▪ 10 centimètres de neige sur l’Ile-de-France ou 10 mille milliards de créances douteuses s’abattant sur Wall Street ou la City ont des choses en commun : cela sème un fameux chaos et met en lumière le déni de la réalité, l’amateurisme et l’inconséquence qui règnent au plus haut niveau.
Une magnifique parabole du krach du système financier survenu deux ans auparavant !
Les météorologues ont annoncé — images satellites et échos radar à l’appui — qu’un épisode neigeux un peu plus intense que ceux observés lors des précédents hivers va recouvrir des sols déjà gelés d’une couche de neige lourde et humide qui ne tardera pas à se transformer en gangue de glace… Et pourtant, nul ne songe à envoyer les engins de salage traiter préventivement les principaux axes de circulation, ni à réguler temporairement le trafic à l’heure la plus creuse (coup de chance, ils avaient toute la matinée devant eux) pour leur permettre de travailler efficacement.
Tout ce qui risque de paralyser l’économie d’une région ou d’un pays, de jeter les gens sur les routes au coeur de la tourmente, n’émeut guère ceux qui se pensent au-dessus de la fureur des éléments parce que leur statut privilégié les met à l’abri de devoir les affronter personnellement… et, ce qui est le plus choquant, d’en assumer les conséquences si la situation devient incontrôlable du fait de leur imprévoyance.
Lorsque les intempéries démarrent, comme prévu par les spécialistes, le premier réflexe consiste à prétendre que la situation est normale. Dès que les premières difficultés apparaissent, les communicants affirme que la situation reste sous contrôle, même si quelques difficultés se matérialisent « ici où là » (c’est-à-dire à peu près partout au même moment).
Quand la situation vire inexorablement au chaos, la priorité est de ne pas y rajouter de la panique. La stratégie consiste alors à nier farouchement la gravité des problèmes, et, dans la foulée que les « responsables » ont complètement perdu le contrôle (au contraire, ils se démènent et ont sacrifié une nuit de repos bien mérité).
Lorsque la catastrophe ne peut plus être cachée ni minimisée, que l’opinion est sous le choc, que la colère gronde, que l’excuse de la fatalité ne fonctionne plus, une nouvelle stratégie se met en place : certes, il y a certainement des coupables, et il faudra s’occuper d’eux le temps venu, mais il y a beaucoup plus urgent à faire — oublier les vaines polémiques et s’unir collectivement pour empêcher que le désastre ne devienne total et irréversible.
Ce sont presque toujours aux victimes qu’est confiée la mission de voler au secours du système, à leurs frais cela va de soi. La récompense ? Le panégyrique médiatique de quelques magnifiques exemples de solidarité et d’abnégation qui consolent un peu des dures réalités du moment.
Les autorités ne manqueront pas de louer le sang-froid dont a su faire preuve la population, sans jamais admettre qu’elles puissent être jugées elles-mêmes responsables du chaos ambiant par incompétence ou négligence (voir corruption dans le cas du Congrès américain, un argument qui valut d’abord la célébrité puis son élection à Barack Obama).
En effet, il apparaît toujours un fusible désigné à la vindicte publique, un Richard Fuld (ex-PDG de Lehman), une obscure filiale d’AIG à Londres ou un Jérôme Kerviel pour servir opportunément de bouc émissaire.
▪ Rappelez-vous le krach de 2008. Il a commencé par la négation qu’il risquait de survenir un problème… puis le discrédit de ceux qui dénonçaient l’existence d’un problème… puis la négation de la gravité du problème… puis le déni de la perte de contrôle de la situation suite à la confirmation du problème… puis l’affirmation qu’il fallait que tout le monde (sauf les auteurs des problèmes) se mobilise, s’empare des pelles et des seaux — surtout de son carnet de chèques — pour endiguer le raz-de-marée des créances pourries.
Deux ans plus tard, aucune véritable refonte du système financier n’a eu lieu, aucun des vrais coupables n’a été contraint de rendre des comptes. Des « settlements » (accords amiables moyennant le versement de quelques pénalités symboliques) ont été conclus entre la SEC, le procureur de New York et des associations de plaignants avant que les suspects de malversations ne soient traduits devant les tribunaux civils et se retrouvent confrontés au déballage public de leurs pratiques frauduleuses.
Deux ans plus tard, le problème des dettes n’est non seulement pas résolu (des tombereaux de dettes privées se sont transformées en dette souveraines) mais le front uni contre la faillite du système se fissure. Souvenez-vous de cette touchante unanimité des membres du G20 à la réunion de crise de Washington à l’automne 2008.
Un an après, les partenaires faisaient déjà étalage de leurs divergences sur les remèdes à apporter à la crise (c’était au G20 de Pittsburgh en septembre 2009). Tout commencement de volonté de résoudre les problèmes laissés en suspens deux ans auparavant a volé en éclats lors du sommet de Séoul (mi-novembre).
Les principaux contentieux ont porté sur le système monétaire, la gouvernance mondiale et des déséquilibres commerciaux. Les membres du G20 ont affiché à cette occasion un désaccord parfait.
▪ Un mois plus tard, ce sont les Européens qui se déchirent entre eux. La pomme de discorde, c’est le projet de renforcement des moyens du Fonds de stabilité mis en place au printemps dernier pour voler au secours de la Grèce. Cette dernière entame déjà des négociations pour repousser de plusieurs années le remboursement de l’argent avancé six mois plus tôt !
Les apprentis pompiers viennent de tomber d’accord pour laisser les extincteurs à moitié vides après avoir éteint les feux de garrigue grecs et irlandais. Comme s’il n’apparaissait pas urgent d’éteindre tous les départs de feu qui menacent déjà les forêts de pins portugaises, lesquelles ne sont séparées des forêts espagnoles que par l’épaisseur d’un trait administratif sur une carte d’état major.
Les Allemands prétendent que les traités européens interdisent de recharger les extincteurs avant de savoir à quel type de feu les pompiers s’attaquent, sinon, pas de crédits… il faut d’abord juger sur pièces !
Avons-nous besoin de souligner à quel point cette attitude nous rappelle celle de nos dirigeants hexagonaux ? Ils ont dû balancer les derniers bulletins météo dans la corbeille parce que de toute façon, il n’y avait ni assez de saleuses (suite à la réduction des budgets des services d’entretien de la voirie), ni assez de personnel mobilisable pour les piloter si jamais l’alerte au verglas avait été lancée à temps.
▪ Est-ce que les marchés font l’analogie ? Allons donc, ils ont d’autres chats à fouetter… ou plutôt des actifs à faire mousser afin de galvaniser les bonus. Paris s’est ainsi adjugé 0,7%, tout comme l’Euro-Stoxx 50 qui renoue avec son seuil de résistance des 2 840 points, testé les 18 et 19 novembre dernier.
Croyez-vous que Wall Street s’inquiète du creusement des déficits suite à l’accord — contesté par une partie des démocrates — qui pérennise les cadeaux fiscaux aux contribuables les plus favorisés ? Que non point ! Des experts nous expliquent même que la hausse des taux qui s’ensuit est une excellente nouvelles pour les assureurs qui vont ainsi pouvoir bénéficier de produits plus rémunérateurs.
La séance du 9 décembre a constitué un véritable « copié/collé » de celle du 8 (et même de l’avant-veille). Cela tant au niveau de scénario — hausse initiale qui perd vite de son intensité — que des scores : -0,02% pour le Dow Jones, +0,3% pour le Nasdaq, +0,35% pour le S&P.
L’indice le plus large et le plus représentatif a été une nouvelle fois dopé par les valeurs financières et les assureurs, notamment par AIG. La firme reprend 13% malgré la perspective d’une augmentation de capital et la cession de ses filiales les plus rentables.
Le Nasdaq apparaissait une fois encore le mieux orienté des trois indices. Il gagne 1,5% en cinq séances et franchit le cap des 15% de hausse sur l’année. Il engrange ainsi 25% depuis son plancher des 2 100 inscrit fin août.
D’autre part, même si le S&P progresse de près de 0,4% (à 1 233 points) et aligne une troisième séance de hausse consécutive, il ne parvient pas à améliorer son meilleur score d’ouverture du 7 décembre (1 235 points).
C’est un peu comme si les indices américains commençaient à patiner sur du verglas à l’approche des sommets annuels. Et pour le coup, nous sommes formel, personne n’a jeté le moindre coup d’oeil à la météo (trop démoralisant en cette saison) ni songé à saler la chaussée. La Fed a même promis de déverser encore plus de liquidités.
Avec le froid ambiant, les routes de la région parisienne auront presque l’air praticable, en comparaison de ce que Wall Street se prépare à affronter…