La Chronique Agora

Ces petites phrases qui assassinent l’euro… de l’intérieur

▪ Il serait malvenu de notre part d’accuser les dirigeants européens de nous abreuver en permanence de fables, balivernes et autres copeaux de langue de bois, poursuivant la vaste entreprise de désinformation menée depuis le début de la Grande Crise de la dette. Angela Merkel nous réconcilie avec le personnel politique… mais malheureusement, voilà que des investisseurs chagrins se plaignent déjà de son franc-parler.

Mais pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’affirmer — comme elle l’a fait avec beaucoup de pertinence ce lundi — que les plans d’urgence, fonds de stabilisation, rachats de bons du Trésor décotés par la BCE et démonstrations d’unité de façade (pendant que l’on s’étripe en coulisses) nous ont « juste permis de gagner un peu de temps » ?

Elle dissimule à peine sa conviction que les problèmes de fond restent entiers. C’est à l’évidence le cas puisque même l’annonce de cures d’austérité budgétaires provoque désormais la déprime des marchés, au lieu de les rassurer.

Allons bon ! Ce ne serait pas le moment de faire ce genre de « déclarations irresponsables » ! Mais nous ne croyons pas à la thèse de la boulette, pas plus de la part de la chancelière allemande que de Paul Volker à propos de la désintégration de l’euro jeudi dernier.

Mme Merkel est-elle plus coupable que Jean-Claude Junker d' »affoler » (nous empruntons ce verbe aux commentaires un peu naïfs rédigés dans le feu de l’action lundi) les marchés des changes — lesquels laminent méthodiquement l’euro ? Le président de l’Eurogroupe se déclare en effet « plus préoccupé du rythme de décrue de la monnaie unique que de sa parité avec le dollar, laquelle lui semble cohérente et ne pose pas de difficulté dans l’absolu ».

Les cambistes ont reçu le message cinq sur cinq. Le billet vert remontait lundi soir jusque vers les 1,229 contre l’euro, après avoir consolidé à la mi-journée jusque vers 1,24.

▪ Wall Street n’a pas tardé à réagir : les indices américains sont passés d’une hausse de 0,4% vers 15h45 à un repli de 0,6% vers 17h30. Les places européennes (+0,05% en moyenne) ont abandonné tous leurs gains en fin d’après-midi ; les scores auraient pu être largement négatifs si la séance avait duré une demi-heure de plus (le S&P et le Nasdaq abandonnaient alors 1,7% et le Dow Jones plus de 150 points).

Les gérants de portefeuilles se font un peu secouer mais ce n’est rien en comparaison de ce que subissent les spécialistes des contrats à terme sur le NYMEX. En effet, la principale victime de ces brusques mouvement sur les marchés des changes, c’est le baril de pétrole : il dévissait de 2,5% lundi, sous les 70 $, ce qui a entraîné une vague de liquidation sur les pétrolières et les parapétrolières (Vallourec a chuté de 4%, Technip de 1,5% à Paris).

▪ L’or noir vient de perdre la bagatelle de 20% en un mois. Cela confirme de manière incontestable notre analyse baissière — certains spéculateurs ne sachant quoi faire de l’argent qu’ils retiraient en masse du marché de la dette publique européenne estampillée PIGS.

Nous affirmions mi-avril que ces arbitrages ne tenaient pas la route et que la hausse du dollar aurait tôt ou tard raison de la hausse du pétrole. Surtout en cas de cure d’austérité dans les pays vivant au-dessus de leurs moyens parce qu’ils se croyaient bien à l’abri du bouclier constitué par l’euro.

Cela a bien fonctionné… jusqu’à ce que l’Allemagne fasse clairement comprendre qu’elle n’avaient pas envie de payer pour les cigales qui coulent des jours heureux sur les bords de la Méditerranée pendant que les laborieuses fourmis du nord bravaient le vent mauvais et les routes verglacées pour fabriquer des choses que les étrangers achètent et mettre de côté chaque euro durement gagné.

▪ Nous savons bien que les déboires de l’Europe font le jeu de ceux qui spéculent contre tout ce qui dépend d’un bon niveau de la croissance dans les pays dits développés. Les actions étaient surévaluées parce que valorisées comme si l’argent public allait continuer de soutenir la consommation et les grands travaux — alors que les caisses des Etats occidentaux sont plus que vides. Le pétrole était tout aussi surévalué parce que la position acheteuse excédait de très loin ce que justifiait les projections d’activités industrielles les plus optimistes.

Ce n’est pas un hasard si le baril a dévissé après la publication de l’indice Empire State de la Fed de New York. Ce baromètre avancé plonge de 12,8 points à 19,1 en mai contre 31,9 en avril, induisant un net ralentissement de l’amélioration dans le secteur manufacturier sur la Côte est ; un recul symbolique autour de 30 était attendu.

Pour aborder une thématique qui va dans le même sens, les ventes d’automobiles ont rechuté de -7,5% en Europe au mois d’avril. C’est le premier score négatif depuis 10 mois ; les économistes se remettent à craindre la matérialisation de notre scénario de reprise en « W ».

Chute abyssale de l’euro de 10% en moins d’un mois, risque de récession de part et d’autre de l’Atlantique dès le second semestre 2010… voilà quelques éléments d’explication pour justifier le plongeon de Shanghai (-5,07%) lundi matin. La Bourse chinoise n’attend plus que le prochain tour de vis de la Banque centrale destiné à contenir les pressions inflationnistes pour rééditer un parcours comparable à celui de l’année 2008.

Le graphique de l’indice phare SSE est éloquent : tous les supports techniques court et moyen terme ont été allègrement enfoncés depuis le 7 mai dernier. La trace d’un rebond les 10 et 11 mai est à peine décelable.

▪ Mais la chute de l’euro est peut-être le moins pire des scénarios pour la Chine car l’essentiel de ses réserves est constituée d’actifs libellés en dollar. Du point de vue européen, c’est aussi une manière d’obtenir la réévaluation du yuan que les Américains réclament en vain depuis plus de cinq ans.

Combien de temps va-t-il falloir aux cambistes pour réaliser que la balance commerciale des Etats-Unis va recommencer à se détériorer ? La spéculation contre l’euro pourrait bientôt se retrouver prise à son propre piège… Mais il est un enjeu qui l’emporte sur tous les autres du point de vue des Etats-Unis : s’assurer le financement du plus gros déficit budgétaire de son histoire, lequel résulte d’un plan de relance équivalent à 20 New Deals des années 30… pour un bien piètre résultat économique s’il faut se contenter de 3% de croissance en 2010 et de 2,5% en 2011.

Une hausse aussi poussive du PIB américain serait loin de contrebalancer l’effort financier supplémentaire induit par l’explosion du service de la dette. La spéculation a temporairement laissé tomber la proie pour l’ombre, mais ce qui vaut pour la Grèce vaut également pour la Californie, le Texas, le Michigan, le Nevada, l’Ohio… à cette petite différence près que l’échelle passe tout simplement de 1 à 10, des rives de la Méditerranée à celles des Grands Lacs ou du Pacifique !

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