La Chronique Agora

Cherche tendance, désespérément

** « Recherche tendance désespérément ! », « Les marchés en quête d’impulsion directionnelle », « Le rallye du début de trimestre s’essouffle ».

Voilà le genre de titres qui commence à fleurir en guise d’introduction aux « Morning Meetings » qui se déroulent (bien avant que nous n’allumions nos écrans) dans les salles de réunion des grandes banques d’investissement.

Cela ne représente que trois jours de stagnation consécutive pour l’indice CAC 40, mais cela semble déjà une éternité compte tenu des espoirs suscités par le franchissement des 5 750 points lundi (au cours des tous derniers échanges). Ce fut un signal technique positif encourageant…  mais qui ne débouche sur rien de concret, et surtout pas sur l’envolée en direction des 5 925/5 950 points que les chartistes nous promettaient.

Les optimistes vous feront observer que le SBF-120 aligne — tout comme l’Eurotop-100 — une quatrième séance de hausse consécutive pour un gain cumulé de +1,6%. Mais le CAC 40 a commis un petit faux pas jeudi soir en clôturant sur un score négatif de -0,03%, sans être parvenu à franchir le palier des 5 825 points testé dès mardi matin.

Le débordement des 14 000 points sur le Dow Jones était sensé préfigurer une ascension sans anicroche vers les 15 000 d’ici la fin de l’année. Encore aurait-il fallu que le S&P-500 efface la résistance des 1 555 points, et le Russel 3000 ses sommets de mars 2000. Même s’il ne s’en faut que de 2%, cela suppose un gros effort de rattrapage des mid caps, lesquelles sous-performent très nettement les 100 plus grosses blue chips du New York Stock Exchange.

Il ne faudrait pas que les errements indiciels se prolongent au-delà de la publication des statistiques de l’emploi, ce vendredi à 14h30, car les opérateurs, habitués à travailler sur des unités de temps de 5 minutes, ne vont pas tarder à perdre patience et cela pourrait se traduire par des « ventes de lassitude » (sous les 5 800 points à Paris et les 13 900 points sur le Dow Jones).

Aucune tendance ne semble pouvoir émerger en Europe, la volatilité s’est effondrée d’un coup à 0,5% de variation quotidienne, soit 30 points d’écart pour le CAC 40 autour des 5 800 points. La BCE s’est merveilleusement bien tirée d’affaire ce jeudi en ne délivrant aucun diagnostic économique exploitable au bout de trois quarts d’heure de conférence de presse. (Nous allons y revenir au cours des prochains paragraphes).

Le léger tassement des indices US, jeudi à la mi-séance, n’était pas totalement illogique compte tenu du recul de -3,3% des commandes à l’industrie américaine au mois d’août… Mais les opérateurs auraient aussi bien pu tirer les cours à la hausse prétextant un probable abaissement des taux de la Fed d’ici la fin du mois.

** Une seule certitude en Europe : la BCE ne risque pas de créer la surprise d’ici fin 2007 (sinon contre son gré, mais il vaudrait mieux pour nous tous éviter que les circonstances ne l’y contraignent). Si J.C. Trichet admet que des incertitudes pèsent sur la croissance dans la zone Euro (l’INSEE vient d’abaisser son objectif de croissance de +2,1% à +1,8% pour la France en 2007), la priorité demeure « le maintien de l’ancrage des pressions inflationnistes », lesquelles demeurent la principale menace pour nos économies compte tenu des dernières statistiques publiées en début de semaine (la hausse des prix est supérieure à l’objectif des +2%).

Si J.C. Trichet tombait du haut de son égo (et de l’opinion qu’il se fait de son action à la tête de la BCE), il se tuerait !

La BCE, depuis son origine, a en permanence un coup de retard sur une conjoncture dont l’épicentre se situe de l’autre côté de la planète, comme en témoignent les dizaines de milliers de cargos et vraquiers (porte-conteneurs) qui effectuent chaque année la traversée du pacifique entre Shanghai et San Francisco, Shenzen et Vancouver. [Ndlr : Saviez-vous que 95% des échanges mondiaux prennent la voie des mers ? Le fret est un marché à part entière au potentiel extraordinaire, tiré par la mondialisation de la demande en produits de consommation, et par la hausse de la demande en matières premières. Sylvain Mathon vous explique toutes les opportunités dans son dernier numéro].

Ils partent bourrés à craquer d’Asie du Sud-Est et reviennent pratiquement vides d’Amérique du Nord… D’où le creusement des déficits commerciaux qui s’établissent à 2 milliards de dollars chaque jour. Ces déficits sont intégralement couverts par la création quotidienne de liasses de billets verts flambants neufs dont l’impression est télécommandée par une Reserve Fédérale qui se moque bien des dérives inflationnistes et de la chute du pouvoir d’achat du dollar !

La Chine et les Etats-Unis s’accusent mutuellement de manipuler leur devise respective afin de maintenir les parités de change à des niveaux anormalement bas… Que dire alors du Japon qui s’appuie sur un endettement deux fois supérieur à celui de la France et sur un risque déflationniste pour laminer le yen (sans qu’aucun ministre nippon ose jamais prétendre que l’Empire du Soleil Levant est en faillite).

** Pour résumer, trois des quatre premières puissances commerciales mondiales s’entendent comme larrons en foire pour propulser l’euro vers des sommets et plomber notre commerce extérieur et notre croissance… Mais à en croire la BCE, l’euro fort, c’est elle et l’inflation maîtrisée, c’est encore elle.

Des affirmations qui font sourire alors qu’Alan Greenspan, champion tout catégorie de l’inflation monétaire, via des injections massives de liquidités d’octobre 1998 à janvier 2006, reconnaît — dans son dernier bouquin paru la semaine dernière — que ce sont les faibles coûts de production chinois qui sont à l’origine de la modération mondiale du prix des produits manufacturés.

Et l’inflation (celle mesurée par des indices dont vous connaissez la représentativité) reste au tapis outre-Atlantique, malgré la frénésie de consommation des ménages américains, malgré le doublement du nombre de dollars en circulation dans le monde en 10 ans , malgré la flambée du pétrole depuis janvier 2003 (le baril a quadruplé de valeur dans l’intervalle).

Mais la BCE a lamentablement échoué, tout comme la Fed, a contenir la seule inflation qui importe réellement aux yeux des ménages : celle de l’immobilier qui a amputé de 20% en 10 ans le pouvoir d’achat des Français en terme de mètre carré habitable (les prix ne sont demeurés sages qu’en Allemagne et en Belgique, ils se sont envolés en Irlande et en Espagne).

Aux Etats Unis, la Fed a certes enfermé les ménages dans le piège de la dette à taux variable… mais elle leur a offert l’illusion de la croissance, de l’abondance et d’une relative supériorité du modèle américain sur la gestion défensive qui se pratique en Europe.

La BCE considère l’euro comme son chef d’oeuvre: qu’il prenne 10% de plus par rapport à ses niveaux actuels (1,4150 jeudi soir), et il aura doublé de valeur en cinq ans face au dollar.

Les délocalisations auront, elles aussi, doublé dans l’intervalle, tandis les prix de l’immobilier ont grimpé de +50%. Les salaires moyens n’ont eux progressé que de +15% à 20% en France depuis le début du siècle, d’où une hausse d’1/3 de l’endettement des ménages (de 50% à 68%).

** Et l’endettement des ménages est devenu la première industrie planétaire : elle possède son référent absolu, son champion incontesté : les Etats-Unis, le pays dont les citoyens achètent ce dont ils n’ont pas besoin, avec de l’argent qu’ils ne possèdent pas, contractant des dettes qu’ils ne peuvent rembourser auprès de banques dont le métier consiste à les revendre aux futurs retraités — c’est-à-dire en grande partie aux emprunteurs imprudents eux-mêmes. Et la boucle est bouclée !

Tout ce qui importe réellement aux épargnants que nous sommes lui échappe : le processus de désagrégation des subprimes, comme le degré d’exposition des banques commerciales au sein même de la zone euro.

Ce qui n’empêche pas la BCE de fanfaronner et de donner des leçons, expliquant qu’elle manie le levier monétaire comme bon lui semble — avec la dextérité d’une majorette dotée d’une paire de gants en plomb. A une époque où tout le monde se méfie de tout le monde, elle s’est contentée de réitérer ce jeudi sa volonté de continuer d’assurer la « stabilité monétaire ».

Comme s’il était en son pouvoir de réguler l’offre d’argent (planétaire), de restaurer la confiance des analystes de Moody’s, de rendre les paradis fiscaux vertueux et transparents, de contraindre les banques commerciales à nous dévoiler l’ampleur de leur exposition sur les dérivés de crédit ! Les deux principaux établissements français ont déclaré, dans le cadre d’une conférence organisée par Merrill lynch, que les pertes liées au subprime ne devraient pas aller chercher au-delà de 100 millions d’euros.

Et en incluant le « hors bilan » et les activités des filiales off-shore… cela donne quel résultat ?

Philippe Béchade
Paris

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