’investissement… et ont toujours été vouées à l’échec. Mais le SPAC qui a acheté la société TMTG de Trump était particulièrement étrange. Il a été créée, non pas pour trouver une bonne entreprise à acheter,  mais pour acheter une mauvaise entreprise, TMTG.

En d’autres termes, Donald Trump et ses amis ont pu contrôler les deux côtés de la transaction. Ils étaient à la fois vendeurs et acheteurs et ils ont levé des fonds pour acheter une société perdante. Quelle était la probabilité que les investisseurs en sortent gagnants ? Et pourtant, chose encore plus étrange, les investisseurs peuvent encore faire des bénéfices… tant qu’ils n’attendent pas trop longtemps pour vendre.

L’année dernière, TMTG a réalisé un chiffre d’affaires total inférieur à 4 millions de dollars. Lorsque la société a été présentée lors de la création, elle avait été présentée comme un rival des plus grosses entreprises technologiques. Mais au cours du dernier trimestre, ses ventes ont en fait baissé. Et l’année dernière, elle a perdu de l’argent… comme on pouvait s’y attendre. Charlie Bilello rapporte :

« L’application Truth Social ne compte actuellement qu’un million d’utilisateurs actifs quotidiens et réalise un chiffre d’affaires de 4 millions de dollars, soit une perte nette de 58 millions de dollars en 2023. Reddit ($RDDT) a une capitalisation boursière similaire, un chiffre d’affaires de 804 millions de dollars et 73 millions d’utilisateurs actifs quotidiens. »

L’action a chuté de 24% lundi. Malgré cela, son prix est de 10 000 $ par utilisateur quotidien. Et elle perd 58 $ sur chacun d’entre eux. Comme l’a fait remarquer Dan Primack, la valeur des actions n’a rien à voir avec la valeur de l’entreprise.

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