La Chronique Agora

Centralisation : la vraie question

Pour penser correctement, il faut commencer par se poser les bonnes questions… surtout lorsqu’on entend planifier l’avenir d’un pays tout entier. En France, on n’y est pas encore tout à fait.

Nous avons vu récemment que la France édition « start-up nation » pourrait bien ressusciter le Commissariat général au Plan, au moment même où la Chine de Xi Jinping est en train de renoncer à la planification tous azimuts. Nous avons également vu que les planistes français édition XXIème siècle ont de drôles d’idoles.

Avant d’en venir aux critères qui font qu’un plan peut se dérouler sans accrocs, j’aimerais m’attaquer à une autre idée reçue.

Toutes les entreprises privées ont un plan, donc l’Etat doit planifier l’économie, vraiment ?

C’est sans doute Jean-Luc Mélenchon qui assène le plus régulièrement ce poncif. Le traitement ne vous saute-t-il pas aux yeux, cher lecteur ?

Je vous propose deux éléments de réponse.

Tout d’abord, évidemment que tout le monde s’organise en faisant des plans ! Mais ce n’est pas parce que l’Etat a une légitimité pour organiser certains aspects de la vie en société qu’il est nécessairement le mieux à même d’assurer l’intendance…

Prenons l’exemple de la crise sanitaire. D’aucuns prétendent qu’elle aurait prouvé que l’Etat français manquerait de planification car il a manqué de masques à proposer à sa population.

De mon point de vue, ces gens se trompent car ils confondent la définition d’un protocole à appliquer en cas d’événement imprévu en matière de santé publique, et la gestion étatique de la production et/ou du stockage du matériel requis pour surmonter, par exemple, une pandémie.

Notez que chez nos voisins suisses, si c’est bien l’Etat qui se charge de définir le nombre de masques qui doit être en permanence gardé à disposition de la population en cas d’imprévu, c’est le secteur médical privé qui est chargé d’en assurer le stockage.

En pratique, l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays a donc bien un plan, au sens où il définit la quantité de masques que doit constituer le stock du pays pour faire face à une pénurie à court terme… mais c’est le secteur privé, avec lequel il collabore, qui gère les stocks.

Comme l’explique Wikipédia, l’Office « impose le stockage par environ 300 entreprises concernées (‘réserves obligatoires’ pour une autonomie de trois à quatre mois) de biens vitaux, comme les aliments, les médicaments ou le pétrole ou des engrais. »

Et voilà le résultat :

Pendant ce temps-là, de l’autre côté de la frontière :

Il s’ensuit que la « vraie question » n’est évidemment pas « faut-il planifier ou non ? »

Les « vraies questions », ce sont « qui conçoit le plan ? » et « qui exécute le plan ? »

Le plan doit-il être conçu et exécuté par des gens qui ont leur peau en jeu ou par des gens qui, sauf à assassiner quelqu’un dans l’exercice de leurs fonctions, sont professionnellement inamovibles ad retraitam eternam, comme c’est en France le cas de tout fonctionnaire ?

Vous me permettrez de céder à l’air du temps en écrivant que « la question, elle est vite répondue ».

Et pourtant… et pourtant, figurez-vous que Bruno Le Maire, qui se trouvait être directeur de cabinet de Dominique de Villepin en 2006 (lorsque le Commissariat général au Plan a été dissout) et qui occupe aujourd’hui le poste que vous savez, estime désormais ceci, rapporté dans L’Opinion :

« [Il est] très utile d’avoir une boussole avec un haut-commissariat au Plan […] qui puisse nous dire sur le très long terme : voilà quels sont les bons choix économiques, les bons choix industriels pour la France. »

C’est évidemment faire fi du fait que personne ne sait quels sont les bons choix industriels, et surtout pas le gouvernement et ses experts.

Faut-il rappeler la conclusion du rapport Théry de 1994 sur les « Autoroutes de l’information », commandé par le gouvernement ? Pour ceux qui l’auraient oublié, voici quelques extraits de ce chef d’œuvre de prédiction industrielle financée avec les derniers publics…

Encore la candeur de Bruno Lemaire serait-elle pardonnable si elle sortait de la bouche d’un jeune diplômé de Science Po. Mais de la bouche d’un ministre… franchement ?

J’en profite au passage pour remercier Sibeth Ndiaye de s’être retirée de la politique.

Bref, pour penser correctement, il faut commencer par se poser les bonnes questions. Et la bonne question, c’est celle que posait Ludwig von Mises.

Cette question ne remonte pas à hier puisque déjà au XIXème siècle, Jean-Baptiste Say se demandait qui était le plus à même de décider de ce qui devait être produit : celui qui cultive un terrain, ou l’administration ?

Comme nous l’avons vu avec le plan Théry, les prévisions sont souvent fausses et il est impossible de prévenir l’avenir avec certitude. La conclusion qui s’ensuit est qu’« il ne faut pas de planification mais de la flexibilité, et la seule chose qui permet à l’économie de s’adapter rapidement, c’est le marché », comme l’écrit Radu Vranceanu, professeur d’économie à l’ESSEC.

En voilà un qui a mieux lu Hayek que l’ancien maire du Havre.

Je conclurai par une piqûre de rappel avec un peu de Simone Wapler, ce qui ne fait jamais de mal. Comme l’écrivait Simone, il est temps d’en finir avec les « parasitocrate[s] éclairé[s], vivant de l’argent des autres (celui des contribuables) et donnant des leçons à ceux qui risquent le leur » !

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