▪ Les manifestations contre les politiques d’austérité se multiplient sur le Vieux Continent. Les mobilisations populaires sont plus ou moins importantes du nord au sud — assez fortes en France, très moyennes en Grèce et en Espagne, peu impressionnantes en Italie. De leur côté, les pays anglo-saxons restent relativement épargnés.
Mais pour combien de temps encore ? Le jeune ministre des Finances britannique, George Osborne, vient de proclamer la fin de l’Etat-Providence. Joignant le geste à la parole, il a annoncé la suppression des allocations familiales universelles, versées sans conditions de ressources à tous les ménages élevant au moins un enfant de moins de 16 ans.
Cette disposition avantageait notamment les couples dont la femme avait renoncé à travailler pour s’occuper exclusivement de son enfant.
Cela présentait l’avantage politique énorme de maintenir le chômage apparent à un taux très bas puisqu’il est statistiquement impossible d’être à la fois allocataire et demandeur d’emploi pour une femme au foyer. On part là du principe qu’il s’agit d’un choix délibéré… mais la réalité, c’est que l’atonie du marché du travail a plongé une bonne partie de la population britannique dans le chômage de longue durée.
▪ Aux Etats-Unis, le net recul de la confiance des ménages au mois de septembre résulte également de la dégradation sur le front de l’emploi et de l’absence de toute perspective d’amélioration dans un avenir prévisible.
Si la consommation des ménages résiste, c’est à coup de mesures de soutien temporaire — mais reconduites de mois en mois — en faveur des chômeurs de longue durée et des salariés les plus précaires. L’administration Obama n’a pas réussi à revitaliser l’économie avec son plan de relance de 787 milliards de dollars lancé en février 2009. Dix-huit mois plus tard, Tim Geithner (le secrétaire d’Etat au Trésor) affirme que 3,5 millions d’emplois ont pu être préservés, mais c’est difficilement vérifiable !
En revanche, les entreprises qui continuent de créer de la richesse — sous les applaudissements de Wall Street — n’embauchent toujours pas.
« Faire plus avec moins » demeure le principe cardinal gouvernant la stratégie des multinationales. Ce n’est pas nouveau… mais au moins sous-traitaient-elles encore massivement les activités les moins rentables, ou identifiées comme telles, auprès des PME/PMI domestiques avant la crise de 2008.
Ce qui a vraiment changé, c’est la montée en puissance de l’outsourcing pour des questions de rentabilité. Citons également la délocalisation de millions d’emplois (cela se joue effectivement à cette échelle) vers des pays où la main d’oeuvre est bon marché et qui affichent des standards sociaux incomparablement moins contraignants et protecteurs que ceux qui prévalent dans les démocraties occidentales.
Les quelques rares exemples de relocalisation partielle (Steiff en Allemagne, Rossignol en France) ne sauraient masquer le fait que l’écrasante majorité des emplois tant industriels que de services enfuis vers l’Asie ou les ex-pays de l’est ne reviendront pas.
Nous sommes pour le moins incrédule face aux dernières déclarations de George Osborne qui dénonce l’emprise trop importante de la City sur l’économie britannique. Cela suggère qu’il envisage de promouvoir d’autres secteurs d’activité. Mais il n’apporte pas de réponse à une question cruciale : par quoi remplacer cette industrie financière qu’il juge hégémonique ?
▪ Aux Etats-Unis également, les contradictions d’un système qui ne parvient plus à concilier le mythe de l’American way of life (le progrès pour tous selon le mérite de chacun) et l’avidité de l’oligarchie financière engendrent un embryon de contestation qui se concrétise par le biais des « Tea Parties« .
Cette appellation constitue une référence directe à la Tea Party de Boston, une sorte de think tank — un peu à l’image des salons parisiens jetant dès la mort de Louis XIV les bases de la future république française — qui inspira la Révolution américaine contre la monarchie anglaise à la fin du 18ème siècle.
En ce début de 21ème siècle, le premier fait d’armes de ce mouvement est une manifestation de 120 personnes (seulement 25 selon la préfecture de Paris…) contre le plan de relance économique de 787 milliards de dollars de Barack Obama début février 2009. Ce rassemblement monstre fut organisé à l’appel de Keli Carender, une bloggeuse de Seattle qui contestait le sauvetage du secteur bancaire à coup de milliers de milliards de dollars.
Le mouvement a gagné de l’ampleur lors de la révélation au public du montant des primes indécentes versées aux dirigeants d’AIG, renflouée comme tant d’autres institutions financières par l’argent du contribuable au prix d’un creusement abyssal des déficits.
Les Tea Parties sont de nouveau montées au créneau, rassemblant les opposants à un projet jugé inutilement coûteux lors des débats sur la réforme du système de santé voulue par Barack Obama. Ils ont mis en avant l’inefficacité d’une protection sociale qui s’avère deux fois plus gourmande en financements et moitié moins efficace que celles mises en place en Europe… dans des pays pourtant qualifiés de « socialistes » (aux Etats-Unis, ce terme est presque aussi lourd de sous-entendus que « dictature communiste »).
Les adhérents des Tea Parties de la Côte est ont apporté un soutien décisif à l’élection du républicain Scott Brown au Sénat US pour l’un des deux sièges vacants du Massachusetts. Cela fit perdre sa majorité absolue au parti démocrate l’hiver dernier.
La figure la plus emblématique du mouvement est Ron Paul, le représentant républicain du Texas au Sénat. C’est le très populaire pourfendeur des dérives de Wall Street et de la corruption du Congrès par les lobbies financiers… et l’un des seuls élus qui a l’air de savoir ce qui se trame vraiment chez les Goldman-Stanley ou les Fannie Mac-Mae.
L’une des figures montantes du mouvement s’appelle Christine O’Donnell, candidate du parti républicain aux sénatoriales dans l’état si particulier du Delaware. Ce paradis fiscal « on-shore » est aux Américains ce que Jersey ou Guernesey est aux multinationales européennes et de bien d’autres pays dans le monde.
▪ Si les Tea Parties recouvrent des organisations très hétéroclites à travers tout le territoire américain, elles se rassemblent en tous cas pour critiquer les élites politiques du pays. Elles renvoient dos à dos les démocrates comme les républicains, tous coupables — depuis les années Clinton — d’une trop grande mansuétude à l’égard des « puissances d’argent » (ou quelque chose de très approchant… mais cette expression n’a pas une connotation aussi anti-capitaliste qu’en France !).
Les Tea Parties les plus influentes défendent un savant mélange de thèses libertariennes (dont Alan Greenspan fut l’un des grands apologues avant de prendre la tête de la Fed, tout comme Lawrence Summers qui vient de démissionner de son poste de conseiller spécial du président américain) et de la critique radicale de toute intervention de la puissance publique, ou de l’un de ses relais comme la Fed, dans les affaires.
En résumé : vive le malthusianisme économique et à bas l’Etat incompétent, corrompu et dépensier.
Cette vision n’est pas très éloignée de l’anarcho-capitalisme, la version la plus radicale du libéralisme symbolisé par la main invisible d’Adam Smith et la destruction créatrice de Schumpeter.
▪ J’y reviendrai demain… à moins que je ne doive accorder la priorité à une septième séance de baisse consécutive des places européennes. Une séance qui déboucherait par exemple sur la cassure des 3 600 points sur le CAC 40 ou des 2 650 sur l’Euro-Stoxx 50…
De toute façon, nous n’avons pas fini de nous étonner des solutions paradoxales que les populations opposent à la crise de part et d’autre de l’Atlantique. On a d’un côté des manifestants mobilisés pour défendre leurs acquis sociaux des Trente glorieuses… et de l’autre des Tea Parties qui rêvent d’étriper l’Etat-Providence et de fonder une nouvelle forme de pacte social — qui lorgnerait du côté de la loi de la jungle pour les plus radicaux.